Le nombre exact est inconnu. On estime qu’un million d’enfants sont exploités dans les plantations de cacao en Côte d’Ivoire. Parmi eux, certains sont vendus et déplacés en fonction des intérêts économiques d’une mafia frontalière sans scrupules. Les industriels du chocolat achetant leur cacao dans le pays tardent à vérifier les conditions de travail de leurs fournisseurs.
Enfants esclaves
En 2011, le journaliste Miki Mistrati avait réalisé un documentaire édifiant sur l’esclavage d’enfants ayant cours dans les plantations de cacao en Côte d’Ivoire. Filmées en caméra cachée, des images montrent l’enfer que vivent des centaines de milliers d’enfants dans les plantations. Ils sont parfois kidnappés dans leurs villages pour être revendus aux exploitants de Côte d’Ivoire.

« On voit tous les jours des enfants partir de la gare routière », témoigne Idrissa Kanté, Secrétaire général du syndicat des chauffeurs de bus de Cissako au Mali. « Les trafiquants transportent entre deux et quinze enfants par voyage », précise un chauffeur d’autocar qui conduit les enfants maliens jusqu’à Korhogo, dans le nord de la Côte d’Ivoire. « Là-bas, ils disposent d’un lieu où les enfants sont retenus avant d’être vendus aux fermiers », explique-t-il.
Ces enfants ont généralement entre 12 et 14 ans. Parfois vendus par leurs parents, parfois enlevés, chaque enfant coûte 230 euros. Selon Miki Mistrati, « le prix est négociable ». Cette somme sert surtout à payer une partie du « voyage » de l’enfant sur la plantation de cacao. Pour le bureau d’Interpol à Abidjan, ces enfants viennent de plusieurs pays : Mali, Burkina Faso, Niger, Nigeria, Togo et Bénin. Sur place, ils n’ont, de tout évidence, pas de salaire.
« Si on est lent, si on refuse de travailler, on est battu », témoigne Zanga Traoré, ancien enfant esclave.
Un cri d’alerte en 2011, 2015, 2016…
Malheureusement, les choses tardent à s’améliorer depuis la diffusion de ce documentaire. Le cabinet américain Hagens Berman a déposé trois plaintes collectives, demandées par des citoyens et ONG, pour traite et travail forcé des enfants contre les groupes Nestlé (4,478 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2016), Mars (plus de 2 milliards d’euros de CA) et Hershey’s (5 milliards d’euros de CA).
La première réaction des multinationales ? Tenter de faire échouer la plainte, heureusement sans succès. Pointées du doigt, les entreprises s’étaient regroupées. ICI, organisation créée par l’industrie du chocolat, a extirpé avec difficulté 4 000 enfants de la traite et l’exploitation auquel ils étaient soumis entre 2012 et 2014. 4 000 sur 1 million. Une goutte d’eau. Nestlé, tâché de nombreux scandales, fait maintenant l’objet d’une campagne de boycott.
La première dame du pays, Dominique Ouattara, a réuni en octobre 2017 toutes les Premières Dames d’Afrique de l’Ouest et du Sahel pour lutter contre le fléau. Récemment, Mme Ouattara vient de conclure un accord avec l’institution NORC de l’Université de Chicago, spécialisée dans les études en Science Sociales, pour que cette dernière conduise une enquête en Côte d’Ivoire sur le Travail des Enfants dans les productions de cacao. La politique du gouvernement Ouattara sur la filière cacao ne fait pas pour autant l’unanimité, certains lui reprochant une politique entre amis en défaveur des petites exploitations familiales.

Pour retirer les enfants des plantations, l’Unicef veut apporter une aide financière aux familles vulnérables, en partenariat avec l’Agence nationale d’appui au développement durable (ANADER).
L’objectif ? Retirer « 1300 enfants victimes des pires formes de travail ou à risque, et appuyer 750 familles vulnérables dans les communautés productrices de cacao » entre 2017 et 2019. Si les objectifs sont louables, l’interventionnisme occidental dans des nations plus pauvres n’a jamais démontré son efficacité pour résoudre un problème en profondeur. Au contraire, certains parlent même de « business de la pauvreté », à l’image du puissant documentaire « Poverty Inc ».
En 2016, un rapport rendu par le Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic) sur la situation au Pérou, autre pays producteur de cacao, et en Côte d’Ivoire donnait les conclusions suivantes :

« Pour être durable, la filière cacao doit réunir l’ensemble de ces conditions : une organisation de producteurs solide, un prix suffisant, une prime collective suffisamment élevée et l’agroforesterie. Ces conditions génèrent cependant une complexité et des surcoûts significatifs, de l’ordre de +40 % à +90 %, peu compatibles avec un modèle de production de masse et standardisé. La mise en place de filières valorisant l’origine du cacao et le travail des producteurs apparait donc comme un levier incontournable pour inverser les dynamiques d’impacts négatifs dans les pays producteurs. »
Car c’est bien, encore une fois, la cupidité poussant les acheteurs à tirer vers le bas les prix des producteurs qui entraîne ces situations de grande précarité et d’exploitation d’enfants.
Image à la une : KAMBOU SIA / AFP