Depuis quelques semaines, le pangolin est sous le feu de tous les projecteurs. Mais avant de devenir « l’hôte intermédiaire », soupçonné d’avoir transmis le nouveau coronavirus à l’homme, ce petit mammifère gris à écailles représentait l’une des plus grandes victimes du braconnage dans le monde. Voici la situation désespérée de cette espèce méconnue.
Le pangolin, l’espèce la plus braconnée au monde
Une longue queue, de grandes écailles en forme de feuilles d’artichaut, une toute petite tête plantée de deux yeux noirs : voici le pangolin. Cet étrange animal vit à l’état sauvage en Afrique ou en Asie du Sud-Est ; il se nourrit principalement de fourmis et de petits insectes, d’où son nom de « fourmilier écailleux », et est réputé se rouler en boule devant ses prédateurs, tout comme le hérisson.
On connaît huit espèces différentes de pangolin, quatre africaines et quatre asiatiques. Mais aujourd’hui, elles sont presque toutes considérées comme « en danger » ou « menacées » par la liste rouge de l’Union internationale pour la préservation de la nature (IUCN). Pour quelle raison ? À cause du braconnage.
Plusieurs facteurs croisés font de cet insectivore le mammifère le plus braconné au monde. D’abord, c’est le seul mammifère possédant des écailles et celles-ci sont extrêmement recherchées pour leurs vertus curatives supposées dans les médecines traditionnelles asiatiques, en particulier en Chine et au Vietnam. Faites de kératine, comme les ongles et les cheveux des hommes, elles permettraient de guérir certaines maladies, telles que l’asthme, l’arthrite, le cancer ou même l’impuissance, ce qui reste évidemment à prouver, si jamais quelqu’un y arrive.
Ce n’est pas tout : les écailles de pangolin servent également à confectionner des bijoux et des décorations rituelles, tandis que sa chair est souvent appréciée par les gourmets dont les papilles jouissent de bien peu de morale. C’est pourquoi le prix d’un seul pangolin peut avoisiner les mille dollars dans les méandres des marchés noirs.
Près d’un million de pangolins massacrés
Le 19 février, l’ONG Traffic, qui surveille le commerce illégal d’animaux, a publié un long rapport général sur le braconnage et la vente d’espèces sauvages en Asie du Sud-Est. En se fondant notamment sur les saisies (parfois prodigieuses) qu’ont effectuées les diverses polices asiatiques, l’association est parvenue à établir un chiffre terrifiant : ces vingt dernières années, 895 000 pangolins ont été illégalement marchandés dans cette région du monde.
Près d’un million. Un million d’individus d’une espèce menacée d’extinction.
Face à ce fléau, certaines structures se mobilisent. En 2016, la Convention internationale sur le commerce d’espèces sauvages menacées d’extinction (Cites) a strictement interdit le commerce de pangolins dans le monde entier. Mais cette décision tant attendue ne semble avoir eu aucun effet. L’ONG Traffic intime désormais les États de sanctionner plus sévèrement les trafiquants et de fermer en particulier les plates-formes de commerce en ligne sur lesquelles ils pullulent.
Mais les pays où le marché d’animaux sauvages est le plus important font la sourde oreille et se contentent parfois de délivrer des quotas d’acquisition, quelques tonnes d’écailles par an à chaque entreprise… En Chine, environ 200 groupes pharmaceutiques fabriquent des remèdes traditionnels avec des écailles de pangolins et en aspirent des dizaines de tonnes chaque année.
Une autre solution a été plusieurs fois envisagée : la culture domestique de pangolins. Il fallait y penser. Cependant, le fourmilier écailleux a cette particularité qu’il ne peut pas survivre « plus de deux cents jours en captivité », comme le montre une enquête de National Geographic. Et personne n’a encore trouvé de moyens de l’élever et de le faire se reproduire sur un mode commercial, comme les vaches et les cochons.

Sauvé par le coronavirus ?
Ironie du sort, le pangolin serait à l’origine de l’épidémie de coronavirus qui frappe actuellement plusieurs pays du monde, ou tout du moins de la transmission de la maladie de l’animal jusqu’à l’être humain. Ce serait même la consommation de sa viande, et plus largement celle des animaux sauvages, qui aurait précipité la Chine dans l’escalade sanitaire qu’elle traverse aujourd’hui.
Voilà pourquoi le comité permanent du Parlement chinois a décidé, lundi 24 février, d’interdire complètement le commerce et la consommation des animaux sauvages dans tout le pays, au moins jusqu’à nouvel ordre. Doit-on se réjouir ? Le trafic reprendra-t-il de plus belle lorsque l’épidémie sera passée ?
Déjà, en 2002 et 2003, lors de la crise du Sras, un virus également provoqué par la consommation de civette (ou chat musqué), la Chine avait voulu restreindre ce commerce caché d’animaux exotiques. De la même manière, l’année dernière, deux Mongols sont morts de la peste après avoir mangé de la marmotte crue.
Il y aurait là une bonne raison d’interdire définitivement toutes ces pratiques et une chance inespérée pour les animaux victimes de braconnage.
Le rapport de l’association Traffic prouve que de nombreux autres animaux sont victimes de ce braconnage et de ce marché noir intempestifs, qui ne fait qu’augmenter à mesure que les années défilent, notamment à cause du développement économique de l’Asie et de l’émergence de nouvelles classes aisées.
« Il ne passe pas un jour sans que l’on voit une saisie d’animaux sauvages en Asie du Sud-Est et souvent les volumes sont impressionnants », a déclaré Kanitha Krishnasamy, la directrice de Traffic dans cette région du monde.
La contrebande fleurit et les espèces disparaissent, parfois à la suite de souffrances terribles et véritablement inhumaines. Dans les pays d’Asie du Sud-Est, en dix ans, 225 000 kg d’ivoire d’éléphant d’Afrique ont été saisis ; en quinze ans, 100 000 tortues à nez de porc, rien qu’en Indonésie ; en trois ans, 45 000 oiseaux chanteurs, pour les seules îles de Sumatra et de Java. Et la liste continue : elle est longue comme le bras.