Nouveau désaveu du Conseil d’Etat, cette fois-ci envers les maires souhaitant réguler l’usage des pesticides dans leur commune. Le 31 décembre dernier, en rejetant le pourvoi de la commune d’Arcueil dont le maire avait pris en septembre 2019 un « arrêté anti-pesticides », la plus haute des juridictions de l’ordre administratif a tranché : la compétence pour réglementer les pesticides appartient à l’État et non aux maires. Ce faisant, le Conseil d’Etat renforce la centralisation des pouvoirs aux mains du Ministère de l’Agriculture et des Préfets. Un camouflet pour la démocratie selon les membres du collectif des maires anti-pesticides qui restent plus déterminés que jamais à continuer leur combat.
Le combat des maires anti-pesticides
Les membres du collectif maires anti-pesticides se disent « Choqués, mais pas tant surpris » par la décision du Conseil d’Etat. Pour cause, la majorité des arrêtés anti-pesticides pris par les maires avaient étaient retoqués par les tribunaux administratifs. Le verdict négatif du Conseil d’Etat fait suite au pourvoi de la commune d’Arcueil dans le Val-de-Marne.
En septembre 2019, le maire EELV Christian Métairie avait pris un arrêté pour restreindre l’usage du glyphosate. Le Préfet de la Région avait alors contesté le document, qui a ensuite été suspendu par le tribunal administratif. Accompagné par l’avocate Corinne Lepage, le maire dissident avait saisi le Conseil d’Etat qui a désavoué toute compétence des édiles sur le sujet.
Dans son avis, le Conseil d’Etat a ainsi précisé : « Si le maire est habilité à prendre, pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne peut légalement user de cette compétence pour édicter une réglementation portant sur les conditions générales d’utilisation des produits phyto-pharmaceutiques qu’il appartient aux seules autorités de l’Etat de prendre. »
Par ce jugement, le Conseil d’Etat cantonne le pouvoir de cette régulation au gouvernement, à son ministère de l’Agriculture et aux Préfets chargés d’appliquer le programme gouvernemental, et ce même en l’absence de mesures nationales de protection des riverains !
« Ce qui change aujourd’hui, c’est une décision radicale d’autorité stipulant que les maires n’ont désormais pas le droit de prendre des arrêtés anti-pesticides, et ce même s’il y aurait une défaillance de l’Etat ! C’est assez passionnant comme enjeu de société car cela voudrait dire que les élus locaux ne sont pas habilités à réagir sur un problème de santé publique, même si l’Etat est en tort. » réagit Daniel Cueff, Président du collectif des maires anti-pesticides en France, auprès de La Relève et La Peste
En mai 2019, Daniel Cueff, alors maire de Langouët, avait pris le premier arrêté interdisant l’épandage de produits phytopharmaceutiques « à une distance inférieure à 150 mètres de toute parcelle cadastrale comprenant un bâtiment à usage d’habitation ou professionnel ». Le motif de l’époque : les habitants de Langouët présentaient des taux très élevés de contamination au glyphosate.
Malgré ce taux de contamination accablant, le tribunal administratif de Rennes avait ensuite décidé de suspendre l’arrêté anti-pesticides. En décembre 2019, un arrêté du gouvernement a alors fixé les distances de sécurité à 20 mètres incompressibles lorsque le produit contient une substance préoccupante, à 10 mètres pour l’arboriculture et à 5 mètres pour les autres cultures. Des distances insuffisantes pour les maires anti-pesticides.
Pendant le premier confinement, ces distances de sécurité ont même été revues à la baisse, jusqu’à 3 mètres des maisons, alors que des études scientifiques ont fait le lien entre l’épandage de pesticides, la pollution de l’air et la propagation du coronavirus. Le choix de l’appliquer revenait alors aux Préfets, qui pouvaient décider de cette dérogation sans aucune concertation de la population au prétexte du covid-19.
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Mobiliser la population face à la concentration des pouvoirs
La nouvelle décision du Conseil d’Etat vient donc renforcer la concentration des pouvoirs au sein d’un exécutif tout puissant, avec des Préfets chargés d’appliquer les volontés gouvernementales. Une situation de plus en plus préoccupante pour le droit de l’environnement qui se voit quasi-systématiquement bafoué dans de nombreux cas confondant l’intérêt général avec la recherche de profits.
