Avec la disparition des forêts natives au profit des monocultures, la palette du vivant se rétrécit. Les papillons, jadis éclatants, virent au brun.
Les couleurs des papillons
Dans les forêts tropicales, la couleur n’est pas qu’un ornement. Elle régit les parades amoureuses, le camouflage, la régulation de la chaleur… Mais avec le remplacement progressif des forêts natives par des monocultures, cette diversité s’efface.
Les papillons qui peuplent ces milieux perdent peu à peu leur éclat. Sur le terrain, le contraste est frappant. Dans la forêt native d’Espírito Santo, au sud du Brésil, les lépidoptères déploient encore leurs ailes bleues, rouges et jaunes.
Mais, quelques kilomètres plus loin, sous les rangées uniformes d’eucalyptus, le paysage change. Les ailes deviennent brunes, grises, presque ternes.
« Les papillons qui disparaissent sont souvent les plus colorés, probablement à cause de changements dans l’environnement. Ils deviennent plus visibles pour les prédateurs. Mais ce n’est qu’une hypothèse », explique Marcio Zikan Cardoso, professeur d’écologie à l’Université fédérale de Rio, pour La Relève et La Peste.
Les chercheurs n’en sont qu’au début de leurs travaux. Mais cette “décoloration” révèle déjà un appauvrissement des interactions écologiques.
« La couleur, chez les papillons, est un trait biologique essentiel qui joue plusieurs rôles. La communication entre mâles et femelles, la relation (ou l’absence de relation) avec les prédateurs. Et même la régulation thermique », détaille Marcio Zikan Cardoso à La Relève et la Peste.
Comme la plupart des insectes, les papillons sont ectothermes. Leur température corporelle dépend de celle de l’air ambiant. Leurs ailes, couvertes d’écailles pigmentées, jouent un rôle essentiel dans cette régulation. Elles absorbent ou reflètent la chaleur selon les besoins.
Dans les paysages homogénéisés, la discrétion est une question de survie. Les espèces les plus voyantes sont les plus exposées et disparaissent en premier.
« Dans les plantations d’eucalyptus, les espèces brunes dominent », observe le professeur. Ces arbres couvrent aujourd’hui près de 22 millions d’hectares. Ces plantations figurent parmi les plus répandues au monde. Elles servent à produire papier, bois et charbon végétal. Au prix d’une forte uniformisation des paysages.
Reste à savoir si ces insectes adaptent réellement leurs couleurs à leur environnement. Ou si ce sont simplement les espèces les plus éclatantes qui disparaissent. Si évolution il y a, elle se joue lentement, au fil des générations.
« Nous collectons encore des données pour comprendre précisément comment ce changement s’opère », précise Marcio. Un exemple célèbre, observé au milieu du XXe siècle, est celui du phalène du bouleau. Lors de la révolution industrielle, ce papillon est devenu noir afin de se fondre dans les troncs couverts de suie.
L’illusion verte des monocultures
Et le protocole de recherche est aussi minutieux que respectueux du vivant. « Nous capturons les papillons, les plaçons au froid pour les calmer, puis photographions leurs ailes sous lumière visible et ultraviolette », explique-t-il. Les individus sont ensuite relâchés.
La simplification des milieux agit comme un tamis. « Nous pensons que les papillons généralistes, plus adaptables, survivent. Tandis que les spécialistes – dépendants d’un habitat précis – disparaissent », détaille le professeur pour La Relève et La Peste.
Ce processus s’observe à l’échelle mondiale. Le réchauffement des océans fait blanchir les coraux. La chaleur détruit les microalgues colorées qui vivent en symbiose avec eux. Résultat ? Les récifs perdent leurs teintes. Dans le même temps, les mers verdissent sous l’effet de la prolifération d’algues, encouragée par la pollution et le changement climatique.
Marcio tient un Morpho bleu
Marcio nuance toutefois la métaphore du blanchiment : « Les papillons ne deviennent pas blancs : ils virent au brun ou au gris, des couleurs de camouflage. Au lieu d’une variété de rouges, jaunes, blancs, noirs ou bleus, on observe surtout des teintes sombres ».
Les plantations industrielles sont plus chaudes, plus sèches, plus lumineuses, et offrent peu de micro-habitats. « Ces forêts plantées sont très homogènes. Elles n’ont pas la diversité de niches qu’offre une forêt native », rappelle Marcio pour La Relève et La Peste.
L’illusion verte des monocultures ne doit pas tromper. « Il ne faut pas croire que ces plantations préservent la biodiversité. La véritable biodiversité se trouve dans les forêts natives ».
« Plus nous protégerons, et parfois restaurerons, les forêts natives, plus nous préserverons non seulement les espèces, mais aussi les interactions complexes qui les lient », insiste-t-il.
Et c’est sans doute là l’essentiel. La couleur comme mesure sensible de la santé des milieux, et comme promesse, si nous lui rendons le décor, de revenir.
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