La production du lin s'étend sur le territoire français pour répondre à une demande croissante, mais aussi sous les effets du dérèglement climatique. Une culture plutôt vertueuse et bien rémunérée, mais un peu risquée pour les agriculteurs.
La Normandie, reine du lin
Le lin est probablement l’une des premières fibres utilisée par les humains. Il a pris racine dans la vallée du Nil 3000 ans avant JC. Ce sont les Phéniciens qui lui ont fait traverser la Méditerranée à partir du VIIè siècle. Et depuis, les terres limoneuses et le climat normand se sont révélés parfaitement adaptés à sa culture. La zone s’est étendue vers le nord jusqu’à Amsterdam.
Charlemagne, au VIIIè siècle, donne une véritable impulsion à la culture mais aussi à la transformation de la plante. Il ordonne que le lin soit filé à la cour et que chaque foyer dispose du matériel nécessaire à son travail. Le XIXè siècle et la mécanisation du coton auront raison du lin. Des agriculteurs flamands le réintroduisent au cours du XXIè.
Aujourd’hui, la France est le premier producteur mondial de lin. L’Union Européenne (UE) produit 75 à 80% du lin à fibre mondial. La France détient à elle seule 85 % des surfaces de l’UE, devant la Belgique et les Pays-Bas. Elle réalise ainsi 60 à 65% de la production mondiale de lin.
Avec 80 000 ha répartis dans l’Eure, la Seine-Maritime et une partie du Calvados, la Normandie est à l’origine de 75% du lin français et de près de 50 % de la production mondiale de lin.
Linum usitatissimum, flax en anglais ou lin cultivé pour sa fibre appartient à la famille des Linaceae. C’est une plante herbacée fragile et technique à cultiver pour obtenir une fibre textile de qualité.
Le lin, l’autre culture
Patrick Pluchet est agriculteur. Il exploite une ferme de 170 hectares avec son frère. Il fait de la grande culture de blé, de betteraves, de colza, de pommes de terre et de luzerne. Il a décidé de faire entrer le lin dans ses rotations pour diversifier les différents assolements par l’intermédiaire d’un de ses amis, créateur du Teillage du Vexin. Or le lin ne pousse pas n’importe où et les liniculteurs cherchent des nouvelles parcelles pour faire tourner leur production. Donc Patrick s’est lancé.
« C’est le liniculteur qui pilote le travail. Il nous donne des indications de travail du sol après l’avoir analysé. Puis il nous donne la meilleure date de semis. Il faut que vous sachiez que le semis est déterminant, si on le rate, la récolte est fichue. »
Ce que confirme David Léger, agriculteur bio, qui cultive sur 54 hectares « 8 hectares d’herbages pour 25 vaches Aubrac et tout le reste en rotation ».
Le lin bio représente 1% de la production, autant dire qu’il s’agit d’une pratique confidentielle, pour le moment. Toutefois, la culture dite « conventionnelle » a une utilisation d’intrants réduite : elle ne nécessite aucun apport en azote et un seul fongicide, grâce à sa résistance.
David a également choisi le lin pour enrichir ses rotations.
« Les rotations de cultures en bio ne sont pas faciles. Il faut faire des rotations sur six ans. Quand on a fait deux ans de prairie temporaire, on fait un blé, puis une seconde paille et parfois sur la dernière année, on ne sait plus trop quoi faire. Le lin est intéressant parce que c’est une culture à forte valeur ajoutée qui sécurise ma ferme. »
Mais, c’est une culture délicate qui parfois est un échec parce qu’en bio, on ne traite pas du tout. Il est conseillé par Morgane Raison dans le cadre de l’association Lin et Chanvre bio qui promeut cette culture très vertueuse.
Une culture très technique
La pluviométrie et la température du sol sont fondamentales. Parfois, le lin est attaqué tout jeune par les thrips, des petites mouches noires qui le piquent si le temps est très sec et que le vent s’en mêle. C’est une des rares raisons de traitement de cette plante qui par ailleurs est robuste, sauf à la verse liée aux coups de vents, lorsqu’elle est haute.
Les traitements sont constitués de produits chimiques ou de décoctions à base d’huiles essentielles sur lesquelles travaillent les équipes techniques. Puis, la plante parvenue à maturité est arrachée à un moment précis. Elle n’est pas coupée parce que la fibre court des racines au haut de la tige.
Il s’agit de le coucher à une période propice. En effet, le lin repose au sol et est retourné régulièrement. Il doit être soumis à une bonne alternance de pluie, de brise et de soleil : c’est le rouissage au cours duquel la paille commence à se séparer de la fibre.
Une semaine après les arrachages, le liniculteur récolte les graines. Cette partie est très technique et on ne rentre le lin que lorsqu’un échantillon de la paille de lin satisfait le teillage. Un petit champignon travaille la paille de lin au sol et dégrade la plante de telle façon qu’on peut extraire la fibre de l’écorce. La durée dépend du climat entre 3 et 8 semaines. C’est donc un moment crucial avant que le lin ne rejoigne l’usine de teillage.
Séparer la fibre : le teillage
Le liniculteur ou teilleur assiste donc les paysans tout au long de la culture et détient les machines qui extraient la fibre. Et comme tout est bon dans le lin, il valorise lui-même ou envoie en valorisation les anas – les fragments de paille – qui font de bons paillages horticoles, de la litière pour animaux, entrent dans la fabrication de panneaux agglomérés ou de laine de lin isolante, d’emballage ou de mélanges combustibles.
On l’assemble aussi avec des polymères issus du pétrole et, depuis peu, naturels pour fabriquer des planches de surf, des tableaux de bord automobiles ou des lunettes !
« Le teillage est un procédé mécanique sans utilisation d’eau ou de produits chimiques, qui consiste à séparer la partie fibreuse de la partie bois et de la graine de la plante. » explique Romain Depestele, directeur du site Teillage en Vexin. « Dans la plupart des cultures, le savoir essentiel est chez le producteur. Le lin, c’est un peu différent parce que c’est une culture dite à risque qui ne représente guère plus de 10% de la production d’un agriculteur chaque année. »
Donc, c’est le teilleur qui développe et enrichit cette connaissance, qui forme des équipes et qui fournit l’accompagnement technique.
« C’est un travail en partenariat, affirme Romain Depestele, parce que l’agriculteur est propriétaire de sa matière, que nous, nous extrayons la fibre et exécutons le mandat de vente. »
La fibre est classée par niveau de qualité. Et qui dit niveau de qualité dit prix. Ce qui règle le prix, c’est le marché et si le marché monte, toute la filière est bien payée, s’il descend, c’est pour tout le monde aussi. Ainsi un semis de lin d’un hectare peut rapporter entre 0 et 10 000€, et coûte en investissement graines et conseil, quoiqu’il arrive, environ 2 200€.
Ce partenariat, mené par les liniculteurs devrait permettre de faire entrer dans les rotations cette plante aux multiples talents.