Camille Contoux est titulaire d’un doctorat en paléoclimatologie qui l’a conduit à faire de la recherche fondamentale au CNRS pendant une dizaine d’années avant de devenir maraîchère. Dans cet entretien, elle nous explique comment le dérèglement climatique va affecter la France et ce à quoi se préparer au cours des prochaines années.
LR&LP : Qu’est-ce que la paléoclimatologie ?
Camille Contoux : C’est la science des climats anciens dont nous cherchions à comprendre les mécanismes de changement. Il faut savoir que plusieurs millions d’années avant nous, la planète a connu des climats beaucoup plus chauds qu’aujourd’hui.
Au Miocène, il y a environ 10 millions d’années, et au Pliocène, il y a 3 millions d’années, les taux de CO2 étaient très élevés. Au Pliocène, on constate que la concentration de dioxyde de carbone est de 400 ppm, ce qui est presque le taux actuel. Au Miocène, il était autour de 360 ppm. Il aura fallu plusieurs millions d’années pour augmenter la concentration de 40 ppm, permettant au monde de s’adapter tout doucement.
Aujourd’hui, ce taux augmente trop vite. Quand j’ai commencé ma thèse, on était très en-dessous des 400 ppm, plus proche du Miocène, que du Pliocène. La rapidité engendre un bouleversement géologique incroyable à l’échelle de la terre.
LR&LP : Pourquoi avoir quitté la recherche ?
CC : Après avoir passé 10 ans au sein du service public, j’ai considéré qu’on savait déjà beaucoup de choses sur le climat et que le maillon faible n’était pas la production des connaissances, mais la mise en œuvre de mesures d’adaptation et d’atténuation.
Les premières permettent de faire face à la réalité, c’est-à-dire de nous organiser face au dérèglement du climat. Les secondes, c’est tout ce qui va permettre de ralentir, d’arrêter, de réduire ce qui produit des gaz à effet de serre. Pour moi, c’est là que se situe le principal enjeu.
On peut poursuivre les recherches, si on ne va pas vers une certaine sobriété, la vie va devenir très problématique pour notre espèce. Ce n’est pas un problème pour la Terre qui se fiche royalement de la survie de notre espèce et survivra à des températures plus froides ou plus chaudes.
LR&LP : Pour vous, le maraîchage était prioritaire ?
CC : Je voulais travailler dans le concret et l’agriculture m’est apparue comme l’activité la plus naturelle. Elle est à la fois en grande partie responsable du bouleversement climatique, parce qu’elle émet énormément de gaz à effet de serre, notamment via la production des engrais et les changements d’usage des sols.
Et elle est aussi la première impactée par les événements météorologiques extrêmes et les désordres climatiques. Or, cela interroge les modes de production parce que c’est en les modifiant qu’on peut parvenir à stocker du carbone dans les sols. Pour moi, l’agriculture est à la croisée des chemins puisqu’elle est cause et peut devenir solution.
LR&LP : Vous parlez de météo et de climat, en quoi est-ce différent ?
CC : Ce sont deux choses totalement différentes. La météo, c’est ce qu’on ressent. La météo, c’est le froid, le chaud, la pluie, l’humidité, le vent… Et c’est aussi ce dont on ne se souvient pas très longtemps, sauf pour les extrêmes. Le climat, ça ne se ressent pas, ça n’existe pas. C’est le calcul d’une moyenne dans le temps et l’espace.
Le climat, c’est conceptuel parce que personne ne ressent une moyenne. C’est pourquoi il est si difficile de faire prendre conscience du désastre actuel et pourquoi il y a encore des gens qui se réfèrent à leur ressenti pour nier les recherches scientifiques.
Lorsque je travaillais au CNRS, même l’équipe de chercheurs avait du mal à réaliser complètement ce que racontaient pourtant clairement nos calculs. L’humain est assez adaptable. Il s’habitue peu à peu à la dégradation et par ailleurs, nous avons des vies courtes, nous ne sommes pas des arbres.
J’ai 35 ans et les changements commencent juste à se voir. Les personnes les plus âgées vous parlent de la neige à chaque hiver lorsqu’ils étaient enfants, des papillons par centaines ou des haies disparues. Nous, il faut que le très gros arbre dans le jardin de mamie meure brutalement pour que nous réalisions ce que signifie la disparition de la biodiversité.
LR&LP : Qu’appelle t-on les extrêmes météorologiques ?
CC : Le climat a déjà vraiment changé depuis la période 1850-1900, c’est documenté. Sous nos latitudes, nous avons beaucoup moins de jours froids, beaucoup moins de neige et les stations de sports d’hiver s’en font l’écho. Il y a aussi vraiment plus de jours chauds et même très chauds. Mais ça, c’est la moyenne et pour la calculer soit on part d’une météo assez stable, soit on a de grandes amplitudes.
Ces événements météorologiques extrêmes se caractérisent par une faible probabilité qu’ils arrivent sur une période donnée. Aujourd’hui, on sait que certaines probabilités sont multipliées par trois ou par quatre à cause du réchauffement des températures.
