Le 21 juin 2022, cinq jeunes Européens poursuivent les Etats de l’Union européenne devant la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir laissé le Traité de la charte de l’énergie (TCE) retarder la transition énergétique. Ce dernier permet aux compagnies de combustibles fossiles de poursuivre les Etats qui souhaitent bannir les exploitations, et de leur extorquer des millions d’euros. 150 cas qui impliquent le Traité sont connus à ce jour, en majeure partie issus d’investisseurs européens sur d’autres pays européens, son poids sur les gouvernements est donc considérable. Le chiffre pourrait également être en deçà de la réalité d’affaires effectuées majoritairement en catimini.
Le Traité est instauré à la fin de la guerre froide, lors de la chute du rideau de fer. Trois buts y sont liés : surmonter les divisions économiques entre les nations des deux côtés du rideau, garantir la sécurité énergétique de l’Union européenne, et assurer les investissements dans l’énergie dans les pays issus de l’ancienne Union soviétique.
Le TCE est ratifié par les signataires en majeure partie entre 1994 et 1999. En janvier 2018, il rassemble 53 signataires, dont l’Union européenne excepté l’Italie, tous les membres de la communauté de l’énergie, ceux de la zone européenne de libre-échange, les pays d’Asie centrale, le Japon et la Turquie. Lorsque la Russie quitte le Traité en 2009, d’autres pays qui ont des réserves d’énergies fossiles sont recherchés pour la remplacer.
Le TCE permet aux investisseurs étrangers lésés d’engager des procédures de règlement devant un tribunal international lors d’un différend que les parties ne peuvent pas résoudre à l’amiable. Il accorde de ce fait aux entreprises de combustibles fossiles la possibilité de poursuivre des Etats en tribunaux internationaux et d’exiger des millions de dollars, si par exemple un gouvernement décide d’arrêter ses exploitations fossiles.
Il est donc un frein énorme à l’action climatique, car les Etats sont sous pression, ne faisant parfois pas le pas du fait des potentielles répercussions. En octobre 2021, 60 % des poursuites résolues avaient privilégié l’investisseur. Les investisseurs tendent par ailleurs à brandir la menace TCE en amont et annihilent ainsi toute tentative de politique climatique ambitieuse.
Depuis mai 2017, la compagnie pétrolière et gazière britannique Rockhopper poursuit le gouvernement italien et lui réclame jusqu’à 300 millions d’euros, parce qu’il a refusé de lui octroyer une concession de forage pétrolier sur le gisement d’Ombrina Mare, dans la région des Abruzzes, pour mettre fin aux nouvelles explorations des énergies fossiles.
En France, en décembre de la même année, la loi Hulot entre en vigueur : elle interdit tout nouveau permis d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures sur l’ensemble du territoire. L’entreprise pétrolière canadienne Vermilion menace alors le Conseil d’Etat dans un courrier partagé par l’association les Amis de La Terre :
« La mesure viole les engagements internationaux de la France en tant que membre du Traité sur la Charte de l’énergie de 1994 qui prévoit la protection des investissements dans le secteur de l’énergie. » A la suite de l’événement, les projets d’exploitation en cours se poursuivent.
Les débats, négociations et procès ont lieu en catimini. De nombreux pays d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Asie et d’Amérique Latine sont en procédure pour rejoindre le Traité, souvent sans débat public au préalable. Les procès sont organisés dans des cours privés, tandis que les sommes réclamées et transférées sont issues de l’argent public.
Selon Yamina Saheb, l’une des auteurs du GIEC, et autrefois employée au secrétariat international du TCE, il est impossible de rendre le Traité compatible avec les engagements climatiques de l’accord de Paris. Dans un entretien avec l’activiste Camille Etienne, pour le site d’information Blast, elle explique :
« Les gouvernements ne peuvent pas faire les ajustements pour lesquels ils ont été élus. En faisant partie de ce Traité, vous donnez le pouvoir politique à des investisseurs étrangers pour décider de vos politiques énergétiques, et par conséquent de vos politiques climatiques. » Elle estime également : « Il faudrait mettre fin à la protection des investissements existants dans les énergies fossiles et les investissements futurs (…). Parmi les parties prenantes du Traité, certains pays exportateurs vivent des énergies fossiles. »
Elle souligne que la France est actuellement à la présidence du conseil de l’Union européenne et qu’elle a donc une opportunité unique pour peser dans des négociations. Depuis 2020, des modernisations pour modifier le Traité sont en cours, jusqu’à vendredi, où un compromis valable uniquement au sein de l’Union européenne sera officialisé.
La proposition de l’UE consiste à ne pas protéger les investissements à venir, mais à protéger les anciennes, une décision qui irait directement à l’encontre de la décarbonation de nos économies, du fait des prix exorbitants à payer aux investisseurs. Yamina Saheb explique :
« Cet accord consiste à maintenir la protection des investissements étrangers en France et en Europe dans les énergies fossiles, jusqu’en 2030, et dans le gaz jusqu’en 2040. »
En décembre 2020, plus de 500 scientifiques se mobilisent, dont de nombreux scientifiques du GIEC, et demandent par l’intermédiaire d’une lettre ouverte aux 53 signataires de se retirer du Traité. Le dernier rapport du GIEC mentionne explicitement le TCE comme étant un traité qui pourrait empêcher la mise en place de lois climatiques ambitieuses. Aujourd’hui, cinq jeunes européens poursuivent les Etats de l’Union à la Cour européenne des droits de l’homme et leur demandent de sortir du Traité.
Pour Camille Etienne, il est important de faire comprendre aux décideurs en cours de négociation que la société civile va s’emparer du sujet. Elle encourage le public à partager l’information et à s’adresser sur Twitter à Emmanuel Macron pour la sortie du TCE, ainsi que de poster avec le hashtag #sortonsdutce. Une pétition a également été mise en place par les cinq demandeurs pour sortir du Traité et empêcher son expansion à d’autres pays, et a déjà rassemblé plus d’un million de signatures.