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Les peuples autochtones coupaient des planches directement sur les arbres vivants sans les tuer

La nécessité d'écorcer de nombreux arbres chaque année, combinée à la longévité du cèdre qui peut vivre jusqu’à mille ans, signifiait que tout arbre accessible était susceptible d'être récolté plusieurs fois au fil des ans. Les autochtones ne pouvaient donc pas bêtement couper des arbres pour les exploiter, au risque d’éradiquer les alliés dont ils dépendent.

Alors que la déforestation ravage la planète, il est temps de réapprendre à traiter les arbres avec respect. En Amérique du Nord, les premières nations l’avaient bien compris des centaines d’années auparavant. Sans pétrole, ni machines, elles ont développé des techniques extraordinaires pour prélever l’écorce et même des planches entières sur des arbres vivants sans les raser, ni les tuer.

Le thuya géant ou cèdre rouge de l’Ouest, « l’arbre de vie »

Alors que de nombreuses civilisations se sont effondrées les unes après les autres en surexploitant leurs ressources, il est scientifiquement reconnu que certains peuples autochtones sont les gardiens d’une sagesse ancestrale qui leur permettent de vivre durablement en accord avec leur environnement, et même en le régénérant.

Sur la côte Pacifique de l’Amérique du Nord, les premières nations entretenaient ainsi une relation quasi-symbiotique avec les forêts tropicales et tout particulièrement les majestueux cèdres rouges (thuya géant) et jaunes qui en faisaient partie.

« Pour de nombreuses Premières Nations, le thuya géant est considéré comme « l’arbre de vie » en raison de son importance spirituelle et matérielle. C’est dans les cèdres que nous sculptons nos canoës, nos totems et nos masques. Traditionnellement, de nombreuses Premières Nations côtières montraient leur respect envers le cèdre en demandant la permission de l’arbre avant de retirer son bois ou son écorce » explique ainsi la Nation Heiltsuk

Le bois du cèdre était utilisé pour fabriquer des canots, des pagaies, des planches et des poteaux de maison, des poteaux de totems et mortuaires, des boîtes en bois, des arcs, des masques, des bols et des plats.

L’écorce interne fibreuse était transformée en vêtements, chapeaux, nattes, masques, hochets, filets, ficelles, couvertures, couches, serviettes et cordes. Tandis que l’écorce externe grossière était utilisée pour fabriquer des matériaux de toiture, des écopes de canots et des couvertures de canots.

Les brins, ou rameaux flexibles qui pendent des branches principales, étaient appréciés pour fabriquer des cordes robustes, des pièges à poissons et des paniers. Même les racines étaient utilisées pour fabriquer des paniers et des berceaux.

Une sylviculture respectueuse et ingénieuse

Les cèdres géants avaient pourtant une répartition limitée en Colombie-Britannique. Pour les archéologues, cette rareté locale a peut-être été une source de motivation pour les premières nations d’adopter des pratiques sylvicoles vertueuses.

La nécessité d’écorcer de nombreux arbres chaque année, combinée à la longévité du cèdre qui peut vivre jusqu’à mille ans, signifiait que tout arbre accessible était susceptible d’être récolté plusieurs fois au fil des ans. Les autochtones ne pouvaient donc pas bêtement couper des arbres pour les exploiter, au risque d’éradiquer les alliés dont ils dépendent.

L’écorce et le bois du cèdre rouge de l’Ouest sont connus pour être résistants à la pourriture, ce qui explique qu’ils pouvaient être récoltés sur des arbres vivants, tout en étant durables et protecteurs dans leur utilisation comme toiture et parement, ainsi que pour les boîtes et paniers de stockage.

Les vanniers et les tisserands autochtones arrachent l’écorce de ces espèces à la fin du printemps et au début de l’été, en longues bandes effilées, en prenant soin de toujours laisser une partie de l’écorce vivante sur l’arbre pour faire passer les nutriments de haut en bas entre les aiguilles et les racines.

Les Haïdas, par exemple, avaient l’habitude de couper de grandes plaques d’écorce de cèdre rectangulaires dans des peuplements spéciaux de cèdre rouge de l’Ouest constitués de grands arbres droits avec des troncs inférieurs clairs et non ramifiés.

Ils aplatissaient les feuilles d’écorce avec des brochettes de saumoneaux (Rubus spectabilis) enfoncées à travers les couches de tissu d’écorce. En plus d’utiliser eux-mêmes ces feuilles d’écorce, les Haïdas en échangeaient avec les Nisga’a voisins et d’autres peuples.

Mais ce n’est pas tout. Des planches entières étaient aussi directement prélevées sur des arbres vivants et debout, sans les abattre, ni les tuer.

En Oregon, certains arbres ont été retrouvés vivants avec différentes cicatrices attestant le prélèvement de plusieurs planches sur un seul individu. Jusqu’à sept planches ont ainsi été prélevées sur le même arbre par la nation Chinook qui les utilisaient pour construire leurs maisons.