C’est le cas de crues dont on connaissait une fréquence décennale et qui, désormais, pourraient se produire trois fois sur dix ans.
Nous savons que les vagues de chaleurs, les journées caniculaires vont être de plus en plus fortes et fréquentes. Et puis, il y a les tempêtes dont l’intensité s’accroît au rythme où se réchauffent les mers et les océans. Les ouragans Kirk ou Milton ont été nourris par l’évaporation des eaux trop chaudes avant de se déverser sur les sols imperméabilisés des terres.
Une nouvelle science est née qu’on appelle la science de l’attribution, sur laquelle travaille Davide Faranda, chercheur au CNRS. Il s’agit de déterminer quel pourcentage d’un événement extrême peut être attribué au changement climatique. Leur travail sur les ouragans montre que leur nombre n’augmente pas. En revanche, leur intensité est décuplée par le réchauffement lié aux activités humaines. Sans cela, ces ouragans dévastateurs qui charrient des quantités d’eau phénoménales auraient été nettement moins puissants, ou nous n’aurions eu que des orages. C’est vrai aussi pour les épisodes cévenols qui sont de plus en plus chargés en eau.
LR&LP : Pourquoi la chaleur des eaux marines accroît-elle l’intensité des tempêtes ?
CC : Quand l’atmosphère a une température élevée, elle peut contenir davantage d’eau. L’équation de Clausius-Clapeyron dit que chaque degré de plus, augmente la capacité de contenir 7 % d’humidité en plus. C’est ce qui fait que quand vous prenez votre douche, vous avez de la vapeur dans votre salle de bain, puisque l’air qui est chauffé par l’eau chaude peut contenir beaucoup d’eau puisqu’il est chaud. Et il va condenser sur votre vitre qui elle est froide. Car l’air froid ne peut pas contenir autant d’eau, donc il libère cette eau sous forme de condensation.
Notre atmosphère réchauffée rencontre des eaux chaudes prêtes à s’évaporer. Si on y ajoute le rôle des vents qui créent des dépressions entre le froid et le chaud, alors cela engendre des catastrophes.
LR&LP : Pour la terre, c’est pareil ?
CC : Ce qui est compliqué sur terre et particulièrement pour les agriculteurs, c’est la non-prévisibilité de la météo. Pour les cultures annuelles, on peut se dire qu’on va changer de légumes d’ici à 20 ans quand il fera beaucoup plus chaud, puisque de toute façon, on plante tous les ans. Mais on voit bien avec la vigne que c’est beaucoup plus compliqué, parce qu’il faut plusieurs années pour faire un pied de vigne.
Avec les arbres c’est très difficile et les chercheurs s’emploient à trouver des espèces et des variétés qui sauront s’adapter sur des dizaines d’années. Dans le Jura, on voit bien que les arbres sont malades, ils sont tout blancs, ce n’est pas normal. Les gens du Jura que j’ai rencontrés, eux, en sont bien conscients. Ils disent : notre forêt est en train de mourir. Dans le Var, les chênes meurent aussi et les gens commencent à prendre conscience.
Les tendances s’affirment de plus en sèches autour de la Méditerranée, de plus en plus pluvieux dans le nord de la France. Cela veut dire des sols secs et imperméables au sud et des inondations de plus en plus fortes au nord. Or les sols ont besoin d’une eau régulière et peu intense pour favoriser l’infiltration jusque dans les nappes phréatiques. Nos sols sont compactés par une agriculture trop lourde, vidés de leur vie par les produits chimiques et donc l’eau ruisselle sans pénétrer.
LR&LP : Que faire ?
CC : Je vais rejoindre le grand motto de Marc-André Selosse. Il faut remettre du carbone dans les sols. C’est une mesure d’atténuation très importante qui consiste à favoriser la matière et le contenu en matière organique des sols. En plus de stocker du carbone, Cela permet aux sols d’être plus spongieux.
Et puis, il faut laisser des espaces à la nature. Dans nos champs, les endroits où on laisse complètement pousser les herbes sans les broyer, ni tondre, hébergent une quantité de biodiversité absolument astronomique. Devant notre parcelle de chou, les herbes faisaient plus d’1m de haut et à chaque fois que je passais cet été, il y avait 200 moineaux qui en sortaient. Même sur une toute petite zone qui faisait environ 4 ou 5m2, il peut y avoir une biodiversité énorme qui s’installe.
LR&LP : Peut-on encore intervenir ?
CC : Pendant un moment, on a cru qu’il y avait une espèce d’inertie du système climatique. Si on arrêtait toutes les émissions aujourd’hui, la température continuerait à augmenter pendant plusieurs décennies. Nos résultats nous amenaient vers cette prévision.
Avec l’amélioration des modèles tout récemment, on s’est rendus compte que c’était probablement faux. C’est-à-dire que si on arrêtait toutes les émissions d’un coup, la température se stabiliserait. Il n’y a pas autant d’inertie dans le système climatique qu’on le craignait.
C’est un peu porteur d’espoir parce que cela veut dire que si on arrive à faire un choc massif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, on peut peut-être sauver les meubles. L’espoir est toujours là, il faudrait que les politiques s’en emparent.
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