« Vous avez sur le continent européen deux Etats où le Préfet ou le gouverneur ont plus de pouvoirs à eux seuls que tous les élus locaux réunis : la Turquie et la France. Aujourd’hui, les Préfets ont plus de pouvoirs que n’importe quel conseiller départemental ou régional, ou des maires directement élus par la population ! C’est un pouvoir extrêmement centralisé et une situation dangereuse. A l’inverse, en Allemagne, Angela Merkel ne peut pas prendre de décision sans concerter les Länder, le pouvoir est mieux partagé. On le voit avec la crise sanitaire, le Président de la République peut prendre n’importe quelle décision restreignant les libertés publiques sans jamais consulter le Parlement. » alerte Daniel Cueff, Président du collectif des maires anti-pesticides en France, auprès de La Relève et La Peste
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La régulation des pesticides est un enjeu de société capital qui ne peut pas être laissé aux mains d’un gouvernement bien trop permissif avec les lobbies phytosanitaires. Si l’argument sanitaire est celui qui est utilisé par le collectif des maires anti-pesticides, les produits chimiques ont aussi des conséquences désastreuses sur les écosystèmes et les créatures indispensables à la vie comme les pollinisateurs.
Avec le plan EcoPhyto, le gouvernement français s’était pourtant engagé à réduire de 50% l’utilisation des pesticides en France en 10 ans. Les chiffres officiels publiés en début d’année dernière ont révélé un échec cuisant : à la place, l’épandage des pesticides a augmenté de 25 % ! Résultat, la France est l’un des pays européens qui utilise le plus ces produits ! Même dynamique pour la sortie du glyphosate : alors qu’il s’agissait d’une promesse de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, sa date a sans cesse été repoussée à 2021 puis 2023.
« Nous ne baissons pas les bras pour autant ! Nous avons quand même réussi avec nos actions à faire en sorte que la SNCF s’engage à sortir du glyphosate cette année, et il y a eu une vraie prise de conscience de la population sur ces sujets-là. Par exemple, les pesticides sont toujours autorisés dans les copropriétés, au pied des tours, des HLM, des jardins d’enfants, mais les opérateurs gestionnaires ont commencé massivement à revoir les contrats avec les prestataires pour s’en passer.
Aujourd’hui, il est primordial de renouer le dialogue avec les agriculteurs, pour qu’ils comprennent que ce n’est pas eux qui sont accusés, malgré ce que la FNSEA leur met dans la tête avec l’épouvantail de l’agribashing, mais la dangerosité des produits en eux-mêmes. C’est l’objet de mon livre « Paysans, On vous aime ». Ce qui est terrible, c’est qu’à force de repousser la date de sortie du glyphosate, les agriculteurs ne s’y préparent pas ! Pire, quand le député Matthieu Orphelin a proposé une enveloppe de 30 millions d’euros pour aider les agriculteurs à se passer des pesticides, le Ministre de l’agriculture a mis son veto et a fait voter la même somme pour l’amélioration technique des pulvérisateurs ! » détaille Daniel Cueff, Président du collectif des maires anti-pesticides en France, auprès de La Relève et La Peste
Le combat est donc loin d’être fini pour les membres du collectif de maires anti-pesticides qui ont décidé de porter le sujet auprès de la Commission Européenne de façon à mettre en faute l’Etat français par rapport à ses décisions. De plus, les arrêtés anti-pesticides n’ayant pas fait l’objet de recours en justice dans les deux mois suivants leur publication, restent applicables sur les communes concernées.
« On a absolument besoin d’une mobilisation de la population, et notamment de maires pour continuer à passer des arrêtés. Plus nous pourrons accompagner juridiquement des élus courageux, plus on mettra l’Etat en porte-à-faux. Il y a un danger pour la santé publique et celle de notre environnement. Si l’Etat se voile la face, le problème existe quand même ! » conclut Florence Presson, Adjointe au maire de Sceaux et vice-présidente du collectif
crédit photo couv : PHILIPPE HUGUEN / AFP