L’Arctic National Wildlife Refuge est l’un des endroits les plus préservés de la planète. Les États-Unis ouvrent cette réserve naturelle à l’exploration pétrolière.
Into the wild
« Il n’existe rien de comparable en Europe, même de loin. C’est l’un des derniers paysages authentiquement vierges. »
Ces mots sont du photographe allemand Florian Schulz, à propos du territoire qu’il a exploré durant ces quatre dernières années : l’Arctic National Wildlife Refuge. Les prairies de la chaîne de Brooks et ses escarpements, la taïga du Sud, la toundra et ses vallonnements plongeant en mer de Beaufort.
Une plaine côtière abritant des ours blancs, des rennes par centaines de milliers, une multitude d’oiseaux migrateurs… 78 000 km2 d’un écosystème intact. Comme seule présence humaine, les cabanes éparses des quelques autochtones alaskans. Et la rivière Canning en frontière naturelle.


Sur la rive opposée, un autre monde. 18 km de routes, une pipeline qui court vers l’Ouest. Des quais et une piste d’atterrissage, des bâtiments et des réservoirs en acier. À l’horizon, un brouillard marron suspendu au-dessus du centre industriel du North Slope. Point Thomson, le champ gazier d’ExxonMobil. 120 ha de lits de graviers.
Sous-sol convoité
L’explication d’un tel contraste ? La création en 1980 de la réserve de l’Artique (Arctic National Wildlife Refuge) par le Congrès américain. L’une des plus vastes aires protégées des États-Unis. L’un des endroits les plus sauvages de la Terre aussi. Jusqu’à présent.
Le sous-sol de la réserve recèlerait environ 7,7 milliards de barils de pétrole. Durant les quarante dernières années, les républicains avaient tenté d’ouvrir ce territoire à l’exploration pétrolière une bonne douzaine de fois. L’an passé, la sénatrice de l’Alaska Lisa Murkowski, a glissé dans le projet de loi fiscale voté par son parti un amendement autorisant les forages. Le 20 décembre dernier, le Congrès américain a adopté la loi autorisant le développement pétrolier et gazier de l’ANWR.
Un sacrifice nécessaire ?
Depuis la création de la réserve, le débat sur l’exploitation de cette plaine côtière potentiellement riche en pétrole n’avait jamais cessé. L’industrie pétrolière et gazière finance 90 % du budget de l’Alaska. Alors que plus d’un tiers des 300 000 emplois du secteur privé en Alaska dépendent du pétrole et du gaz, la quantité de pétrole qui transite par le pipeline trans-Alaska est en diminution quasi-régulière depuis 1988.

La chute des cours du pétrole de 2014 a creusé le déficit budgétaire de cet État qui ne prélève ni TVA ni impôt sur le revenu. Il atteint aujourd’hui plusieurs milliards de dollars. D’où l’empressement de l’Alaska et du gouvernement fédéral à vouloir vendre ces deux concessions. La recette est estimée à 2,2 milliards — de manière très optimiste — par le bureau du Budget du Congrès des Etats-Unis.
Mais dans ce pays inondé de pétrole et de gaz de schiste, la légitimité des forages ne fait pas l’unanimité. En novembre 2017, le sénateur du Massachusetts Ed Markey s’était insurgé contre cette réforme de l’administration Trump :
« Ils essaient de faire voter une réduction d’impôts de 1,5 trillion de dollars en faveur des super-riches en générant un milliard de revenus à travers l’exploitation de l’ANWR. »
D’autant plus que la réserve nationale de pétrole de l’Alaska (NPR-A) et des terres publiques limitrophes sont déjà ouvertes à l’exploration pétrolière. Cette zone représenterait 8,7 milliards de barils de pétrole récupérable selon de récentes découvertes. 1 milliard de plus que l’Arctic National Wildlife Refuge.
Alors, le sacrifice de ce sanctuaire en vaut-il la peine ? C’est la question que se pose Mouhcine Guettabi, économiste à l’université de l’Alaska :
« Quel bien-être faut-il optimiser ? Faut-il considérer la valeur que chaque citoyen américain accorde à la nature sauvage ? Ou bien le seul intérêt des Alaskans ? »