Renard, corbeau, pie, geai, étourneau, putois ou encore belette : un arrêté dresse la liste des espèces que l’on pourra massacrer les trois prochaines années au motif qu’elles sont susceptibles de causer des dégâts. Les associations environnementales appellent les citoyen-ne-s à répondre à la consultation publique, en ligne jusqu’au 27 juin, pour en refuser les dispositions les plus meurtrières.
De « nuisible » à « susceptible d’occasionner des dégâts »
Département par département, l’arrêté classe les espèces que l’on pourra tuer les trois prochaines années, du 1er juillet 2019 au 30 juin 2022, y compris en dehors de l’ouverture de la chasse. Il fait suite à celui de 2015 dont les mots « espèces d’animaux classés nuisibles » ont été remplacés par « espèces d’animaux classés susceptibles d’occasionner des dégâts ». Cet arrêté vient compléter la liste des animaux qu’il est déjà permis de tuer à la chasse.

Le terme nuisible a été supprimé par la loi pour la reconquête de la biodiversité d’août 2016, actant ainsi qu’aucune espèce, animale ou végétale, ne peut être considérée comme nuisible au regard du rôle unique de chacune dans le maintien et l’équilibre d’un écosystème. Pourtant, en-dehors de ce changement de terminologie, ce nouvel arrêté n’a pas évolué malgré un enjeu majeur du XXIème siècle : l’effondrement de la biodiversité.
« Mis à part une légère amélioration du sort de la fouine, dont le piégeage serait autorisé dans 68 départements (contre 79 précédemment), de l’étourneau (36 départements contre 44) et dans une moindre mesure du corbeau freux (56 contre 58) et de la corneille noire (82 contre 84), le projet d’arrêté est un quasi copier-coller de l’arrêté en vigueur depuis le 1er juillet 2015… Les choses sont même pires pour le renard, puisqu’il redeviendrait « destructible » en Savoie, ainsi que dans… 90 autres départements de France ! » détaille l’ASPAS
Les espèces sélectionnées par cet arrêté le sont dès que les dommages qu’elles causent coûtent 10.000 € par an, pour l’espèce et le département considéré. Les associations environnementales (LPO, France Nature Environnement, ASPAS, Humanité et Biodiversité) dénoncent le manque de vérification par l’administration qui justifierait le piégeage et massacre des animaux : mauvaise remontée d’informations, manque d’harmonisation des procédures et modèles, identification subjective de l’espèce ayant commis le dégât.
« Qui fait la différence entre les dégâts causés par une fouine et ceux commis par une martre ? Entre une corneille noire et un corbeau freux ? L’État se contente d’enregistrer des déclarations sans pouvoir en vérifier le fondement, pas plus que la sincérité des montants déclarés. » expliquent-elles dans leur communiqué
Protéger plutôt que détruire
La volonté d’estimer le coût financier des « dégâts » causés par les animaux ne repose elle non plus sur aucune mesure concrète. Pour les associations environnementales, « aucun élément ne vient démontrer que les destructions massives des dernières années ont effectivement permis de réduire les dégâts économiques. L’impact négatif de ces destructions de grande ampleur n’est jamais évalué non plus. L’argument selon lequel « ça aurait sans doute été pire » n’est pas étayé. Il ne tient pas compte des dynamiques de population, comportements territoriaux, etc. »

