Dans un rapport publié ce lundi 5 juillet, la Cour des comptes européenne sonne l’alerte : « Le contribuable européen paie trop souvent la note à la place du pollueur. » La raison : le principe pollueur-payeur n’est pas assez souvent appliqué dans les domaines de la pollution industrielle, des déchets, de l’eau et des sols. Ainsi, les seuls coûts de la pollution résiduelle non prise en charge par les industriels se chiffrent en « centaines de milliards d’euros » pour les contribuables européens.
Pollueurs mais pas payeurs
La pollution coûte cher aux citoyens de l’UE. Si le coût total de la pollution pour la société n’a jamais fait l’objet d’une évaluation complète, une étude réalisée en 2019 estime que les coûts et les bénéfices perdus du fait du non-respect des exigences prévues dans la législation environnementale de l’UE sont d’au moins 55 milliards d’euros par an.
Pourtant, le principe du pollueur-payeur, instauré en 1972 par l’OCDE, est censé faire supporter les coûts engendrés par la pollution résultant de leurs activités aux pollueurs, y compris en matière de prévention, et non aux contribuables comme c’est le cas actuellement.
Face à cet échec, la Cour des comptes européenne (CCE) a donc évalué si ce principe est correctement appliqué dans quatre domaines de la politique environnementale de l’UE : la pollution industrielle, les déchets, l’eau et les sols. Ses conclusions ont été rendues dans un rapport publié ce lundi 5 juillet.
En premier lieu, la CEE dresse un bilan environnemental des efforts à fournir pour que les citoyens européens aient tous accès à un environnement sain. Dans l’UE, 26 % des masses d’eau souterraines doivent encore atteindre un « bon état chimique », et environ 60 % des eaux de surface (rivières, lacs, eaux de transition et eaux côtières) ne sont pas en bon état chimique et écologique.
« L’UE compte environ 2,8 millions de sites potentiellement contaminés, principalement par l’activité industrielle et l’élimination des déchets. Quant à la pollution atmosphérique, qui constitue le principal risque sanitaire environnemental en Europe, elle est également nocive pour la végétation et les écosystèmes. » rappelle le rapport.
Et les chiffres pour savoir qui paie la facture sont éloquents. Alors que l’UE a affecté 29 milliards d’euros (à travers le au programme LIFE) au cours de la période 2014 – 2020 pour financer des projets censés protéger l’environnement, le montant des dépenses publiques pour réparer les dégâts de pollueurs est astronomique.
« Les entreprises privées prennent les bénéfices de la pollution, et nous font payer l’addition. Si nous ne faisons rien, cela continuera. Nous devons nous battre pour changer les règles, imposer de véritables obligations aux entreprises, investir pour dépolluer les sites aux pollutions dites orphelines… c’est aussi une question de fierté de son territoire, et d’égalité sociale ! » a réagi l’eurodéputée Marie Toussaint
Pollueurs mais pas payeurs
En 2014, l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) a estimé que le coût pour la société des dommages dus à la pollution atmosphérique résiduelle causée par 14 000 grandes installations industrielles au cours de la période 2008-2012 se situait entre 329 milliards et 1053 milliards d’euros.
Ainsi, si la Directive sur les Emissions Industrielles encadre bien les installations les plus polluantes – estimées à 52 000 –, elle n’exige pas des industriels qu’ils règlent les coûts liés à l’impact de la pollution résiduelle qui se chiffre en « centaines de milliards d’euros », selon la CCE.
L’eau est un secteur particulièrement critique. En effet, l’OCDE estime que les États membres dépensent déjà environ 100 milliards d’euros par an pour l’approvisionnement en eau et son assainissement et qu’ils devront (à l’exception de l’Allemagne) consentir une hausse de plus de 25 % de ce montant pour atteindre les objectifs de la législation de l’UE.
Des investissements supplémentaires seront également nécessaires pour renouveler les infrastructures existantes ou atteindre les objectifs de la directive-cadre sur l’eau et de la directive « Inondations » pour les Etats-membres.
Alors qu’ils ne consomment que 10% de l’eau, ce sont les particuliers de l’UE qui paient le plus pour son accès. Ils financent en moyenne 70 % du coût des services liés à l’utilisation de l’eau, les 30 % restants étant financés par des fonds publics.
A contrario, l’agriculture, secteur étant le plus grand consommateur des ressources en eau douce renouvelables, est celui dont la contribution financière est la plus faible. A cause de la pollution agricole, une étude estime que les ménages pourraient dépenser jusqu’à 494 euros supplémentaire par foyer et par an dans les localités les plus polluées en France.
Cette pollution agricole, qui diffuse nitrates et pesticides, met gravement en péril l’avenir des masses d’eau souterraines. En effet, alors que les nappes phréatiques n’ont déjà pas un bon niveau chimique en raison de cette pollution, de grandes quantités de nitrates encore stockés dans les roches font craindre le pire aux experts qui les ont découvertes.
« Étant donné que les nitrates traversent la roche lentement, il peut s’écouler plus d’un siècle avant que les polluants atteignent les masses d’eau souterraines, ce qui retarde l’incidence des changements dans les pratiques agricoles sur la qualité des eaux souterraines. » explique le rapport de la CEE
De la même façon que l’air et l’eau, la décontamination des sols pollués coûte cher : en 2006, la Commission a estimé à 119 milliards d’euros le coût total de l’assainissement des sols contaminés dans l’UE.
« De nombreuses activités polluantes ont eu lieu il y a longtemps, ce qui accroît le risque que les pollueurs n’existent plus, ne puissent pas être identifiés ou soient insolvables. En outre, le principe du pollueur-payeur est difficile à appliquer en cas de contamination diffuse des sols en raison de la difficulté intrinsèque qu’il y a à imputer la responsabilité à des pollueurs précis. » explique la CEE
Avec 320 000 anciens sites d’activités industrielles ou de services et près de 3 000 anciens sites miniers, la France est particulièrement concernée par la pollution des sols. C’est pourquoi la sénatrice (PS) de l’Aude Gisèle Jourda a déposé une proposition de loi visant à refonder la politique de gestion et de protection des sites et sols pollués en France.
Suite à son enquête parlementaire, le Sénat a également adopté cinq amendements dans le cadre du projet de loi Climat et Résilience pour mieux lutter contre la pollution des sols dans le pays.
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De son côté, la commission des affaires européennes a adopté, le 17 juin 2021, une proposition de résolution européenne, présentée par Gisèle Jourda et Cyril Pellevat, demandant la relance du processus d’élaboration d’une directive européenne sur la protection des sols et la prévention de leur dégradation par les activités industrielles et minières.
Pour inverser la tendance, et vraiment faire appliquer le principe de pollueur-payeur, des solutions existent. Ainsi, sept États membres (la Tchéquie, l’Irlande, l’Espagne, l’Italie, la Pologne, le Portugal et la Slovaquie) exigent une garantie financière pour tout ou partie des responsabilités environnementales des entreprises.
En acceptant un large éventail éventail d’instruments de garantie financière, notamment les polices d’assurance, les garanties bancaires, les fonds pour l’environnement et les fonds propres, le Portugal n’a jamais eu à signaler un cas d’insolvabilité ayant empêché l’application de cette responsabilité environnementale.
Dans les conclusions de son rapport, la Cour des comptes européennes préconise donc d’étendre cette mesure à l’ensemble des pays-membres, dans le cadre du contrôle de toute la législation environnementale et de l’évaluation de la DRE par la Commission européenne, qui doit s’achever en 2023. Pollueur enfin payeur, à dans deux ans ?