Et s’il était possible aux médecins de prescrire une balade en forêt ou un atelier de jardinage ? Alors que les bienfaits de la nature sont largement démontrés, des projets de recherche et des expérimentations visent à définir les modalités de la prescription de nature, déjà mise en œuvre dans d’autres pays.
Des bénéfices multiples
« En France, la prescription de nature n’est pas encore institutionnalisée, le concept émerge », précise Blandine-Mellouet-Fort, médecin de santé publique, spécialisée en santé planétaire, pour La Relève et La Peste.
« L’idée est vraiment de faire du contact avec la nature un des axes de la santé humaine, au même titre que l’alimentation, l’activité physique et le sommeil. »
Cette volonté de prescrire la nature vient d’un constat : nous sommes de plus en plus déconnectés de la nature et nos modes de vie sont délétères aussi bien pour nous que pour la planète. Les bienfaits de la nature sont indéniables, à tous les âges de la vie.
« Les études sont de plus en plus nombreuses sur le sujet. Ce n’est pas que de l’intuition. Un niveau d’exposition élevé à la nature permet notamment de réduire la mortalité toutes causes, d’améliorer la santé cardiométabolique et la santé mentale », liste la spécialiste.
Un récent travail de Santé publique France réalisé auprès de trois métropoles a notamment montré que le fait de végétaliser davantage les villes permettrait de réduire la mortalité. Selon une étude chinoise, les femmes enceintes vivant dans une zone résidentielle dotée d’espaces verts présentent un risque réduit de diabète gestationnel. Et le fait d’écouter six minutes de chant d’oiseaux suffit à réduire le stress pendant plusieurs heures. La liste des bienfaits de la nature est longue.
La prescription de nature s’inscrit dans une démarche de santé planétaire, un concept proche du concept One Health, prenant en compte aussi bien la santé humaine que la santé des écosystèmes, avec l’idée de mettre en place des actions cobénéfiques.
« Si je prends mon vélo plutôt que ma voiture, c’est intéressant pour ma santé mais aussi pour la santé des milieux naturels, car je vais moins polluer, moins émettre de gaz à effet de serre et occasionner moins de bruit », illustre Blandine Mellouet-Fort, qui appelle à replacer l’humain en tant qu’être vivant parmi d’autres.
D’autant que « reconnecter l’humain à la nature favorise les comportements pro-environnementaux », en sensibilisant aux enjeux liés à la biodiversité.
La prescription de la nature à l’étranger
A travers le monde, de nombreux projets voient le jour pour structurer cette prescription de la nature.
« Tout le monde a l’intuition que la nature fait du bien, l’expression « se mettre au vert » en témoigne. Mais le fait qu’un professionnel de santé le dise et l’écrive permet d’apporter une caution scientifique », estime Blandine Mellouet-Fort.
Au Royaume-Uni, un programme intergouvernemental de « prescription sociale verte », destiné aux patients présentant des troubles de la santé mentale, permet, par le biais de travailleurs sociaux, de les orienter vers des activités basées sur la nature, comme du jardinage, en prenant en compte leurs besoins et leurs désirs.
Une évaluation portant sur la phase pilote allant de mars 2021 à juin 2023 montre une amélioration significative du bien-être des patients, avec un sentiment accru que la vie vaut la peine d’être vécue et une réduction de l’anxiété.
La Belgique expérimente un autre type d’approche au Centre de santé intégrée des Carrières à Sprimont. Dans le cadre d’un projet pilote mis en place en 2024, les patients reçoivent un carnet présentant un programme de deux mois d’activités à faire en nature et bénéficient d’un accompagnement par un professionnel de santé. Parmi les activités proposées, des moments de découverte des plantes et des oiseaux.
Les Néo-zélandais sont pionniers en la matière, avec un programme appelé « Prescription verte » financé par le gouvernement depuis 1998 et qui repose sur la prescription d’activité physique en extérieur.
En Asie, l’approche est plutôt basée sur les bains de forêts, tandis qu’au Canada, les médecins peuvent prescrire des entrées gratuites pour les parcs nationaux.
La Tour Percée en Chartreuse – Crédit : Yann MARCHAIS / Only France via AFP
Des expérimentations en France
En France, l’objectif des différents projets en cours est de faire en sorte que les professionnels de santé aient des outils à leur disposition pour être en mesure d’apporter des réponses pratiques aux questions de leurs patients, avec des conseils directement applicables.
« Dois-je partir une semaine m’isoler en pleine nature ? Avec un bébé, où aller, avec quel équipement ? », liste la spécialiste. « Je pense que le paysage de la prescription de nature aura changé dans les deux à trois ans en France, car il y a un réel engouement pour le sujet. C’est un domaine foisonnant et très enthousiasmant. »
Le projet Sainbiote, porté par l’Union régionale des Centres permanents d’initiatives pour l’environnement (CPIE) de Bretagne, vise à expérimenter la prescription de nature au sein de trois CPIE – CPIE Pays de Morlaix-Trégor, CPIE Forêt de Brocéliande et CPIE de Belle-Île-en-Mer.
« Dans un premier temps, nous cherchons à définir les modalités de l’expérimentation : qui va prescrire, pour quels types de patients, avec quel accompagnement, quelle structure, quel financement… », détaille la coordinatrice du projet, Mari Le Coz, pour La Relève et La Peste.
Après une première phase d’enquête démarrée en 2024, la phase d’expérimentation devrait pouvoir être mise en place en 2026.
Le projet Naphea, porté par le laboratoire Inserm RESHAPE de Lyon, vise à construire un modèle de prescription de nature grâce à une démarche participative impliquant les professionnels de santé, les patients, leurs proches et citoyens, dans le cadre des soins primaires et en psychiatrie.
Le programme Natur’Health est un projet d’envergure qui « va permettre de conforter les études épidémiologiques qui ont été faites à l’étranger et de déterminer ce qui peut être préconisé pour des patients présentant une pathologie spécifique, et pour lesquels une approche protocolisée peut être intéressante », détaille Blandine Mellouet-Fort, qui contribue à ces trois projets.
Cette prescription de nature fait écho à l’activité physique qui peut être prescrite par les médecins généralistes à leurs patients depuis 2017.
Mais « le contact avec la nature doit rester un axe à part entière. Prescrire la nature, ce n’est pas juste recommander de faire de l’activité physique en extérieur, c’est inciter à prendre le temps de se connecter à soi, aux autres, au vivant, aux saisons… », souligne la médecin de santé publique.
Et alors que nous vivons dans un environnement de plus en plus pollué, les médecins devront être en mesure de prendre ce risque en compte dans leur recommandation.
L’idée de prescrire la nature va ainsi bien au-delà du cadre médical, car elle implique de vivre dans un environnement sain et davantage végétalisé. La question des politiques publiques et de l’aménagement du territoire est cruciale.
« Il faut convaincre les décideurs et les politiques de penser nos environnements de vie pour qu’ils soient favorables à notre santé », estime Blandine Mellouet-Fort.
« Tout ne doit pas reposer sur les individus. L’état de santé d’une personne dépend bien sûr de ses comportements, mais surtout des conditions et de l’environnement de vie. »
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