Une étude anglo-finlandaise montre que les bourdons, Bombus terrestris, jouent en faisant rouler des balles, et ce même s’ils n’ont pas de récompense à clé. Cette découverte remet en question la croyance selon laquelle le jeu serait réservé aux mammifères et aux oiseaux.
Le jeu, essentiel au développement des animaux
De la savane africaine aux fonds marins, les scientifiques ont documenté de nombreuses scènes de jeu animal. Les lionceaux s’entraînent à la chasse en se prenant tour à tour pour des proies, les dauphins se révèlent de véritables circassiens en créant des bulles d’air qu’ils font virevolter, et les jeunes corbeaux glissent le long des bancs de neige pour le plaisir.
Ces comportements sont vitaux pour l’apprentissage des compétences nécessaires à la survie, mais aussi pour l’acquisition des codes sociaux propres à chaque espèce. Récemment, une étude a révélé que les bourdons manifestent eux aussi des comportements ludiques et sociaux.
Une première étude avait déjà montré que les bourdons deviennent, après avoir consommé une récompense à base de saccharose, plus réactifs et efficaces face à des situations problématiques.
Cette nouvelle étude a observé des colonies de bourdons élevées en nichoirs dans un laboratoire. L’équipe anglo-finlandaise a installé un large tunnel transparent reliant l’arène fermée où de la nourriture (nectar et pollen) était mise à disposition.
L’équipe de chercheurs, dirigée par Lars Chittka, a auparavant appris aux bourdons à faire rouler des boules en échange d’une récompense sucrée. Pour déterminer si cette activité comportait une part de jeu, ils ont ensuite retiré la récompense.
Le dispositif permettait aux bourdons de se déplacer librement dans l’aire de nourrissage, où de petites boules en bois de différentes couleurs, certaines fixées et d’autres non, étaient disposées le long du trajet pour qu’ils puissent interagir ou non avec elles.
Résultat : en 54 heures, les 45 bourdons ont fait rouler 910 fois les boules en bois. Certains, insatiables, sont revenus plusieurs fois. Le record revient à un individu qui a fréquenté les aires de jeu 117 fois de manière totalement désintéressée. Les jeunes et les mâles étaient les plus enclins à s’adonner aux activités ludiques.
Le jeu des bourdons
Lors d’une autre expérience, les bourdons ont appris à reconnaître la boîte jaune comme celle du jeu, remplie de petites boules, tandis qu’une boîte bleue ne contenait rien. Même lorsqu’elle était vide, les insectes se dirigeaient spontanément vers la boîte jaune, comme si elle évoquait encore le plaisir du jeu.
Pour qu’un comportement soit qualifié de jeu chez un animal, il doit répondre à cinq critères. Les bourdons semblent s’en approcher. D’abord, ce comportement ne doit pas avoir de fonction adaptative immédiate. Il ne doit pas servir à se nourrir, trouver un partenaire sexuel ou un abri. Il peut y avoir des bénéfices en termes de survie, mais qui seront effectifs plus tard.
Dans cette expérience, lorsqu’ils vont se nourrir ou rentrent à la ruche, les bourdons ne remarquent les billes qu’au dernier instant. Malgré leur cargaison de pollen ou de nectar, beaucoup s’arrêtent pour jouer avec les billes, prouvant que ces objets ne sont pas considérés comme de la nourriture, mais comme une forme de distraction.
Ensuite, ce comportement doit exprimer une attitude volontaire, spontanée et constituer une récompense en elle-même. Le fait d’aller chercher la bille là où il y a été habitué démontre une forme d’intentionnalité et une préférence pour la boîte jaune, plutôt que pour la bleue.
D’autre part, les activités motrices sont différentes entre les temps de jeu et ceux dédiés à la recherche de nourriture ou de partenaires. Leur appétence pour rouler tels des circassiens sur ces billes ne correspond à aucune intention qui irait dans le sens de se nourrir, de se défendre ou encore de protéger sa colonie.
Par ailleurs, le jeu est répété mais jamais stéréotypé. Les bourdons montrent des comportements créatifs et aléatoires, avec de nombreuses variations dans la durée et les distances de déplacement.
Enfin, les animaux, sujets au stress, s’arrêtent de jouer temporairement ou définitivement. Dans le cadre de cette expérience, les chercheurs ont veillé à limiter toute source de stress, en reproduisant le rythme lumineux naturel et en fournissant une nourriture en quantité illimitée.
Cette expérience met en lumière une part de la vie intérieure des bourdons et révèle la beauté du Vivant. Cependant, même si leur comportement ludique est démontré, il reste nécessaire d’analyser les neurotransmetteurs activés pendant le roulement de balle pour mieux comprendre leurs motivations.
Pour Olli Loukola, de l’université d’Oulu en Finlande, ce comportement pourrait répondre à un « besoin inné de perfectionner leurs capacités motrices ».
Ces études montrent que les bourdons jouent, ressentent et apprennent — une preuve de leur sensibilité qui nous invite à protéger la biodiversité et la planète qui les abrite.
Un autre monde est possible. Tout comme vivre en harmonie avec le reste du Vivant. Notre équipe de journalistes œuvre partout en France et en Europe pour mettre en lumière celles et ceux qui incarnent leur utopie. Nous vous offrons au quotidien des articles en accès libre car nous estimons que l’information doit être gratuite à tou.te.s. Si vous souhaitez nous soutenir, la vente de nos livres financent notre liberté.
Retour