Ainsi, près d’un million de renards sont tués chaque année en France (entre 400 000 et 470 000 par tir selon l’étude de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) de 2013-2014, 200 000 par piégeage et autant sur les routes). Pourtant, cette extermination acharnée n’a démontré aucune efficacité selon les dernières études de l’ONCFS. Encore pire, elle prive l’agriculture d’un allié de poids contre les rongeurs qui mangent les cultures.
En effet, chaque renard consomme environ 4 000 micromammifères par an, dont nombre de campagnols des champs. En l’absence de prédateurs naturels, l’agriculture doit alors lutter contre les rongeurs en utilisant des produits chimiques qui ont un impact délétère sur toute la chaine trophique.
« En outre, les destructions induisent nécessairement une réponse comportementale des animaux visés : ceux-ci peuvent se déplacer, adapter leur fécondité ou encore laisser une place libre que d’autres animaux vont rapidement occuper. Ces réponses rendent les destructions inutiles, voire contre-productives (propagation de maladies du fait du déplacement d’animaux porteurs d’un germe fuyant les destructions, élevage des jeunes rendu plus facile du fait de l’élimination d’animaux parasites augmentant ainsi les populations, etc.). Les pouvoirs publics, conseillés par le monde cynégétique (de la chasse), continuent d’appliquer des méthodes d’apprenti-sorcier, sources de grande souffrance, sans en étudier les conséquences sur le comportement des animaux. » précise l’ASPAS
Alors qu’un million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction, il est incompréhensible que le gouvernement puisse aujourd’hui proposer de piéger et exterminer « à l’aveugle » des populations d’animaux. Le dernier rapport de l’IPBES nous a averti : en continuant à anéantir à une vitesse jamais égalée les autres espèces du vivant, l’humain fera lui aussi partie de la sixième extinction de masse.
Quand comprendrons-nous qu’il nous faut protéger plutôt que détruire ?

Le décret propose d’inscrire le Geai des chênes comme « espèce susceptible de causer des dégâts » dans trois départements supplémentaires (pour un total de 7 départements contre 4 avant) alors que cet oiseau est le premier forestier de France par le nombre d’arbres plantés ! Le Geai des chênes a l’habitude de cacher les graines et en oublier certaines, ce qui fait pousser de nouveaux arbres. De la même façon, le putois est visé par l’arrêté dans deux départements malgré le fait qu’il fasse partie de la liste rouge des mammifères menacés en France, en raison de la disparition des zones humides, son habitat naturel. Les associations accusent le lobbie de la chasse d’être à l’origine de ce non-sens.
« Seuls deux départements (pour le putois) et un seul (pour la belette) continuent à piéger et détruire par tir ces deux mustélidés : leur maintien sur la liste nationale n’a plus aucune raison d’être. Ces animaux devraient plutôt être classés sur la liste des espèces protégées, comme c’est déjà le cas dans d’autres pays d’Europe. Le département du Pas de Calais, dont le Président de la fédération départementale des chasseurs n’est autre que le Président de la Fédération nationale des chasseurs, a obtenu le maintien du classement de la belette et du putois sur son territoire. »
Pour l’ASPAS, il faut concentrer les réflexions sur les moyens techniques à mettre en œuvre pour protéger avec efficacité et dans la durée certaines activités, au lieu de toujours favoriser le recours au fusil, « facile mais inutile et dénué de toute éthique. » Les associations invitent tous les citoyen-ne-s qui veulent protéger le vivant à participer à la consultation publique.
Voici la liste de leurs revendications :
- Retirer le putois et la belette de la liste des espèces susceptibles de causer des dommages
- Revoir pour tous les départements la liste des espèces en retirant celles qui n’ont pas causé plus de 10K€ de dommage par an ces dernières années (en application de la jurisprudence du Conseil d’État)
- Définir pour tous les départements des zonages par espèce en fonction des dégâts constatés et de la présence d’exploitations agricoles
- Limiter la durée du présent arrêté à un an afin de le retravailler sérieusement et dans le respect de la volonté du législateur lorsqu’il a voté la loi pour la reconquête de la biodiversité il y a trois ans seulement
- Interdire le déterrage du renard
- Rendre obligatoire la mise en œuvre de méthodes alternatives en amont de toute destruction et pour toutes les espèces
- Retirer la possibilité de tuer les mustélidés et la pie bavarde pour répondre aux seuls intérêts cynégétiques (monde de la chasse) »