L’association Canopées lance l’alerte sur un engouement qui pourrait bien être fatal aux forêts françaises : le recours croissant au bois pour produire de l’énergie, qu’il s’agisse de chauffage ou d’utilisations industrielles. Si la filière bois explique utiliser les « déchets » des coupes de forêts, les chiffres et les témoignages de terrain montrent une autre tendance.
Produire de l’énergie avec du bois
Les erreurs du passé vont-elles se répéter ? En France, lorsque tout le monde se chauffait au bois et que le charbon de bois était massivement utilisé pour les industries (métallurgie, briqueteries, etc.), les forêts françaises avaient bien failli y passer. Au milieu du XIXème siècle, c’est ironiquement la découverte d’autres sources d’énergie, le charbon fossile et le pétrole, qui les ont sauvés des flammes des forges.
Si le couvert forestier a bien augmenté dans le pays, à travers l’implantation à grande échelle de monocultures d’arbres décriées pour leurs impacts environnementaux mortifères, cet héritage explique en partie pourquoi nous avons très peu d’anciennes forêts aujourd’hui sur le territoire métropolitain.
Dans un rapport intitulé « Bois-Energie : l’équation impossible », l’association Canopées lance l’alerte sur le recours de plus en plus massif au bois pour produire de l’énergie, qu’il s’agisse de chauffage, d’électricité ou de biocarburants. En France, le bois-énergie représente déjà 36 % de la production d’énergies renouvelables et 35 % de la consommation toutes énergies renouvelables confondues.
« A l’horizon 2050, l’émergence de nouveaux usages, comme le biogaz ou les biocarburants à de base bois, pourrait venir s’additionner aux usages existants et entraîner une augmentation forte de la récolte de bois énergie. Selon les scénarios envisagés, la demande de bois énergie liée à la forêt pourrait être maintenue au niveau actuel (30 Mm3/an) ou exploser (110 Mm3/an) » alerte l’association Canopées
3e massif forestier d’Europe et première ressource renouvelable nationale, la forêt française souffre déjà des conséquences du dérèglement climatique et perd peu à peu sa capacité à absorber le carbone, dans un cercle vicieux. Plutôt que d’ajuster la récolte de bois à ces nouvelles conditions, l’augmentation de la demande en bois énergie pourrait aggraver encore plus la situation.
« Il ne suffit pas de tourner un robinet pour mettre l’énergie de la biomasse au service du consommateur. Issue du vivant, elle nécessite une chaîne de transformation complexe. D’autant plus que, comparée aux hydrocarbures, la biomasse est volumineuse, peu dense en énergie (il faut beaucoup de biomasse pour générer une même quantité d’énergie qu’avec du pétrole), coûteuse à mobiliser, parfois saisonnière, périssable et très dispersée sur le territoire et pas nécessairement accessible. Sa valorisation énergétique peut aussi créer une compétition avec les cultures alimentaires, et oblige également à des choix d’utilisation : un arbre qu’on brûle, c’est un « puits » qui ne stockera plus de carbone et un matériau qui ne servira jamais à la construction » prévient ainsi l’INRAE dans une étude
Une tendance à la hausse préoccupante
La demande en bois énergie est dopée notamment via deux phénomènes : d’abord le recours croissant aux chaudières à granulés par les ménages depuis l’interdiction de celles au fioul, mais aussi le développement à grande échelle d’infrastructures pour valoriser le bois issu de coupes sanitaires en bois énergie, grâce à des subventions publiques.
En 2019 à Pomacle dans la Marne près de Reims, la société Européenne de Biomasse a par exemple installé une usine de production de pellets/granulés (par un procédé de vapocraquage) qui consomme près de 300 000 tonnes de biomasse par an. Sa matière première : les bois morts issus des parcelles d’épicéa scolytés ou de vignes collectées dans un rayon de 150 km. Une fois tous ces bois malades brûlés, où cette usine s’approvisionnera-t-elle ? interroge Canopées. Et la société prévoit de construire d’autres usines du même acabit.
