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« Le gouvernement français fait du sabotage écologique et social ! »

"Nous vivons une période de ré-adaptation militante car le contexte sanitaire l’oblige, et nous sommes assez consternés de voir à quel point les mesures sanitaires sont instrumentalisées pour être répressives."

Alors que la répression étatique augmente à l’encontre des mouvements citoyens contestataires et qu’il devient de plus en plus compliqué de s’organiser politiquement en période de restrictions sanitaires, nous avons réalisé cet entretien avec Elodie Nace, porte-parole des mouvements citoyens Alternatiba et d’Action Non-Violente COP21 (ANV-COP21), engagée dans de nombreuses luttes écologiques et sociales sur le territoire français : les villages des alternatives, des marches climat, des actions contre l’extension des aéroports, le décrochage des portraits d’Emmanuel Macron dans les mairies pour dénoncer le manque d’efficacité de sa politique climatique et environnementale, etc. Elle nous explique ici comment allier justice sociale et environnementale en ces temps confinés.

LR&LP : Elodie, pouvez-vous vous présenter et présenter les mouvements dont vous êtes porte-parole pour ceux qui ne vous connaissent pas ?

Elodie Nace : Je suis Elodie Nace, l’une des porte-parole des mouvements Alternatiba et ANV-COP21. Nous sommes un mouvement très vaste dans lequel il y a beaucoup de personnes impliquées et de porte-paroles.

En résumé, ces mouvements luttent pour la justice climatique : contre l’élévation des températures bien entendu, que ce soit +2°C +3°C +4°C ou +7°C pour les prévisions les plus apocalyptiques ! Mais aussi pour la façon dont nous habitons la Terre et dont nous vivons afin que notre mode de vie soit vivable pour toutes et tous, pour les générations futures et présentes.

Ces mouvements se caractérisent par la volonté de montrer que des alternatives sont possibles, et qu’elles peuvent se développer à l’échelle d’un territoire. Notre résistance et dénonciation du système actuel s’exerce via la désobéissance civile où l’on va nommer des responsables du dérèglement climatique avec la volonté de rendre visible un conflit ou une situation anormale qui est méconnue au quotidien.

Elodie Nace lors de la Marche pour Adama, photo prise à Beaumont-Paris le 18.07.2020 par Basile Mesré-Barjon.

En juillet 2020, la Génération Climat a marché avec la Génération Adama pour dénoncer les violences policières et réclamer justice. Plus récemment, vous avez participé à un weekend particulier : la « Rencontre des Justices », un mouvement apartisan, de réflexion, de solutions et de pression, issu de la société civile ; visant à réconcilier à la fois l’urgence environnementale avec les urgences sociales, mais aussi les modes d’actions de l’Économie sociale et solidaire avec ceux des activistes. Vous avez notamment participé à la table-ronde « Des Grandes marches qui font pression pour un monde plus juste », où en est la « convergence des luttes » selon vous ? Est-ce encore une belle intention ou des rapprochements sont-ils plus solides qu’avant ?

La notion de justice climatique mise en avant par les ONG et les mouvements climat dans le monde entier ne parlait pas concrètement aux gens. Puis, au moment de l’essor des marches pour le climat en France, en septembre 2018, les Gilets Jaunes sont apparus. Si certaines organisations écolo les ont d’abord considéré comme des adversaires qui étaient contre la taxation carbone, elles se sont ensuite interrogées sérieusement sur leur raison d’être.

Très rapidement, de nombreux sociologues et organisations ont réalisé que les Gilets Jaunes sont le symbole d’une première crise sociale et écologique, ce qui faisait de leur mouvement l’incarnation-même de la notion de justice climatique.

Les organisations écolo ont alors vraiment pu intégrer le besoin de grandes réformes devant répondre à des enjeux de justice sociale, et s’en est suivi la nécessité et la volonté de faire du lien avec le mouvement des GJ, comme la figure de Priscillia Ludosky avec qui on s’est rendu compte qu’on partageait beaucoup de choses en apprenant à se connaître et voir ce qu’on pouvait faire ensemble.

