Déforestation, agrobusiness, incendies, mines, pétrole, assassinats… Au Brésil, l’avenir de la forêt amazonienne, plus que jamais menacée, et de ses peuples autochtones se joue dans le scrutin du 30 octobre prochain, au cours duquel les électeurs devront choisir entre deux candidats que tout oppose.
Ancien ouvrier, travailliste, plus écologiste que son rival, Luiz Inácio Lula da Silva, déjà deux fois élu président, peut en effet apparaître comme l’antithèse du chef d’État sortant, Jair Bolsonaro, cet ancien militaire, nationaliste, ultralibéral et climatosceptique que les observateurs qualifient volontiers de « Trump tropical ».
Circonstance particulière à ce scrutin, les deux candidats ont fait leurs preuves à la tête du pays. Pour eux, il n’y a donc pas de bénéfice du doute, et leurs bilans respectifs sont éloquents.
Entre janvier 2003 et janvier 2011, le double mandat de Lula da Silva a été marqué par un recul sans précédent de la déforestation de l’Amazonie : après avoir atteint son plus haut niveau en 2004, année où le couvert forestier brésilien a perdu près de 28 000 km2, celle-ci n’a cessé de baisser jusqu’en 2012, son plus bas historique, établi à 4 600 km2 défrichés.
D’après l’Institut national de recherches spatiales brésilien (INPE), dont les satellites surveillent en permanence l’Amazonie – dont 60 % de la surface se trouve au Brésil –, le mandat de Jair Bolsonaro a quant à lui été ponctué d’une recrudescence dramatique des surfaces déboisées, passées de 7 500 km2 à 13 000 km2 entre 2018 et 2021.
Gouvernement pyromane
Une telle augmentation résulte d’une vaste politique de dérégulation et d’un soutien inconditionnel du président sortant envers les projets de développement (autoroutes et voies ferrées traversant la forêt, mines d’or, puits de pétrole), mais surtout vis-à-vis de l’agrobusiness, responsable à 84 % de la déforestation de l’Amazonie.
Pour libérer des terres qui seront ensuite transformées, la plupart du temps, en champs de soja ou en pâturages bovins, éleveurs et agriculteurs brésiliens incendient les territoires boisés, dévorant peu à peu la forêt.
Selon un dossier de Greenpeace consacré à l’élection brésilienne, cet « arc de déforestation », qui s’étend de l’Atlantique à la Bolivie,avance du sud vers le nord, quoique la majeure partie des feux se concentrent dans une région particulière du nord-ouest du pays : l’Amacro, ainsi baptisée car trois États brésiliens s’y joignent, l’Amazonas, l’Acre et le Rondônia.
Cette année, sans doute parce que les agro-industriels augmentent la cadence à l’approche des élections, l’Amazonie avait déjà subi 86 919 feux au 29 septembre, contre 75 090 pour toute l’année 2021. Or, rappelle Greenpeace, « à l’exception des années de sécheresse extrême, comme en 2005, environ 99 % des incendies en Amazonie ne sont pas naturels », mais d’origine humaine.
Légaux ou illégaux, ces feux sont tolérés, voire encouragés par l’exécutif actuel, qui a beaucoup misé sur la production et l’exportation de bœuf et de soja destiné à l’alimentation animale, toutes deux en pleine croissance ces dernières années.
Dans le Cerrado, un biome tropical recouvrant 23 % du Brésil en son centre, les cultures de soja ont par exemple avalé 10 % de la savane, soit environ 23 millions d’hectares, la superficie du Royaume-Uni, ou presque. Les pâturages, eux, en ont grignoté 20 %.
Ces viandes et ces légumineuses inondent en outre le marché européen, dont 26 % des importations de bœuf et 14 % des importations de soja proviennent du Cerrado.
Une situation inédite dans l’histoire
Les communautés autochtones d’Amazonie craignent également une réélection du président sortant. Sous le mandat de Jair Bolsonaro, indique Greenpeace, les invasions illégales de terres indigènes ont plus que doublé, et 430 personnes autochtones ont été assassinées, souvent des défenseurs de l’environnement.
Refusant de perpétuer la politique de ses prédécesseurs, le président Bolsonaro n’a par ailleurs reconnu, en trois ans et demi, aucun nouveau territoire indigène, là où Lula da Silva en avait démarqué 79 au cours de ses deux mandats. Le bilan du chef d’État sortant est donc catastrophique pour les droits humains comme pour l’environnement.
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Dans son programme, le candidat travailliste promet de mettre en place une tolérance zéro contre l’orpaillage illégal, la déforestation et les incendies, et de poursuivre sa politique de reconnaissance des populations autochtones. Plusieurs institutions, dont l’université d’Oxford, estiment que l’élection de Lula à la présidence « permettrait d’éviter la disparition de 75 960 km2 de forêt amazonienne d’ici 2030, soit une superficie équivalente à celle du Panama ».
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Quoi qu’il arrive, le prochain président du Brésil devra faire face à une situation inédite dans l’histoire : avec 26 % de sa surface défrichée, la forêt amazonienne aurait récemment franchi un point de non-retour signant sa dégradation inéluctable en savane sèche.
Sous l’effet combiné du déboisement et du réchauffement climatique, la plus grande forêt du monde ne parvient plus à se régénérer.
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Crédit photo couv : EVARISTO SA / AFP