Pour prélever de longues planches droites de cèdre rouge, les autochtones utilisaient différents outils qu’ils fabriquaient eux-mêmes avec de la pierre et une série de coins gradués de bois dur, généralement en l’if de l’Ouest (Taxus brevifolia). Des coupes horizontales étaient pratiquées dans l’écorce en bas et en haut de la longueur souhaitée, puis la planche était arrachée de l’arbre.

Cette technique était aussi particulièrement utilisée sur les arbres déracinés naturellement, suite à des mouvements de terrain ou des tempêtes. Elle permettait d’économiser à la fois beaucoup de temps et d’énergie, mais surtout la vie d’un arbre.

Des pratiques similaires étaient également utilisées de l’autre côté de l’Océan Pacifique, par les aborigènes d’Australie.

Cèdre rouge Húy̓at dont une planche a été enlevée – Crédit : Julia Jackley

Un héritage qui perdure

De nos jours, les prélèvements d’écorce sur des cèdres rouges sont toujours pratiquées par les peuples autochtones, notamment pour l’artisanat.

Les méthodes qu’ils utilisaient naguère se retrouvent aujourd’hui à travers des cicatrices visibles sur certains arbres toujours vivants, des centaines d’années après, que les archéologues et ethnologues appellent des « arbres culturellement modifiés » (CMT).

En Colombie-Britannique, sur le cours inférieur de la rivière Skeena, dans le territoire traditionnel des Ts’msyen, plus de 1600 « arbres culturellement modifiés » ont été recensés. Leur densité varie de 27 à 46 individus CMT par hectare – une valeur élevée, mais en aucun cas sans précédent en Colombie-Britannique.

Encore mieux, alors que les peuples autochtones livrent toujours un combat sans merci aux gouvernements successeurs de leurs colonisateurs, la présence de CMT leur permet aujourd’hui de faire valoir leur droit à conserver leurs terres ancestrales.

Cèdre rouge Húy̓at avec un « trou d’essai » brûlé pour déterminer la solidité du bois intérieur. Crédit : Julia Jackley

C’est le cas de la première nation Tla-o-qui-aht qui a réussi à protéger 100% de son territoire des ravages et convoitises de l’industrie du bois qui voulait raser les forêts millénaires de Wah-nah-jus-Hilth-hoo-is (Meares Island) à l’extrême sud-ouest de l’île de Vancouver.

En 1984, le peuple Tla-o-qui-aht a ainsi repoussé avec succès l’entreprise forestière canadienne MacMillan Bloedel, qui envisageait de couper des forêts anciennes, y compris des arbres estimés âgés de plus de 1 000 ans. Il s’agissait du premier blocus majeur de l’exploitation forestière dans l’histoire du Canada et le début d’une série de blocages dans la baie Clayoquot connue sous le nom de « guerre dans les bois ».

Opposés aux coupes rases et à la destruction des arbres les plus anciens et les plus utiles, leur détermination sans faille leur a permis de récupérer la gestion de la forêt qui leur a été rendue par la province de Colombie-Britannique.

Les Tla-o-qui-aht vivent sur leur territoire depuis environ 10 000 ans. Dans les années 1600, un siècle avant l’arrivée des Européens sur cette côte, toute la nation dépendait du cèdre pour les vêtements, les outils, les bateaux et les maisons.

« Les montagnes étaient toujours luxuriantes. On ne pouvait pas deviner que nous récoltions des arbres pour construire des villages pour 10 000 personnes » explique ainsi Masso, directeur des terres et des ressources de la Première Nation Tla-o-qui-aht

Inspirés par leur réussite, d’autres nations tentent aujourd’hui leur chance. C’est le cas du peuple Nuchatlaht qui a recensé des milliers d’arbres culturellement modifiés répartis sur environ 100 sites de son territoire Nuchatlaht.

Le plus grand site comprend 2 700 arbres culturellement modifiés montrant comment les lobes des arbres ont guéri autour de l’écorce récoltée, créant des cicatrices qui remontent à des siècles.Les Nuchatlaht se battent aujourd’hui en justice pour obtenir une déclaration de titre ancestral sur les zones où se trouvent les arbres.

Sources : « The Cultural and Archaeological Significance of Culturally Modified Trees », 12.1998, by Arnoud H. Stryd, Ph.D Vicki Feddema, M.A., David Suzuki Foundation / « Cultural Management of Living Trees : an international perspective », Fall / Winter 2009, Nancy J. Turner, Yilmaz Ari, Fikret Berkes, Iain Davidson-Hunt, Z. Fusun Ertug and Andrew Miller, Journal of Ethnobiology 29(2) : 237-270 / « Plant management systems of British Columbia’s first peoples », Nancy J. Turner, Douglas Deur, and Dana Lepofsky, BC studies, no.79, Autumn 2013 /

Laurie Debove

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