Avec le comité Adama, c’est un peu ce qu’il s’est passé aussi. La marche du siècle du 16 mars 2019 a été une grande date de rassemblement des GJ et de la marche des solidarités contre les violences policières. On avait discuté avec les organisateurs de la marche des solidarités en leur proposant d’intégrer la marche du siècle.

A ce moment-là, ils ont refusé en expliquant qu’ils avaient peur que leur combat soit invisibilisé par la marche pour le climat. C’était un indice assez important de se rendre compte de ce que peut être une alliance, comment converger sans invisibiliser certaines luttes et occuper l’espace médiatique à leur dépens.

C’est pourquoi, ce jour-là, on a donné la parole sur scène Place de la République aux représentants de ces mouvements : Priscillia Ludosky et François Boulo pour les GJ, Assa Traoré et Ramata Dieng pour la marche des solidarités, et c’était important de le faire.

A partir de là, nous sommes restés en lien avec le comité Adama et avons appris à nous connaître. Nous sommes des mouvements différents qui n’avons pas le même vécu, mais de nombreux liens et rencontres avec Fatima Ouassak nous ont aidé à mieux nous comprendre.

Le 14 mars 2020 devait être un moment assez important, pour ouvrir grand la porte sur l’écologie populaire, qui a été stoppé par le confinement. L’alliance très visible que nous avons témoigné le 18 juillet 2020 à la Marche pour Adama ne part pas de nulle part, c’était pensé en amont.

Ces deux exemples montrent le type d’alliance puissante que l’on veut construire, et que notre objectif n’est pas de converger « juste pour le principe ». Il faut donc savoir créer des alliances de mouvements qui reconnaissent le travail des uns et des autres et qui aient un message commun.

Finalement, ce qu’on veut tous, c’est un monde égalitaire, qui éradique les discriminations et les oppressions et permette de vivre sans la menace de la crise climatique.

Pour y parvenir, l’alliance des luttes est fondamentale et la question devient : comment, à partir d’alliances de mouvements aussi forts, on peut petit à petit mener un vrai projet politique commun qui ne soit pas juste un moment de protestation dans la rue ?  

Marche pour Adama, photo prise à beaumont-paris le 18.07.2020 par Basile Mesré-Barjon.

Pendant le confinement, une vingtaine d’organisations syndicales, associatives et environnementales se sont unies pour lancer la pétition « Plus Jamais ça ! », avec 34 propositions de mesures pour une sortie de crise, et lancer un appel « à toutes les forces progressistes et humanistes […] pour reconstruire ensemble un futur, écologique, féministe et social, en rupture avec les politiques menées jusque-là et le désordre néolibéral ». Serait-ce le début de ce projet politique commun ?

C’est certainement le début de quelque chose d’assez incroyable : des syndicats qui s’allient à des écolos ! Les mouvements Alternatiba et ANV-COP21 ont été intégré au projet a posteriori, mais nous le soutenons pleinement. Il fait partie de l’émergence de plein d’initiatives en ce sens comme le Conseil National de la Nouvelle Résistance, 2022 en commun, etc.

Je pense que c’est clairement l’ambition de ces différentes initiatives, on sent dans l’ensemble des mouvements de gauche écolo que quelque chose se passe. On est dans un moment tellement charnière pour le climat et la biodiversité, et le quinquennat de Macron a été assez terrible.

Les décrocheurs de portraits dénonçaient l’inaction climatique du gouvernement mais maintenant on est plutôt sur du sabotage écologique et social ! Les milliards accordés pour l’industrie aéronautique et automobile sans aucune contrepartie sociale ou écologique en sont un exemple frappant.

A un moment, on se retrouve bloqué par une institution incarnée par Emmanuel Macron, il y a donc besoin que le peuple reprenne le pouvoir, tout simplement.

Le weekend du 17 octobre a été particulièrement actif sur les sujets de justice avec la Marche des solidarités, pour la régularisation des personnes sans-papiers et l’accès à un logement pour tou.te.s, qui a fait son arrivée à Paris ; les rassemblements dans toute la France pour la Journée mondiale du Refus de la misère 2020. En ces moments tragiques où la peur du terrorisme encourage les amalgames et les idées fascistes les plus dangereuses, comment les luttes pour le climat peuvent-elles se montrer solidaires des luttes pour la justice ?

