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Le « jour du dérèglement » a été franchi en France le 5 mars 2020

Dans l’ordre des priorités du gouvernement, la lutte contre le changement climatique reste « à la périphérie des politiques publiques », selon le rapport, en particulier dans les trois secteurs polluant le plus : les transports, le bâtiment, et l’agriculture.

Le jeudi 5 mars, la France a officiellement dépassé le seuil d’émissions de gaz à effet de serre qu’elle s’est fixé, dans l’espoir d’honorer ses engagements de neutralité carbone d’ici 2050. Calculé par l’association l’Affaire du siècle, ce « jour du dérèglement » n’a jamais cessé d’être reculé depuis le début des années 1970. Ainsi, pour les quelque 300 jours qui restent à l’année 2020, la France est en « dette climatique » à l’égard de notre planète.

Vous vous en souvenez ? Le 29 juillet 2019, nous apprenions que le « jour du dépassement » était atteint. Ce seuil signifiait qu’à compter de ce jour, nous avions déjà consommé toutes les ressources renouvelables que notre planète pouvait offrir en un an. Comme chaque année depuis la décennie de 1970, l’humanité avait ainsi vécu à crédit, abattant davantage d’arbres, mangeant plus de viande et de poisson, étalant plus de surface agricole et coulant davantage de béton que la Terre ne peut le supporter.

Avec une telle cadence, il faudrait en moyenne 1,75 planète pour subvenir durablement à ce que l’homme consomme, mais cinq planètes si nous vivions tous sur le modèle des États-Unis. Pour la France, le jour du dépassement était même tombé le 5 mai 2019, seulement le 125e jour de l’année, au regard de la capacité de régénération des ressources écologiques. En cette année 2020, le jour du dépassement mondial risque d’être atteint encore plus tôt.

Dans la même mesure, mais d’une manière bien plus inquiétante : jeudi dernier, le 5 mars, en seulement 65 jours, la France a déjà épuisé tous les gaz à effet de serre (GES) qu’elle est en droit d’émettre, dans le cas où elle voudrait respecter les objectifs de neutralité carbone fixés par sa politique climatique nationale, qui prévoit que nos taux d’émission de carbone soient égaux à notre capacité d’absorption d’ici 2050.

En 2017, le « jour du dérèglement » avait été apparenté au 3 mars, ce qui veut dire que nous n’avons gagné que deux jours en l’espace de trois ans. À une vitesse aussi lente, avec des ambitions aussi modiques, la France ne rejoindra l’eldorado de la neutralité carbone qu’en 2085, dans soixante-cinq ans, c’est-à-dire dans trois générations, ou treize mandats présidentiels sous la Ve République.

Ce calcul a été effectué par le cabinet Carbone 4, qui fournit une expertise aux quatre organisations membres de l’Affaire du siècle : Greenpeace France, Oxfam France, Notre affaire à tous et la Fondation Nicolas Hulot (FNH).

Selon l’Affaire du siècle, l’État français est donc depuis le 5 mars en « découvert climatique » et « va creuser sa dette » toute l’année, en complète contradiction avec les objectifs qu’il se plaît à proclamer depuis l’accord de Paris.

La neutralité carbone d’un pays comme la France est évaluée en fonction de l’alignement de ses rejets « incompressibles » (ceux qu’il est impossible de réduire) à ses capacités d’absorption, forêts, océans, prairies, ou tout autre puits de carbone.

Pour devenir neutre, la France ne devrait émettre dans l’atmosphère que 80 mégatonnes de CO2, tandis que les projections du cabinet Carbone 4 estiment qu’elles s’élèveront cette année à 450 millions de tonnes, plus de cinq fois la mise. 300 jours nous séparent de la neutralité et cette dynamique est faite pour durer : de la procrastination à l’échelle d’un pays.

Dans son tout premier rapport de juin 2019, le Haut Conseil pour le climat, l’organisme indépendant censé critiquer et influencer la politique du gouvernement en matière d’émissions de GES, avait jugé que « la réduction réelle des émissions de GES, de 1,1 % par an en moyenne » entre 2015 et 2018, était « quasiment deux fois trop lente par rapport au rythme nécessaire pour la réalisation des objectifs » (1,9 % en moins par an et 3,3 % à partir de 2025).

Dans l’ordre des priorités du gouvernement, la lutte contre le changement climatique reste « à la périphérie des politiques publiques », selon le rapport, en particulier dans les trois secteurs polluant le plus : les transports, qui représentent 30 % de nos émissions, le bâtiment, qui en émet 19 %, et l’agriculture, responsable de 19 % des GES également.

Devant soumettre au Parlement une réponse dans les six mois suivant ce rapport, le gouvernement s’est contenté, le 10 janvier 2020, de revoir à la hausse son budget carbone sur la période de 2019-2023, se condamnant d’emblée à engager un véritable sursaut à l’avenir, ou à s’avouer tout bonnement vaincu avant d’avoir essayé.

Quoi qu’il en soit, la France a préféré la dette à la résilience et tout le monde sait que les prochains gouvernements pourront se dédouaner ou faire une nouvelle série de promesses. Plus tard, toujours plus tard…

C’est pourquoi, face à cette inertie de tous les acteurs en jeu qui singent pour ainsi dire les pouvoirs publics, l’Affaire du Siècle a décidé d’entreprendre un combat judiciaire de longue haleine contre l’État lui-même, avec le soutien toujours croissant des presque deux millions et demi de citoyennes et de citoyens qui ont signé la pétition de l’association.

Pour le moment, l’État n’a pas donné suite à ces procédures, mais il semblerait que le pouvoir du juge soit le seul à-même de soumettre les gouvernements à entreprendre des actions concrètes en réponse à l’urgence. Le recours au droit pour protéger le vivant et les générations futures, c’est d’ailleurs ce que défend corps et âme Valérie Cabanes, qui recommande d’inscrire le crime d’écocide dans la constitution de chaque pays.

Les recours en justice sont-ils les seules armes de la société civile pour imposer ses choix ? C’est ce que tente de nous prouver Notre Affaire A Tous, association bien décidée à faire en sorte que les jours du dérèglement ne soient plus une triste fatalité.

Augustin Langlade

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