Dans un nouveau rapport nommé « Climat, l’argent du chaos », Greenpeace France propose une solution radicale : interdire aux entreprises de verser des dividendes tant qu’elles ne respectent pas l’Accord de Paris sur le climat. Aux objectifs climatiques est étroitement liée la question de la justice sociale.
Des dividendes climaticides
En période de crise économique et sanitaire sans précédent, le versement des dividendes ne finit plus de faire couler de l’encre. Cette fois-ci, c’est un rapport de Greenpeace, paru ce jeudi 7 mai, qui révèle le lien entre la pollution émise par une entreprise et l’argent versé à ses actionnaires : sans surprise, les entreprises les plus polluantes sont ainsi celles où les investisseurs engrangent des profits records.
Selon les calculs de l’ONG, les dix sociétés les plus polluantes du CAC 40 ont émis 3,1 milliards de tonnes d’équivalent CO2 et versé près de 20 milliards d’euros de dividendes en 2018. Cette année-là, les entreprises du CAC 40 ont émis un total de 3,2 milliards de tonnes d’équivalent CO2 émis pour 51 milliards de dividendes versés en 2018 !
« Pour ArcelorMittal, les banques comme la Société Générale et BNP Paribas, mais aussi Total, un actionnaire qui toucherait 100 euros de dividendes présenterait ainsi une empreinte carbone supérieure à celle d’un Français moyen sur une année (12,2 tCO2eq). Les dividendes versés par les multinationales ont donc un impact incontournable et dramatique sur le climat. » dénonce Greenpeace dans son rapport
Total a beaucoup fait parlé d’elle ces derniers temps en gardant comme ligne de conduite le versement des dividendes à ses actionnaires, quoi qu’il en coûte. En raison du ralentissement de l’activité économique et de la guerre des prix sur le marché du pétrole, le résultat net de Total s’est effondré de 99% au premier trimestre 2020, passant en un an de 3,1 milliards d’euros à 34 millions d’euros. Les actionnaires, eux, ont déjà touché 1,8 milliard d’euros et devraient recevoir un total de 7 milliards d’euros.

Rompre le lien toxique entre marchés financiers et activités climaticides
En France, sur la base des données disponibles, seules 13 entreprises du CAC 40 ont effectivement réduit leurs émissions de gaz à effet de serre entre 2016 et 2018. Et pour cause, les législations ne sont pas assez contraignantes et reposent seulement sur l’engagement et la « bonne volonté » des entreprises polluantes.
« Ce rapport démontre l’addiction au capital financier de ces entreprises polluantes. Avec la crise, l’État a bloqué le versement des dividendes pour certaines aides seulement – par circulaire en plus, pas par une loi –, ce qui montre que ça n’est pas impossible. Mais Bruno Le Maire s’est bien gardé de fixer une interdiction ferme. On a des dirigeants néolibéraux gênés aux entournures qui essayent de trouver une voie à moyen terme, mais on arrive sur une action publique défaillante. Vivendi, par exemple, a bénéficié du chômage partiel et a décidé en avril une augmentation de 20% des dividendes. Les entreprises profitent de la solidarité collective, dans un contexte de récession économique et continuent d’accroître l’enrichissement des actionnaires. » explique Clément Sénéchal, porte-parole climat à Greenpeace France, pour le magazine Regards
Face à ce dysfonctionnement, Greenpeace lance une campagne pour interdire le versement des dividendes aux actionnaires pour les entreprises dont les activités contreviennent aux objectifs de l’Accord de Paris. Au bout : un projet de loi transversale qui fixerait des les objectifs de réduction d’émissions pour toutes les entreprises, en premier lieu pour celles concernées par le devoir de vigilance.
Pour que ce dispositif soit vraiment contraignant, Greenpeace France propose de créer un corps de « commissaires aux comptes carbone » ainsi qu’une autorité administrative indépendante ayant des pouvoirs d’enquête, de poursuite et de sanction à l’encontre des entreprises récalcitrantes. Une proposition radicalement opposée à la stratégie gouvernementale actuelle, alors que l’Etat français vient d’accorder 20 milliards d’euros pour sauver les grandes entreprises sans contrepartie.
Pour l’ONG, cette tendance est une erreur majeure. En effet, l’Etat est en position de force pour la première fois depuis 2008, il s’agit donc de ne pas répéter les mêmes erreurs, et encore moins de « solder une crise conjoncturelle en aggravant une crise structurelle. »
crédit photo couverture : Visite de Patrick Pouyanné, PDG de TOTAL à l’Ecole polytechnique le 24112017 – © École polytechnique – J.Barande