Une étude du CNRS révèle une rupture au Moyen Âge : tandis que les animaux domestiques grandissent, les espèces sauvages rapetissent. Une fracture qui porte la marque de l’homme.
Durant 7 000 ans, le destin des animaux domestiques et sauvages a suivi une même ligne, dictée par la pluie, le froid ou la sécheresse. Puis, au Moyen Âge, une cassure : les uns se sont mis à grossir, les autres à se réduire. Une divergence brutale qui marque un tournant de leur histoire. C’est la conclusion d’une étude inédite menée par des chercheurs du CNRS et publiée cette semaine dans la revue PNAS.
« Jusqu’au Moyen Âge, quand la vache diminuait en taille, le cerf diminuait aussi. Et inversement. Mais à partir du dernier millénaire, les trajectoires se séparent : toutes les espèces domestiques augmentent en taille, toutes les espèces sauvages diminuent », explique Allowen Evin, bioarchéologue, directrice de recherche au CNRS et coordinatrice de l’étude, à La Relève et La Peste.
311 sites archéologiques passés au crible
Derrière ce verdict se cache une archive monumentale : 82 000 fragments d’os, exhumés de 311 sites archéologiques, qui composent une fresque de presque 8 000 ans d’évolution. Une matière brute « sans équivalent », souligne la chercheuse à La Relève et la Peste.
« Nous avons pu rassembler trente années de recherches archéozoologiques dans la région méditerranéenne française. À notre connaissance, aucune autre étude ne combine une telle durée et une telle densité de données ».
Le choix de cette zone géographique est stratégique : abondance de sites archéologiques, diversité remarquable de races et variétés, mais aussi menace croissante sur ce patrimoine.
« La Méditerranée nord-occidentale est un terrain unique, où la diversité animale et végétale, pourtant exceptionnelle, est aujourd’hui en voie de disparition », rappelle Allowen Evin.
Une dizaine de tombes d’animaux ont été découvertes à Villedieu-sur-Indre (Indre) – mai 2024 • © HAMID AZMOUN / INRAP
L’empreinte grandissante de l’homme
Des millénaires durant, le destin des bêtes – qu’elles paissent dans les pâturages ou évoluent sous la ramure des forêts – était dicté par la rigueur des hivers, la morsure des sécheresses ou la générosité des sols. Puis, il y a mille ans, un nouveau souverain s’impose : l’homme.
Si la stature des animaux domestiques s’est étoffée, c’est sous la férule de l’homme : critères de sélection de plus en plus rigides, intensification des méthodes d’élevage et une quête presque vorace de profit agricole. Chez les espèces sauvages, la tendance inverse s’explique par la chasse, la déforestation, l’expansion agricole et la fragmentation des habitats.
« L’habitat disponible s’est réduit et fragmenté. Les populations échangent moins, ce qui affecte aussi leur morphologie », ajoute-t-elle.
Une espèce fait exception : le lapin. Sauvage au début de la séquence étudiée, il est domestiqué localement à la fin. Et son évolution illustre bien la bascule.
« On voit très clairement que le lapin suit la même trajectoire que les autres domestiques : il augmente en taille au cours du dernier millénaire », observe la chercheuse.
Agneau Raïole © Allowen Evin
Une crise actuelle de l’agrobiodiversité
Au-delà du constat historique, l’étude résonne avec les enjeux contemporains.
« Nous vivons aujourd’hui une crise de l’agrobiodiversité, avec la disparition accélérée des races et variétés traditionnelles. Pourtant, 99 % de notre alimentation repose sur des plantes et animaux domestiques dont on connaît encore très mal l’histoire », insiste Allowen Evin.
L’exemple des ovins est frappant : la France compte officiellement 57 races de moutons, mais rares sont ceux capables de les nommer.
« On sait citer des variétés de pommes ou de tomates, mais qui peut nommer les races de moutons qu’il consomme ? Cette méconnaissance est frappante », note-t-elle.
C’est une étude hors norme, par la profondeur du temps qu’elle embrasse et la richesse des traces qu’elle a réunies. Mais son véritable apport est ailleurs : elle révèle une fracture nette, celle de l’anthropocène. Depuis un millénaire, l’homme ne se contente plus d’accompagner l’évolution des bêtes : il en devient le maître, orientant à la fois les troupeaux et les populations sauvages.
Prochaine étape espérée par l’équipe : comparer ces résultats à d’autres régions, du nord de l’Europe jusqu’au Proche-Orient, berceau de nombreuses domestications.
« Il serait passionnant de savoir si le basculement observé en Méditerranée française se retrouve ailleurs, et aux mêmes périodes », conclut Allowen Evin.
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