Soutenir à distance, être un allié qui laisse la parole. Réaliser à quel point nous avons de la chance d’avoir un écosystème hyper riche, une société civile très foisonnante, dans lequel de très nombreuses organisations sont capables de monter des mobilisations aussi importantes.

Les trois sujets sont intrinsèquement liés à la lutte climatique à travers cette fameuse notion de justice climatique, la façon de l’incarner dans ces différents sujets. Il ne faut pas laisser la peur du terrorisme et les amalgames prendre le pas sur ce que révèle cette tragédie des vrais dysfonctionnements du système.

Par exemple, sur les nombreux dysfonctionnements qu’a révélé la pandémie, on a vu à quel point l’hôpital public est en souffrance. Ce qu’il faut regarder aujourd’hui, c’est comment fonctionne le système éducatif et ce dont il a besoin.

Nous traversons actuellement une période sanitaire exigeant des mesures particulières, soumises à de nombreuses critiques comme le couvre-feu dans certaines grandes villes, et un nouveau confinement, qui risquent d’entraver toute forme de contestation politique et sociale. Comment s’organisent les manifestations et les actions dans ces cas-là ?

Dès le premier confinement, on a réfléchi à la façon de changer nos modes d’action, c’était un moment compliqué car notre moyen d’action passe beaucoup par le corps, la façon dont on va s’accrocher les uns les autres donc ça nous oblige à repenser à l’extérieur.  

Nous avons également des Bases, lieux de militantisme, dans plusieurs villes. Ces différents lieux se sont ré-inventés pour proposer une programmation en ligne et des actions de solidarité : des maraudes dans le quartier, des collectes de biens alimentaires et non alimentaires pour les redistribuer, etc. Des actions qui sont différentes des marches pour le climat mais plus en lien avec la solidarité et les dynamiques dans nos quartiers respectifs. Les Bases ne doivent pas juste être un lieu de conférences mais aussi des lieux d’actions.

2019 a été une année militante incroyable dans le sens où il y a la plus grande marche pour le climat, la plus grande mobilisation féministe, et la plus grande marche antiraciste. Cette effervescence des mouvements sociaux a été freinée par la covid et ils doivent maintenant se réinventer.

Mais parce qu’ils ont eu lieu, c’est beaucoup plus facile maintenant de parler d’écologie populaire, car tout le monde a déjà conscience des enjeux environnementaux, et de faire le lien avec le féminisme.

Nous vivons une période de ré-adaptation car le contexte sanitaire l’oblige, et nous sommes assez consternés de voir à quel point les mesures sanitaires sont instrumentalisées pour être répressives.

Si on prend l’exemple de notre action contre l’aéroport de Roissy, une partie des activistes ayant pénétré sur le tarmac ont été arrêtés comme on s’y attendait ; mais une autre partie s’est rassemblée dans l’aéroport en respectant toutes les mesures sanitaires et a tout de même reçu une salve d’amendes aux justifications législativement floues !

Des rassemblements sont empêchés ou interdits, et on a l’impression que ces décisions sont prises en fonction du sujet des manifestations. Difficile de comprendre comment les commémorations peuvent être autorisées mais pas l’expression de l’opinion publique sur d’autres sujets.

C’est ce même constat que nous a fait remonter la LDH qui a dressé une étude de ce qu’il s’est passé pendant le confinement et à quel point les chiffres de contrôle d’identité et de sanctions ont été multipliés dans les quartiers tandis que certains ont été placés en GAV pour une simple banderole à la fenêtre !

Le samedi 3 octobre a l’aéroport Roissy Charles de Gaulles, une centaine de militants écologistes a fait irruption sur le tarmac pour exiger la réduction du trafic aérien, la fin des projets d’extension d’aéroports, le développement des transports alternatifs et la reconversion des emplois du secteur. Cette action menée par Alternatiba, Greenpeace, Extinction Rebellion et une dizaine d’autres associations s’est soldée par une centaine de personnes interpellées et placées en garde a vue.

