Chaque jour des nouvelles sortent sur les nouvelles espèces menacées, les extinctions avérées, la progression du développement des énergies fossiles, les nouveaux projets polluants, les maladies liées la pollution. Ouragans, tsunamis, incendies, inondations ne sont plus des événements ponctuels. Ils font désormais partie de notre quotidien. Pour ceux qui observent leur environnement, chaque saison apporte son lot d’anomalies, de disparitions d’insectes, du silence des oiseaux, de bourgeons d’hiver et de gels printaniers. Pourquoi cette conscience en tétanise-t-il certains et en mobilise-t-il d’autres ?
Le déni
Nous savons. Mais que faisons-nous de ce savoir ? Le déni est très largement répandu. Distinguons quelques types de déni : Déni actif – “Le réchauffement climatique, c’est faux !”, déni partiel – “Oui je sais mais ça ne me concerne pas”, déni attentiste – “Je sais mais je ne changerai que si tout le monde change sinon ça ne sert à rien”
Dans son essai Le syndrôme de l’autruche, le sociologue et philosophe George Marshall explique les mécanismes par lesquels une partie de notre cerveau préfère nier une information source d’angoisse et à la mettre de côté. Lors de son intervention sur France 2 en novembre dernier, plusieurs semaines après sa démission, Nicolas Hulot expliquait comment un certain déni était nécessaire pour pouvoir vivre, avant de revenir au combat. Mais à l’échelle des actions à entreprendre « Soit il y a une forme de déni, soit un climatoscepticisme, soit un climatofatalisme. Le fatalisme des uns nourrira le fanatisme des autres. »
Le déni du réchauffement climatique et de la disparition de la biodiversité est une stratégie de survie. Si nous pensons sans cesse à cet effondrement, nous serons tétanisés, car chaque geste de notre quotidien et de ce qui nous entoure y contribue. Il nous faut donc, pour continuer à vivre, la mettre de côté. Mais cette stratégie est paradoxale puisqu’elle nous permet de continuer à vivre d’un point de vue individuel mais elle contribue par là-même à menacer notre survie en tant qu’espèce.
L’impuissance des lanceurs d’alerte
Les scientifiques travaillant de près sur ces sujets vivent un sentiment d’impuissance. Alertant sans cesse mais voyant que rien ne change, certains tombent en dépression, d’autres un état général de “blues des climatologues”. Dans son article “When the end of civilization is your day job”, le journaliste John Richardson décrit ce sentiment et le déni que doivent aussi appliquer ces professionnels de l’alarme pour pouvoir survivre dans leur quotidien : “Le quotidien conspire à notre déni”. Pour ceux pour qui la lutte contre le désastre écologique est l’engagement d’une vie et qui ont cru qu’il fallait alarmer pour faire bouger les choses, c’est une suite de frustrations quotidiennes qui mènent à un scepticisme et à une perte de sens de leur travail.
« L’homme inconscient se lève la nuit et s’angoisse. Quand le jour se lève il se lève et reste tétanisé » (proverbe nordique)
L’angoisse des citoyens
Mais un autre phénomène se répand chez les citoyens ordinaires : la solastalgie, ou éco-anxiété. Dans un article intitulé : « Solastalgie, la détresse causée par le changement de l’environnement », le philosophe australien Glenn Albrecht décrit une forme d’anxiété nouvelle causée par les bouleversements environnementaux.
Basée sur l’observation de comportements de fermiers australiens, il décrit une détresse et une nostalgie continue. Ces états ou émotions ne sont pas décrits par le philosophe comme des symptômes médicaux, mais elles peuvent susciter un éventail de réactions, de la tristesse à des insomnies ou à un état dépressif.
Aux États Unis, au début des années 90, la psychologie s’est saisie de ce sujet pour en faire une discipline à part entière, l’écopsychologie, qui étudie le lien entre certaines formes de souffrance humaine et la souffrance de la nature et tente d’apporter des réponses à la fois à l’angoisse et aux différentes formes de déni.
À chaque génération sa fin du monde
Chaque génération a connu une angoisse de fin du monde. La génération précédente a eu l’angoisse de la guerre nucléaire, celle qui la précédait, celle des guerres. La différence aujourd’hui est peut-être que nous n’avons pas de croyance en un monde meilleur pour venir supplanter cette angoisse. Nous ne trouvons pas d’alternative pour dépasser la perspective de la mort de notre planète. Le débat n’est peut-être pas de savoir si on y croit pour agir, mais simplement, d’agir sans espoir, pour au moins se dire qu’on aura essayé.
Si la jeunesse actuelle semble davantage sensibilisée aux questions environnementales, on peut se demander si cette sensibilité est vécue et ressentie, ou si elle reste cantonnée dans le domaine du savoir conceptuel. Car on peut très bien publier un émoticône triste devant la photo d’une banquise qui s’effondre ou d’un orang-outan en danger, sans lever forcément la tête pour remarquer qu’autour de soi, il n’y a plus d’oiseaux, et encore moins pour regarder dans son placard si ses céréales, biscottes ou pâte à tartiner ne contiendraient pas de l’huile de palme.