Ce mardi 28 mai, une mère et sa fille souffrant d’importantes pathologies respiratoires ont déposé un recours au tribunal administratif de Montreuil. Elles accusent l’État de s’être montré incapable de protéger les citoyens contre la pollution de l’air.
Vie en Île-de-France
Pendant une vingtaine d’années, cette femme de 52 ans a vécu en Seine-Saint-Denis, en banlieue parisienne, à proximité du périphérique. Souffrant alors d’asthme, de toux et de bronchites répétées, elle doit régulièrement subir des cures d’antibiotiques et se mettre en arrêt de travail. Sa fille enchaîne quant à elle les visites aux urgences pédiatriques et les séances de kinésithérapie respiratoire pour des bronchiolites. Dès 7 ans, elle souffre d’asthme et de rhinopharyngites fréquentes.
Durant le pic de pollution de décembre 2016, leur état de santé s’aggrave encore. Suivant l’avis d’un pneumologue, elles quittent finalement l’Ile-de-France pour s’installer à Orléans.
Responsabilité de l’État
Aujourd’hui, toutes deux espèrent faire reconnaître la responsabilité de l’État dans les soucis de santé qu’elles ont subis. Pour leur avocat, François Lafforgue, la « carence fautive » de l’État est double : le gouvernement a manqué à son devoir non seulement lors des pics de pollution, mais aussi sur le long terme. Lors de l’épisode de décembre 2016, qui avait duré près d’un mois, les services préfectoraux avaient laissé passer une semaine avant de mettre en place la circulation alternée, qui n’a duré que quelques jours. De plus, alors que la loi le permettait, ils n’ont pas interdit l’utilisation du bois en chauffage individuel.

Sur le long terme, Me Lafforgue souligne que la France dépasse régulièrement les normes européennes sur la qualité de l’air. Depuis presque dix ans, le pays est mis en cause par la Commission européenne à cause des particules fines (PM10) et du dioxyde d’azote (NO2). En 2017, le Conseil d’État a enjoint le gouvernement de prendre des mesures rapides pour résoudre ce problème. En 2018, la France a été envoyée jusque devant la Cour de justice de l’Union européenne. Deux ans plus tard, les limites continuent d’être dépassées dans une dizaine d’agglomérations françaises.
De plus, les données d’Airparif, l’organisme de surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France, indiquent qu’environ 10 millions de Franciliens se trouvent exposés à des niveaux annuels de PM2,5 « largement supérieurs » aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé. Or ces particules fines (inférieures à 2,5 micromètres) sont les plus dangereuses pour l’organisme.
Un procès sans précédent
Il s’agit d’une première pour la justice française. Pour se défendre, la Préfecture de police reporte la faute sur la victime, lui reprochant de ne pas avoir déménagé malgré ses problèmes de santé. L’argument est que son état constitue « la conséquence directe et exclusive d’un choix strictement personnel ».
« Si on en croit la préfecture, il faudrait donc évacuer les 10 millions d’imprudents qui vivent en Île-de-France. C’est très inquiétant, venant d’une institution censée nous protéger, remarque Olivier Blond, président de l’association Respire, qui soutient les requérantes. D’un autre côté, c’est un aveu extraordinaire que la pollution de l’air fait planer un danger sérieux sur les Franciliens. »

Généralement, le tribunal se range à l’avis du rapporteur public. Dans cette affaire, celui-ci a conclu « Jugement avant-dire droit : expertise sur l’imputabilité. ». Autrement dit, il considère que le tribunal devrait vérifier si les troubles médicaux sont dus à la pollution de l’air.
« Si on se dirige vers une expertise, c’est que le rapporteur considère qu’il y a eu carence de l’Etat et préjudice, et qu’il faut désormais s’assurer du lien de causalité, explique Me Lafforgue. C’est déjà une avancée importante pour les victimes de la pollution de l’air et tous les habitants de la région parisienne. »
Passage à l’action
Le jugement sera rendu d’ici deux semaines. Si l’État est déclaré coupable, « ce sont des milliers de Français qui souffrent des effets de la pollution qui pourraient demander des comptes à l’État pour qu’il se décide enfin à agir », souligne Olivier Blond.
En France, par an, on compte 48 000 morts prématurées causées par la pollution atmosphérique. Récemment, une cinquantaine de recours liés à la pollution de l’air ont été déposés à Paris, Lille, Grenoble et Lyon. Les audiences se tiendront durant les semaines à venir.