Cdiscount, eBay, Wish mais surtout Amazon… Alors que le Black Friday se tient aujourd’hui, une nouvelle étude économique vient confirmer ce que les associations Les Amis de la Terre, ANV-COP21 et Attac dénoncent depuis deux ans : l’expansion du e-commerce en France a détruit 81 000 emplois entre 2007 et 2018 et pourrait en détruire 68 000 de plus d’ici 2028. En plus, les grandes entreprises du e-commerce, Amazon en tête, sont accusées de profiter de fraudes massives à la TVA dont la perte globale pour l’Etat français s’élèverait entre 4 et 5 milliards d’euros en 2019. Face à ces conséquences économiques dévastatrices dans une période chaotique pour les petits commerces, les associations réaffirment leur exigence d’un moratoire sur la construction des entrepôts de e-commerce dans le projet de loi de la Convention Citoyenne pour le Climat.
81 000 emplois détruits entre 2007 et 2018
Le calendrier a été scrupuleusement choisi : alors que le Black Friday a été décalé au 4 décembre suite à la contestation de nombreux petits commerçants, déjà au bord de la faillite, les activistes d’ANV-COP21, Attac, Amis de la Terre et Action Climat Paris ont mené une action de détournement devant le ministère de l’économie et des finances.
Ils dénoncent la collusion irresponsable du gouvernement français avec l’implantation d’Amazon à marche forcée sur le territoire, malgré des conséquences économiques et environnementales désastreuses. L’argument de la création d’emplois était celui souvent brandi par la majorité et les élus en faveur, une étude menée par les économistes Florence Mouradian et Ano Kuhanathan vient définitivement tordre le cou aux idées reçues :
Au total, pour le commerce non-alimentaire au sens large, si l’on établit le solde des créations/destructions pour les commerces de détail et de gros, la France et l’Allemagne ont, tous deux, perdu plus de 80 000 emplois entre 2009 et 2018.
Fait notable : en France, seules les grandes entreprises (plus de 250 employés) du commerce non-alimentaire de détail et de gros ont réussi à créer des emplois sous l’effet du e-commerce. Mais chaque emploi créé en a détruit près de 2 dans les entreprises de taille plus modeste : les petits commerces sont donc les grands perdants de cette lutte alors qu’ils représentent 72% de l’emploi dans le commerce en France !
« Les résultats de cette étude sont la preuve que l’écologie et l’économie ne sont pas divisées. On le démontre ici par un constat fort, il faut maintenant sortir de ce clivage artificiel créé par des entreprises qui cherchent à justifier leurs pratiques alors qu’elles détruisent massivement des emplois au nom du libre-marché ! De plus, il s’agit d’un scénario optimiste, ils n’ont pas inclus dans ces variables tout ce qui n’est pas encore modélisé, comme l’expansion de la robotisation ou les licenciements massifs qui ont eu lieu dans le secteur du textile. Aux Etats-Unis, tout le monde a conscience que les petits commerces ferment à cause du e-commerce, chez eux aussi le secteur du textile est le plus touché. Il y a des concordances tellement fortes qu’il faut arrêter de nous dire que ça n’a rien à voir ! » réagit Alma Dufour, porte-parole des Amis de la Terre France, pour La Relève et La Peste
Aux Etats-Unis, les experts et journalistes parlent ainsi de retail apocalypse pour désigner le phénomène de de faillites en chaîne et de disparition des enseignes du commerce traditionnel.
Une fraude massive à la TVA
Publiée hier, une note d’Attac vient également calculer la perte de ressources financières causées par la fraude massive à la TVA des enseignes de e-commerce. Ce travail fait suite au rapport de l’Inspection générale des Finances (IGF), qui tirait elle-même la sonnette d’alarme dès fin 2019, en estimant que 98 % des vendeurs étrangers actifs contrôlés sur les plateformes de e-commerce n’étaient pas immatriculés à la TVA en France et ne reversaient donc pas la taxe due à l’État.
Résultat, le montant global de la fraude à la TVA dans le secteur du e-commerce des biens s’élève entre 4 et 5 milliards d’euros en 2019. Attac estime que la fraude à la TVA opérée sur la seule marketplace d’Amazon, en 2019, prive l’Etat d’1 milliard d’euros de recettes publiques par an.