Pendant l’action sur les aéroports, 137 personnes ont été interpellées et placées en garde à vue à Paris et Bordeaux, dont 5 journalistes et 5 scientifiques. De leur côté, les décrocheurs de portraits d’Emmanuel Macron subissent une série de procès dont le dernier a eu lieu le 22 octobre pour 7 décrocheur·ses de portraits parisien·nes condamné·es à 500€ d’amende chacun·e. Observez-vous une montée en puissance de la répression contre les associations et militants écologistes ? Comment y faites-vous face ?

Il y a 81 personnes convoquées dans 35 procès qui ont eu lieu ou sont prévus dans le cadre de la campagne des décrocheurs de portrait, c’est énorme … pour des portraits à 8,70€ ! Mais finalement, la répression judiciaire est une tentative de nous faire taire qui donne de l’importance à nos actions.

C’est bien la preuve qu’on a touché juste : en allant décrocher les portraits, on touche à l’image du Président et il n’y aurait peut-être pas eu de vague médiatique dessus s’il n’y avait pas eu de répression et de procès.

Dans ce cas-là, la non-violence ne nous protège pas de la violence policière ou judiciaire, et c’est difficile d’y faire face quand c’est la première fois pour certaines personnes, et même pour celles qui ont plus d’expérience militante. Subir une perquisition, être placé en garde-à-vue et interrogé par la police peut être très dur et avoir un impact sur leur vie personnelle et professionnelle, on n’est jamais totalement préparés à ça.

Cela entraîne aussi des frais d’argent, même si certains avocats sont bénévoles, car c’est un énorme travail de défendre plusieurs personnes dans des affaires judiciaires. Nous sommes en train de vivre des procès-baillons qui nous obligent à passer d’un petit groupe militant à une association très structurée capable de prendre en compte ces questions-là et trouver des ressources financières pour y faire face.

Nous sommes dans un contexte où le droit est très flou, et des militants viennent d’être condamnés à 500€ d’amende pour vol, alors que pour nous, ces portraits sont simplement réquisitionnés et seront rendus quand Emmanuel Macron tiendra ses promesses.

C’est un défi important mais nécessaire pour qu’on puisse utiliser ces procès comme des tribunes politiques pour alerter sur les effets du dérèglement climatique en invitant des experts à témoigner comme Christophe Cassou, climatologue au CNRS,Jean-Pascal van Ypersele, ancien vice-président du GIEC, ou Cécile Duflot, directrice d’Oxfam France.

Enfin, la crise économique et sanitaire actuelle donne l’impression de subir un matraquage d’alertes et mauvaises nouvelles. Comment éviter de sombrer dans un état de sidération et pourquoi continuer à lutter pour un monde plus écologique et solidaire ?

Quand il y a eu le début de la crise sanitaire, elle a pris beaucoup d’espace dans les médias et en discutant cet été avec certains journalistes, ces derniers nous expliquaient que plus personne n’a envie de parler du climat.

Mais nous avons observé l’inverse : de plus en plus de monde souhaite passer à l’action, nous avons de nouvelles recrues chaque semaine, les camps climat ont rassemblé bien plus de monde que l’année dernière. C’est juste que c’est difficile de réaliser combien nous sommes car on n’a plus de moment où l’on peut tous se rassembler et se compter.

Les marches climat ne remplissaient pas tous les objectifs mais avait une valeur fédératrice primordiale qui permet de ne pas se sentir isolé et de réaliser à quel point nous sommes unis. Nous savons que nous nous sommes engagés dans une lutte au temps long, un marathon où chaque action à sa petite importance.

Malgré le contexte difficile, voir cette émulation me remplit d’optimisme, tout comme le fait de créer des liens avec d’autres mouvements et d’autres personnes. Cela montre qu’il y a toujours une montagne à gravir mais qu’on est de plus en plus nombreux à s’encorder pour la franchir.

Vous pouvez retrouver le parcours d’Elodie Nacé et la naissance du mouvement climat dans le documentaire « Désobéissant-es ! » visible en ligne sur Arte.

Laurie Debove

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