Véritable camouflet pour la Commission Européenne : aujourd’hui, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a annulé la décision de la Commission imposant à Apple le remboursement de 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux jugés indus à l’Irlande. Selon les juges européens, la Commission n’est pas parvenue à démontrer « l’existence d’un avantage économique sélectif ». Un signal désastreux dans la lutte contre les paradis fiscaux et l’hégémonie des GAFA.
Les avantages fiscaux d’Apple en Irlande
Il y a quatre ans, la Commission européenne avait défrayé la chronique en décrétant, dans le cadre d’une grande traque contre les arrangements fiscaux, qu’Apple avait profité d’une aide publique illégale en Irlande ayant permis à la multinationale américaine de bénéficier d’exonérations d’impôts massives pendant plus de 20 ans !
A l’été 2016, la Commission européenne avait ainsi ordonné à Apple de rembourser à l’Irlande 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux jugés indus par Bruxelles. A l’origine de cette décision : deux rulings fiscaux émis par l’administration fiscale irlandaise qui avaient permis qu’Apple Sales International (ASI) et Apple Operations Europe (AOE) se constituent en sociétés de droit irlandais, sans être résidentes fiscales dans le pays !
Devant cette affaire, la Commission européenne avait estimé que ces rulings fiscaux représentaient une aide d’Etat illégalement mise à exécution par l’Irlande. Saisie par Apple mais aussi le gouvernement irlandais, la Cour de Justice Européenne a aujourd’hui rendu son jugement dans lequel elle désavoue la décision de la Commission européenne !
Selon les juges européens, la Commission et les services de sa commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, n’ont pas réussi à démontrer « l’existence d’un avantage économique sélectif et, partant, d’une aide d’Etat en faveur d’ASI et d’AOE. » Et cela, alors même que le tribunal déplore « le caractère lacunaire et parfois incohérent des rulings fiscaux contestés » !
En 2018, Apple avait pourtant versé 14,3 milliards d’euros à l’Irlande, composés du remboursement de 13 milliards d’euros et des intérêts, que le gouvernement irlandais s’était empressé de « geler » en attendant la décision de la Cour de Justice Européenne. C’est donc sans surprise que la multinationale et l’Etat irlandais se sont félicités de cette décision en leur faveur.
« Nous saluons le jugement de la Cour européenne », a souligné le ministère irlandais des Finances dans un communiqué, affirmant qu’il « n’y a jamais eu de traitement spécial » pour Apple, qui serait taxé selon les règles en vigueur dans le pays.
De son côté, Apple a réagi en expliquant que «Cette affaire ne portait pas sur les montants d’impôts que nous payons, mais sur l’endroit où nous devons le payer. Nous sommes fiers d’être le plus gros contribuable du monde. »
Selon les arguments de la Commission, les montants versés par Apple à l’Irlande représentaient un taux d’imposition de 0,005% sur un an en Irlande, par rapport à l’ensemble de ses bénéfices hors des Etats-Unis.
Le désaveu d’une politique fiscale juste
Réputée pour ses positions « pro-business », l’Irlande a attiré sur son territoire de nombreuses multinationales, pourvoyeuses d’emplois, grâce à une fiscalité avantageuse. Et elle entend bien garder cette attractivité fiscale. C’est donc pour cette raison que l’Irlande, comme Apple, avait fait appel de la décision de la Commission.
Une décision qu’on pourrait juger paradoxale puisque l’Irlande refuse ici d’encaisser 14,3 milliards d’euros en pleine période de crise. En effet, l’Irlande devrait faire face à un déficit de 30 milliards d’euros cette année après les mesures destinées à faire face à la crise du Covid.
La victoire de Dublin et Apple met à mal les tentatives de Bruxelles pour créer une imposition minimale et juste des multinationales. En effet, la question d’une taxe sur les GAFAM est toujours en discussion à l’OCDE, où les Etats-Unis ont décidé de se retirer du processus, et au sein de l’UE. Défavorable à ces mesures, l’Irlande se voit ici légitimer dans sa pratique de dumping fiscal pour attirer les grandes entreprises.
Pour sa part, la vice-présidente de la Commission va « étudier attentivement ce jugement et réfléchir aux prochaines étapes éventuelles ». La Commission européenne pourrait ainsi décider de faire appel devant la Cour de Justice de l’Union européenne.
Elle s’est déclarée déterminée à continuer à examiner les mesures de planification fiscale agressive au regard des règles de l’UE en matière d’aides d’État, afin de déterminer si elles donnent lieu à des aides illégales. »

Cependant, cette défaite pourrait créer une jurisprudence et impacter des dossiers similaires. Des observateurs de ces pratiques redoutent que cette décision judiciaire affaiblisse voire repousse les dossiers bâtis contre Ikea et Nike pour des accords aux Pays-Bas, ou encore les arrangements de Huhtamaki au Luxembourg.
Pour la commissaire européenne chargée de la Concurrence, Margrethe Vestager, cette décision concerne un cas particulier et n’est pas forcément synonyme d’une généralité. Ainsi, la cour de justice avait donné raison à la Commission qui exigeait que Fiat verse 30 millions d’euros au Luxembourg pour avantages fiscaux indus.
« La Commission soutient pleinement l’objectif selon lequel toutes les entreprises devraient payer leur juste part d’impôt. Si les États membres accordent à certaines multinationales des avantages fiscaux dont ne peuvent bénéficier leurs concurrents, cela nuit à une concurrence loyale dans l’UE. Elle prive également les fonds publics et les citoyens de fonds pour des investissements indispensables – dont le besoin est encore plus aigu en période de crise. » a ainsi rappelé Margrethe Vestager dans un communiqué
Margrethe Vestager, qui a fait de la question des taxes une pierre angulaire de son mandat, avait déjà été désavouée l’an dernier par la même cour lorsque les juges ont annulé sa demande visant à contraindre Starbucks à verser jusqu’à 30 millions d’euros d’arriérés d’impôts aux Pays-Bas. Cette décision de la Cour de Justice Européenne est donc un nouveau camouflet pour tous les membres de l’UE tentant de réguler les pratiques fiscales abusives des multinationales et des Etats qui en sont complices.