A l’heure actuelle, 40% du bois recyclé collecté est utilisé pour la filière “bois énergie” selon l’ADEME (Rapport national du recyclage, 2021). Les acteurs industriels et la filière bois se veulent rassurants en expliquant qu’ils utilisent donc des rebuts des coupes forestières, ou le bois issu de coupes sanitaires. Mais ce discours se heurte aux observations sur le terrain.
Dans le massif des Landes de Gascogne et sa périphérie, les négociants de bois locaux se voient proposer des prix de plus en plus élevés pour le bois énergie, qui viennent alors concurrencer le bois de trituration et même le bois d’œuvre. Cette hausse de la demande entraîne des pratiques sylvicoles non justifiées.
« Par exemple, on observe des coupes d’éclaircies anticipées à 10 ans (au lieu de 13-15 ans pour la première éclaircie) et 15-20 ans pour la seconde, ou des coupes anticipées de peuplements de 20 ans en totalité pour le bois énergie et la trituration. D’après les experts, ce type de gestion est une évolution récente. Les rotations se retrouvent donc raccourcies. Les coupes sont anticipées pour fournir la demande immédiate » décrypte l’association Canopées dans son rapport
Un phénomène qui est loin d’être local. Alors que la récolte totale française reste relativement stable, malgré une hausse depuis 2021 en raison des bois scolytés, celle de bois-énergie commercialisée, elle, double quasiment. Or, si le bois-énergie ne provenait que des « déchets » des transformations industrielles, les récoltes de bois d’œuvre et de bois d’industrie devraient augmentées de façon corrélée à celles du bois-énergie, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Un constat partagé par les scieries locales, aux premières loges, qui voient partir du bois de très bonne facture dans les usines à brûler, plutôt que d’être utilisées dans la construction, ainsi que nous l’apprenait la scierie française foulon.
Déjà sapées par la concurrence étrangère, « la demande forte en bois-énergie au détriment des bois pour les sciages est un nouveau frein au maintien des scieries françaisesdépourvues de leur matière » précise Canopées. Aujourd’hui, seules les grosses scieries d’une capacité de plus de 20 000 m3 arrivent à augmenter leurs productions.
Des pistes d’actions
Pour protéger les forêts françaises, tout est encore possible. Associations et scientifiques exhortent donc les politiques à instaurer des lois permettant d’assurer que les prélèvements forestiers soient compatibles avec le caractère renouvelable de l’énergie fournie.
« Le principal atout des bioénergies est d’être facilement mobilisables et compatibles avec le système énergétique actuel, au risque de retarder d’indispensables efforts de sobriété. Du gaz fossile au biogaz, du kérosène au biokérosène, les bioénergies permettent à de nombreux secteurs de se verdir sans engager de profonde restructuration. (…) L’usage de la biomasse forestière pour la production de biocarburants n’est en aucun cas acceptable sans que ne soit remis en cause la croissance du transport aérien et maritime » rappelle Canopées
Un discours qui fait écho chez les décideurs. Le Parlement européen veut ainsi exclure certains types de bois primaire de la directive sur les énergies renouvelables, afin de protéger les forêts. En novembre 2022, une étude scientifique démontrait en effet que la récolte de bois énergie est l’une des causes principales de la baisse des capacités de capture de CO2 des forêts européennes. En France, la loi sur l’accélération des énergies renouvelables mentionne à peine le bois énergie.
Pour l’association Canopées, la biomasse ligneuse primaire doit être exclue des subventions publiques et de la liste des énergies renouvelables. Tandis que les crédits financiers alloués à la filière “bois énergie” devraient être réorientés vers l’amélioration et l’adaptation des peuplements existants, et l’aide aux petites, moyennes et très petites entreprises pour valoriser les usages longs du bois.
Surtout, l’association exhorte la filière bois à systématiquement penser à l’usage de la biomasse forestière : brûler du bois pour produire de l’énergie, oui, mais pour quoi faire ?
Crédit photo couv : Coupe rase d’un peuplement feuillu dans le Morvan – Jean-Luc Pillard