Vendredi 13 décembre, Christophe Castaner a présenté la cellule Déméter. Sous prétexte de lutter contre « l’agribashing », cette cellule veut empêcher les intrusions dans les élevages et les abattoirs des lanceurs d’alertes. Avec cette décision, le gouvernement occulte le vrai débat : la nécessité vitale de changer de modèle agricole.
Prendre des faits isolés pour faire une généralité
Mettre en place des mesures de prévention, de protection et d’intervention au plus près du territoire, département par département, voici la promesse du ministre de l’Intérieur de France avec la création de la cellule Déméter pour empêcher les intrusions sur les exploitations agricoles.
« Cette cellule Déméter vise à mettre tous les moyens nécessaires pour faire en sorte qu’aucune de ces atteintes au monde agricole ne soit impunie. Des enquêtes avaient lieu dans telle ou telle commune, mais sans être forcément coordonnées. J’ai demandé que l’anti-spécisme soit un des axes prioritaires du renseignement. Et nous allons renforcer les moyens dans le monde judiciaire, en coordonnant au niveau national, afin de lier des faits qui peuvent apparaitre non liés, pour ensuite constituer des associations de malfaiteurs sur lesquelles nous devons enquêter. » a déclaré le ministre à Saint-Pabu (Finistère), aux côtés des représentants des syndicats agricoles FNSEA et Jeunes Agriculteurs.
Le premier écueil de cette cellule, c’est d’y mélanger pêle-mêle des vols de tracteurs ou matériel agricole avec les prises d’images des lanceurs d’alerte, en ne donnant aucun chiffre sur les infractions avérées par les militants antispécistes. Pourtant, l’association de malfaiteurs est passible de 10 ans de prison et 150 000 euros d’amende, on assiste donc à une forte criminalisation des lanceurs d’alertes alors qu’il s’agit parfois… d’éleveurs eux-mêmes.
« On se trouve face à une manipulation du gouvernement qu’on connaît bien, notamment la tête de la FNSEA qui cherche depuis longtemps à décrédibiliser les actions d’une association comme la nôtre et fait pression sur le gouvernement pour entraver notre travail. Faire croire qu’on est coupables de crimes alors qu’on ne fait que donner de l’information de façon à pouvoir donner un débat d’idées démocratique, salir et décrédibiliser les lanceurs d’alerte… Le lobby de l’élevage intensif est extrêmement puissant et n’a pas envie que les choses changent, et pour qu’elles restent pareil, il faut que les citoyens ne puissent pas se rendre comptent de l’envers du décor… Nous, on s’en prend à un système ; pas à des personnes. Ce système nous mène tous droit dans le mur. Pour en changer, il faut avoir conscience du problème. » explique Brigitte Gothière, co-fondatrice de L214, à La Relève et La Peste
L214 travaille ainsi avec des agriculteurs, des équarisseurs, ou des éleveurs intensifs qui leur racontent être prisonniers par certaines coopératives, pas payés au juste prix, pris par les banques à cause de leur taux d’endettement ou trahis par les syndicats, « notamment la FNSEA », nous confie Brigitte. Les éleveurs sont endettés en moyenne à 187 000€, ce montant va jusqu’à 431 000€ pour les éleveurs de cochons. Le taux de suicide des agriculteurs est 20% plus élevé que toutes les professions confondues, avec un turn-over assez exceptionnel et des troubles musculo-squelettiques importants.
Brandir l’agribashing pour renier le vrai débat
Le terme « agribashing » employé tous azimuts par le gouvernement et certains médias occulte en fait le vrai débat : ce ne sont pas les agriculteurs, parfois prisonniers d’un système qu’ils n’ont pas choisi, qui sont remis en cause, mais bien l’agro-industrie qui maltraite les êtres vivants (humains et non-humains), pollue l’environnement et a des conséquences catastrophiques à de nombreux points de vue : un changement de modèle agricole est donc vital pour tou-te-s.
« Notre logo apparaît dans le dossier alors que la Confédération Paysanne n’y a pas du tout été associée : ni dans le travail en amont, ni dans sa présentation. Cette notion d’agribashing est largement exagérée. Il faut arrêter d’agiter cet étendard car la FNSEA s’en sert pour ne pas faire évoluer les pratiques agricoles. C’est dramatique, cela veut dire que le gouvernement n’a pas compris la nécessité de l’évolution du modèle agricole. Pour nous, une action politique agricole réussie doit se positionner sur le besoin de revenus, de reconnaissance, d’une nouvelle Politique Agricole Commune pour réorienter le modèle. » explique Nicolas Girot, porte-parole de la Confédération Paysanne, à La Relève et La Peste
Ainsi, s’il y a parfois une crise de confiance entre certains agriculteurs et citoyens, la Confédération Paysanne est convaincue que c’est l’ouverture et le dialogue qui permettront aux paysan-ne-s de mieux expliquer leurs pratiques agricoles, qui sont multiples. Tout aussi préoccupant, cette collusion incessante entre la FNSEA et le gouvernement laisse sur le côté tous les autres syndicats agricoles qui utilisent des méthodes d’agriculture différentes. La Confédération Paysanne dénonce l’impartialité du gouvernement qui laisse la main mise à la FNSEA pour exercer un monopole sur le terrain.
De son côté, L214 maintient sa vigilance. Pour l’association, les gens n’ont pas l’intention de se laisser bafouer leurs droits au savoir et à la transparence. La mobilisation continue.
Crédit photo à la une : GEORGES GOBET / AFP