« Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? », s’interrogeait avec espièglerie le météorologue Edward Lorenz en 1972, et donnant naissance au principe bien connu de « l’effet papillon » ; selon ce dernier, à l’échelle infiniment complexe de la planète, un facteur en apparence négligeable peut avoir, au terme d’une longue chaîne de causalité, des conséquences considérables.
Aujourd’hui, ce principe même régit les recherches de scientifiques étudiant les conséquences du réchauffement climatique sur les comportements et la survie des espèces animales : parfois, un changement de quelques dixièmes de degrés dans une zone géographique bien précise peut conduire à l’extinction d’une espèce entière.

L’homme, élément perturbateur
Depuis son apparition sur la Terre, l’espèce humaine est responsable de changements dans les écosystèmes naturels : chaque grande avancée (maîtrise du feu, invention de l’agriculture, révolution industrielle) a affermi la mainmise de l’homme sur son environnement, souvent aux dépends d’espèces occupant l’espace avant lui. Depuis l’époque moderne, la pression exercée par les activités humaines sur l’environnement s’est considérablement accrue, provoquant la disparition de nombreuses espèces.
Selon l’UICN, qui observe l’évolution de milliers d’espèces,
« au moins 41 % des amphibiens, 33 % des récifs coralliens, 30 % des conifères, 25 % des mammifères, et 13 % des oiseaux sont menacés d’extinction » à cause d’une dégradation de leur environnement d’une part (sous l’effet de l’expansion des zones agricoles, minières et urbaines ainsi que de la pollution) et de la prédation humaine de l’autre (chasse, pêche, braconnage).
Point d’effet papillon complexe ici, ces facteurs primaires d’extinction sont connus et bien documentés. Mais une étude récente publiée par l’Académie des sciences et rendant compte de deux années de travail, laisse entendre que le changement climatique, lui aussi aggravé par les activités humaines, aurait des conséquences tout aussi graves — et bien plus complexes à tracer — sur la survie des espèces animales et végétales.

Chaîne de causalité
« Le changement climatique observé depuis le début du XXème siècle affecte d’ores et déjà de manière discernable les écosystèmes et sociétés : modification du calendrier biologique et de la répartition de centaines d’espèces animales et végétales, installation permanente de vecteurs et pathogènes transportés par l’homme », énonce l’introduction de l’étude.
Sous l’effet de divers phénomènes, des espèces sont contraintes à quitter leur environnement naturel, avec plus ou moins de succès.
Le premier phénomène, évident, est l’augmentation pure et simple de la température. Pour certaines espèces, il n’est plus possible de vivre sous les latitudes habituelles. On assiste donc à un déplacement généralisé vers les pôles, vers l’altitude ou en profondeur pour les espèces aquatiques.
Ainsi, les espèces animales terrestres migrent vers le nord de 17 kilomètres en moyenne par décennie et les espèces marines de 72 kilomètres. Mais les chiffres s’affolent quand on s’intéresse à des zones plus précises, en particulier dans les zones tempérées, comme la France, où « une augmentation de température de 1°C correspond à un décalage des zones climatiques de près d’environ 200 km vers le nord ».
Devant ces changements, certaines espèces migrent rapidement, comme les papillons ; d’autres, incapables de bouger, dépérissent, à l’instar des coraux, victimes de l’augmentation de la température de l’eau de mer.

« Le changement climatique observé depuis le début du XXème siècle affecte d’ores et déjà de manière discernable les écosystèmes et sociétés : modification du calendrier biologique et de la répartition de centaines d’espèces animales et végétales, installation permanente de vecteurs et pathogènes transportés par l’homme »
Mais ce n’est pas tout : en allant une étape plus loin dans la chaîne de causalité, l’étude remarque que les espèces migrant pour fuir la chaleur colonisent des écosystèmes nouveaux, entrant souvent en concurrence avec les espèces natives de ces derniers. En conséquence, les espèces originaires de l’écosystème font face à de nouveaux prédateurs, et doivent migrer elles-mêmes ou disparaître. C’est notamment le cas d’insectes ravageurs, comme la processionnaire du pin, qui menacent désormais les forêts au nord de leur habitat naturel.
Quand une espèce ne peut pas migrer, elle peut s’adapter. C’est ce que remarque l’étude en recensant les mécanismes d’adaptation au réchauffement climatique chez les plantes : « Les individus avec les génotypes les plus favorables seront sélectionnés », note le rapport, en décrivant par exemple des stratégies « d’optimisation du rapport reproduction/production » chez les plantes d’Australie, qui produisent moins de graines mais les font plus résistantes à la sécheresse.

D’autres espèces, comme une variété de moutarde (Boechera stricta), avancent leur date de floraison (de 0,34 jours par an pour l’espèce en question) pour mieux profiter du changement des saisons.
Désynchronisation des espèces
Ce deuxième degré de causalité peut lui-même entraîner des modifications de l’écosystème, selon le principe de « désynchronisation des réponses entre espèces ». Ainsi, une plante décalant son cycle de floraison peut se retrouver en fleur bien avant l’arrivée des abeilles, et ainsi mettre en péril sa survie. Plus largement, l’étude indique que la « variabilité de réponse des espèces (…) induit dans certains cas une désynchronisation entre des espèces interdépendantes comme les plantes et leurs pollinisateurs, ou des oiseaux insectivores et leurs proies au moment où leur progéniture doit être en pleine croissance, ou inversement de nouvelles synchronies entre hôtes et parasites ou maladies ».

Le vivant formant une chaîne de dépendances extrêmement complexe, la disparition d’une seule plante dans un écosystème peut avoir, par effet papillon, des conséquences désastreuses sur les populations d’insectes, de petits animaux et de vertébrés de la région.
Malgré ses capacités d’adaptation, l’homme lui-même est in fine victime de cette chaîne de causalité : « La redistribution du vivant a des impacts plus importants que ce que l’on imaginait et qui vont bien plus loin que la simple biodiversité, avertit ainsi Jonathan Lenoir, maître de conférences en biostatistiques à l’université de Picardie Jules-Verne.
« Elle nous affecte également tant nous dépendons du bon fonctionnement des écosystèmes pour notre alimentation, notre santé, notre bien-être ou nos activités ».
D’où l’importance de mieux connaître ces mécanismes, pour renforcer et adapter la sauvegarde des espèces.