Du 24 au 28 novembre, Nestlé Waters sera jugé par le tribunal correctionnel de Nancy pour quatre décharges sauvages dans les Vosges, qui ont entraîné une pollution massive aux microplastiques des eaux et des sols.
La pollution de décharges sauvages de Nestlé
Une récente enquête de Mediapart a révélé que ces décharges, dues aux déchets industriels des usines d’embouteillage de la multinationale, ont entraîné des taux de pollution aux microplastiques « exorbitants » dans les eaux Contrex et Hépar du groupe.
Ces quatre décharges se situent à Contrexéville, They-sous-Montfort, Saint-Ouen-lès-Parey et Crainvillers et cumulent plus de 450 000 m3 de déchets, soit l’équivalent de 126 piscines olympiques. Ces collines de plusieurs mètres de haut sont constituées d’un amas de bouteilles en plastique, de bouteilles en verre, de matériaux divers…
L’accumulation de ces déchets a commencé à la fin des années 1960, alors que la première bouteille d’eau en plastique a été commercialisée en 1968 par Vittel. Du PVC est alors utilisé.
« Le processus d’embouteillage avec le PVC a été long à maîtriser, occasionnant de nombreux déchets liés notamment aux bouteilles non utilisables qui ont été jetées dans la nature. Selon les témoignages que j’ai pu recueillir, cette accumulation de déchets s’est arrêtée lorsque les industriels sont passés au PET au début des années 1990, avec des processus bien mieux maitrisés », rapporte Bernard Schmitt, porte-parole du collectif Eau 88, pour La Relève et La Peste.
« Il faut mettre dans le contexte de l’époque et sur la façon dont on voyait le plastique, on pensait peut-être qu’il était inaltérable », tente-t-il de comprendre, évoquant néanmoins un avis de l’Académie de médecine de l’époque mettant en garde contre les bouteilles en plastique pour l’eau.
En 1969, Nestlé possédait 30 % du capital de la société des eaux de Vittel, avant de racheter Vittel en 1992, héritant par la même occasion de ces décharges sauvages, sans pour autant mettre en place de mesures efficaces pour nettoyer ces sites, laissant les microplastiques se propager dans l’environnement au fil des années.
Nestlé tente de se dédouaner en indiquant que la société n’était pas propriétaire des sites au moment de l’accumulation des déchets, malgré sa responsabilité indéniable du fait que l’entreprise en est le propriétaire actuel.
Des citoyens ont alerté dès 2014 sur la présence de ces décharges sauvages, mais c’est en 2021 que la prise de conscience du phénomène prend de l’ampleur, avec notamment la publication du rapport de la commission d’enquête parlementaire présidée par Mathilde Panot (députée LFI) sur la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés, la publication de deux enquêtes journalistiques du collectif We report, dans Libération puis dans Mediapart, et le dépôt de plainte à l’encontre de Nestlé.
Décharge sauvage de Nestlé Waters dans les Vosges – Crédit : Bernard Schmitt
Un procès dont l’intérêt sera surtout médiatique
« Le pôle régional environnement du parquet de Nancy s’est auto-saisi du dossier en juin 2021 », raconte Bernard Schmitt. « Nous l’avons rejoint en portant plainte également et en nous constituant partie civile. »
Le procès devait initialement se tenir en mai, mais a été reporté, notamment du fait d’un grand nombre de témoins justifiant un procès sur cinq jours au lieu de trois.
Aussi mis en cause pour le traitement illégal de ces eaux et des forages illégaux, Nestlé avait réussi à échapper à un procès en concluant avec le parquet d’Épinal une Convention judiciaire d’intérêt public (CIJP).
« Nous avons l’habitude que Nestlé échappe aux foudres judiciaires », souligne Bernard Schmitt, qui ne peut s’empêcher de voir dans ce report « une manœuvre d’évitement ». « Nous avons la désagréable impression que l’État est en marche pour de nouveau protéger Nestlé. »
Quoi qu’il en soit, poursuit-il, ce procès aura le mérite de mettre ce sujet à l’actualité médiatique. Mais le porte-parole du collectif Eau 88 n’en attend pas beaucoup plus.
« Pour en avoir discuté avec des juristes et notre avocat, Nestlé ne risque pas grand-chose, car aujourd’hui, il n’y a pas de normes sur le plastique. Un procès sans normes, c’est compliqué », indique-t-il.
« Il faut sans doute partir sur le délit d’écocide, pour lequel un particulier risque 150 000 euros d’amende et une personnalité morale, comme Nestlé, risque au maximum 750 000 euros, ce qui ne représente rien pour une société comme Nestlé. »
Bernard Schmitt aimerait également que ce procès débouche sur une obligation pour Nestlé de dépolluer ces sites en profondeur, conscient néanmoins de la difficulté d’une telle manœuvre, alors que certains déchets sont enfouis très profondément. Ceci explique que jusqu’à maintenant Nestlé n’a procédé qu’au nettoyage de la partie visible des décharges.
« Mais même ce nettoyage superficiel n’a pas été fait pour tous les sites. L’un des sites, proche de chez moi, est facilement accessible : rien n’a été évacué », précise Bernard Schmitt, qui soulève également la question du devenir de ces déchets.
Décharge sauvage de Nestlé Waters dans les Vosges – Crédit : Bernard Schmitt
D’autres décharges sauvages à déplorer
Les autres décharges sont inaccessibles, comme celle de Saint-Ouen-lès-Parey située dans un terrain privé. « Nous y avons accédé pour montrer les déchets à des journalistes en commettant une infraction en réunion avec dégradation », explique Bernard Schmitt, mis en examen depuis 2021 pour ce délit.
D’autres lanceurs d’alerte font également l’objet de procédures, sans qu’elles n’aboutissent. « Je pense qu’ils n’oseront pas mais nous, on rêve d’avoir un procès », indique-t-il, afin de braquer les projecteurs sur ce scandale.
Si Nestlé est la seule entreprise à faire l’objet d’un procès à l’heure actuelle, elle n’est pas pour autant la seule à être responsable de décharges sauvages. En mars 2022, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) a découvert des déchets plastiques à proximité d’une ancienne usine d’embouteillage des eaux Volvic, du groupe Danone. « Ce sont les mêmes époques, avec les mêmes procédés qui ont été utilisés », précise Bernard Schmitt.
En amont du procès de novembre, le collectif Eau 88, qui réunit quatre associations – Vosges Nature Environnement, Oiseaux Nature, Association de sauvegarde des vallées et de prévention des pollutions, UFC-Que choisir -, organisera une série de conférences ainsi qu’une manifestation à Nancy pour sensibiliser au sujet et mobiliser la population.
« Nous allons monter un média éphémère pour interviewer des gens tous les jours à l’entrée et à la sortie du tribunal. Nous souhaitons donner une dimension médiatique la plus importante possible », souligne le porte-parole.
Contacté, Nestlé n’a pas donné suite à notre sollicitation à ce jour.
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