Annick Coupé, secrétaire générale d’Attac France, précise : « Cela s’ajoute à l’évasion fiscale massive pratiquée par Amazon, qui échappe à l’impôt sur les sociétés en délocalisant ses profits au Luxembourg. Il est urgent que l’Etat fasse payer sa juste part d’impôt à Amazon. Dans l’urgence, nous proposons une taxe exceptionnelle sur le chiffre d’affaires d’Amazon et des autres profiteurs de la crise qui permettrait de financer les mesures de préservation de l’emploi et le fonds de solidarité pour les commerces de proximité ».
Ces informations nous parviennent dans le cadre d’une semaine de mobilisation #StopAmazon au cours de laquelle des dizaines d’actions ont été menées et plusieurs dizaines d’autres sont prévues aujourd’hui dans toute la France.
Un moratoire pour en finir avec la connivence du gouvernement
Ce vendredi 4 décembre, jour du Black Friday, des activistes d’ANV-COP21, Attac, Amis de la Terre et Action Climat Paris ont ainsi mené une action de détournement devant le ministère de l’économie et des finances pour dénoncer la connivence du gouvernement avec le géant du e-commerce.
« Avec cette action réalisée à Paris et les dizaines d’autres organisées partout en France, les militants souhaitent mettre un coup de projecteur sur la responsabilité du Gouvernement et d’Emmanuel Macron dans le développement du modèle Amazon en France et ses conséquences. En toute connaissance de cause, Emmanuel Macron favorise l’implantation massive d’Amazon sur le territoire français depuis son passage au ministère de l’économie. Sa collusion avec le géant de Seattle est dévastatrice pour l’emploi, les commerces et le climat et ne peut plus durer ». explique Sandy Olivar Calvo, porte-parole d’ANV-COP21
Le gouvernement a fermé les yeux tellement longtemps sur les conséquences économiques réelles du e-commerce que les associations, de guerre lasse, ont dû commander et financer elles-mêmes l’étude, aidées financièrement par l’enveloppe budgétaire parlementaire de Leïla Chaibi, eurodéputée La France Insoumise au Parlement Européen.
Les associations et le groupe d’opposition politique ont ainsi dû pallier à la carence de l’Etat pour obtenir des informations fiables et précises sur l’impact du e-commerce.
Pour les associations, le gouvernement français doit aujourd’hui prendre acte de la réalité délétère du e-commerce dans le pays, et enfin instaurer un moratoire sur les zones commerciales incluant les entrepôts de e-commerce comme le demande la Convention Citoyenne pour le Climat.
Pour l’instant, cette condition est toujours exclue par le gouvernement qui mène des arbitrages concernant les zones commerciales sans inclure la société civile. La Convention Citoyenne pour le Climat a ainsi été surprise d’apprendre qu’elle était invitée à une série de réunions plutôt qu’à une vraie concertation sur la loi comme cela avait été promis.
« Cela fait six mois que le gouvernement ne nous répond plus sur la demande de moratoire ! C’est complètement verrouillé, ce qu’on observe c’est que la majorité resserre les rangs à l’approche des élections, ce dialogue qui n’a jamais vraiment existé est complètement rompu aujourd’hui. On va donc mettre la pression sur les députés En Marche avec des opérations d’affichage sauvage sur leurs antennes parlementaires dans toute la France pour les mettre face à la population et aux petits commerces de leur circonscription. Soit on arrivera à les faire plier et ils vont se désolidariser du gouvernement, soit ils vont continuer à reprendre les éléments de langage de la majorité présidentielle. Les élections législatives ont lieu dans deux ans, c’est important pour les petits commerces de savoir qui protègent réellement leurs intérêts. » analyse Alma Dufour, porte-parole des Amis de la Terre France, pour La Relève et La Peste
Ce nouveau rapport paraît dans un contexte particulièrement difficile pour les petits commerçants, mis en grande difficulté par les confinements à répétition. A court terme, des dizaines de milliers d’emplois sont déjà menacés, même sans Amazon.
Les prochaines semaines seront décisives pour rétablir l’équilibre et pousser la demande de moratoire. Les associations appellent donc la population à prendre connaissance de l’étude et appuyer le moratoire dans le cadre du projet de loi de la Convention Citoyenne pour le climat. « Il faut que le gouvernement stoppe Amazon avant qu’il ne soit trop tard ! » concluent-elles.
crédit photo couv : Portrait de Jeff Bezos, PDG d’Amazon, par Elif Ozturk / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP