La commission d’enquête sénatoriale chargée d'étudier la fraude aux eaux minérales de Nestlé, accable l’Etat, qui a permis selon elle au groupe suisse d’écouler ses produits malgré leur « illégalité » et les « risques sanitaires ».
Les sénateurs soulignent un « manque de transparence, à la fois vis-à-vis des autorités locales et européennes et des Français » dans leur rapport rendu public le 19 mai 2025. Le rapporteur de la commission d’enquête, Alexandre Ouizille (PS, Oise), qualifie de « liaisons dangereuses » les relations entre Nestlé et l’Etat.
Ingrid Kragl, directrice de l’information de Foodwatch, enfonce le clou : « Pendant des années », l’Etat a couvert « une fraude massive au lieu d’appliquer la réglementation. Ce qui a permis à Nestlé de tromper les consommateurs sans être inquiété. »
Le scandale Nestlé camouflé par l’Etat
Depuis quelques années, Nestlé utilise des filtres interdits pour purifier des eaux issues de forages régulièrement contaminées par des bactéries et des résidus de pesticides. Ce dispositif concerne les marques Hépar, Perrier, Contrex et Vittel.
Bien que Laurent Burgoa, président de la commission d’enquête et sénateur LR du Gard, précise qu’« aucune contamination sanitaire avérée n’est apparue », les eaux dites minérales doivent être « pure à la source » pour être commercialisées et ne doivent subir aucun traitement modifiant ses caractéristiques microbiologiques.
En 2021, Nestlé révèle ses pratiques au ministère de l’Industrie. A l’époque, le groupe suisse apprend que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) enquête sur Alma, un autre géant de la mise en bouteille, pour des pratiques frauduleuses similaires.
Le rapport précise que l’Etat « avait connaissance des contaminations bactériologiques, voire virologiques sur certains forages » et que la situation « créait une distorsion de concurrence avec les autres minéraliers ».
Il démontre comment plusieurs ministères, mais aussi un préfet, et le directeur de l’Agence régionale de santé d’Occitanie, Didier Jaffre, ont accepté de modifier, à la demande de Nestlé, un rapport sur la qualité sanitaire des forages exploités à Vergèze dans le Gard, où est produite la marque Perrier,
Couverture de l’Etat
Une première réunion avec le cabinet de la ministre de l’époque Agnès Pannier-Runacher est organisée en octobre de cette même année. A partir de là, le rapport sénatorial souligne la « densité » des échanges entre l’Etat et la multinationale.
« Les contacts sont fréquents et l’Elysée ouvre les portes de certains ministères au groupe suisse » insiste Alexandre Ouizille.
En février 2023, Matignon, ainsi que les ministères de l’Économie et de la Santé, accepte, à la demande expresse de Nestlé, de modifier temporairement les arrêtés préfectoraux pour autoriser la pratique de la microfiltration en dessous de 0,8 micron, contrairement aux règles sanitaires de l’Agence nationale de sécurité sanitaire.
Or, ces traitements interdits sont non seulement illégaux, mais aussi insuffisants pour désinfecter efficacement l’eau. Cette autorisation a donc été accordée « sans preuve que ces traitements n’ont pas affecté la sécurité alimentaire ni la composition de l’eau ».
Pire, elle a précédé une « absence de suivi du dossier par l’État », entraînant une « minimisation du risque sanitaire à l’échelon national ». Pourtant, des échanges de mails dévoilent l’inquiétude d’agents du contrôle sanitaire devant l’absence de preuves de destruction de lots de bouteilles de Perrier contaminées.
À plusieurs reprises lors des auditions, les sénateurs se sont étonnés qu’aucune Agence régionale de santé (ARS) n’ait déclenché, avant la fin de l’année 2022, l’« article 40 » du Code de procédure pénale, qui impose à toute autorité ayant connaissance d’un crime ou d’un délit d’en informer la justice.
Mi-mai, les préfectures des Vosges et du Gard, départements où sont implantés les sites de production d’Hépar, de Contrex, de Vittel et de Perrier, ont donné deux mois à la multinationale suisse pour retirer ses filtres illégaux.