Une étude, parue au mois de juillet dans la revue Biological Conservation, met en évidence les liens entre l’accroissement du bétail (bovins) et les pandémies qui touchent les humains. Serge Morand, son auteur, chercheur au CNRS-CIRAD, nous en dit plus sur ses résultats et les pistes qu’il entend creuser à l’avenir.
Le contexte de l’étude
Mieux comprendre les pandémies, c’est le travail et l’obsession de Serge Morand, chercheur en écologie de la santé au CNRS-CIRAD, l’organisme français de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable des régions tropicales et méditerranéennes.
Depuis plusieurs années, il creuse, il creuse. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ces résultats sont loin d’être réjouissants…
En 2014, il a mis en évidence les liens entre l’accélération des épidémies et le développement du transport international, notamment aérien, depuis les années 1960. Une étude en cours de révision, qui l’a ensuite amené à pousser plus loin sa compréhension des épidémies, en questionnant cette fois-ci leur base.
Grâce à des données ouvertes et libres, il a donc tenté d’établir ou de réfuter des corrélations entre trois facteurs qui s’accélèrent, partout dans le monde : la perte de la biodiversité, l’augmentation des épidémies (animales et humaines) et l’augmentation exponentielle des animaux d’élevage, en particulier des bovins.
« J’ai choisi de me concentrer sur les bovins, détaille Serge Morand, parce que leur biomasse est supérieure à celle de tous les humains… Selon des données que j’ai actualisées, on compte sur Terre 1700 milliards de tonnes de bétail, pour « seulement » 500 milliards de tonnes d’humains. »
Une biomasse bovine qui ne fait qu’augmenter, même sion peut se réjouir que pour la deuxième année consécutive, la consommation mondiale de viande soit en léger recul…
« Entre 1960 et 2016, le nombre de bovins est passé de 1 milliard de têtes à 1,6 milliard. Mais j’aurais pu choisir d’incorporer d’autres animaux dans l’étude. Pour se faire une idée, le nombre de cochons a triplé sur la même période (de 500 millions à 1,5 milliard), alors que le nombre de poulets est juste hallucinant : 4 milliards en 1960, pour 25 milliards en 2016 sans compter les poules pondeuses. Cela veut tout simplement dire qu’il y a plus de poulets sur Terre que d’oiseaux… »
Les résultats
Revenons donc à nos bovins… Une première analyse de l’étude publiée dans Biological Conservation montre que le nombre d’épidémies répertoriées chez les humains dans chaque pays (16 994 épidémies pour 254 maladies infectieuses entre 1960 et 2019) augmente en corrélation avec la perte locale de biodiversité. C’est ce qu’on appelle « l’effet dilution ».
L’émergence d’épidémies serait alors un marqueur inquiétant pour la conservation des espèces. Elle illustrerait ainsi les derniers soubresauts d’une biodiversité en extinction. La relation entre le nombre d’espèces en danger et celui des épidémies augmente jusqu’à atteindre un pic avant de diminuer.
On pourrait penser que le risque épidémique diminue avec la disparition des espèces. Que nenni… Il est au contraire relayé par l’augmentation du nombre de têtes de bétail. Serge Morand confirme ce deuxième résultat par une analyse temporelle (2006-2019) qui le place au cœur des risques sanitaires : l’accroissement du bétail impacte directement la faune sauvage et le nombre d’épidémies chez l’homme et l’animal domestique.
Comment expliquer une telle explosion du bétail et des épidémies qui l’accompagnent ? Pour le chercheur, c’est simple.
« Nous avons changé de régime alimentaire. Notre alimentation est de plus en plus carnée et nous consommons de moins en moins de protéines végétales. Sauf pour nourrir les bêtes… Il n’y a qu’à voir la situation catastrophique de l’Amérique Latine, où l’on déforeste à tour de bras pour planter du soja ou en Asie du Sud Est où on plante du maïs pour nourrir les cochons et les poulets…»
Cette extension du bétail réduit terriblement le territoire des animaux sauvages et favorise le passage des épidémies des animaux sauvages aux animaux domestiques puis à l’homme. L’autre réalité, ce sont les méga-fermes qui pullulent aux quatre coins du globe.
« Elles sont malheureusement les incubateurs parfaits des nouvelles épidémies. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en 2008 : le virus H1N1 est né d’une méga-ferme du Mexique. D’ailleurs, on sait que des variantes de ce virus circulent en ce moment-même dans les méga-fermes chinoises. »
Concernant le COVID-19, même s’il est délicat de se prononcer tant la chaîne de transmission n’est pas claire, Serge Morand a bien sa petite idée.
« Le problème en Chine et ailleurs en Asie, c’est la mise en ferme de plus en plus importante des animaux sauvages comme les civettes ou les pangolins. C’est le meilleur moyen de favoriser le passage des épidémies, directement des animaux sauvages à l’homme. Je ne dis pas que c’est ce qui s’est passé pour le COVID-19, mais que cela pourrait arriver très probablement. »
Aller plus loin
Chercheur engagé, Serge Morand ne compte pas s’arrêter là.
« J’aimerais approfondir mon étude par des réflexions sur le rôle du bétail en situation pandémique. Il s’agira de mieux comprendre les liens entre l’augmentation de la demande en protéines végétales pour nourrir le bétail et la diminution des aires des animaux sauvages, mais aussi sa place en tant que pont épidémiologique entre les animaux et les hommes. J’étudierai notamment l’effondrement de la diversité des races cultivées, qui tient un rôle important.
Plus globalement, j’essaie de montrer la nécessité de sortir de l’élevage industriel pour rééquilibrer notre système alimentaire. Cela permet de réduire la souffrance animale, celle des éleveurs, mais aussi de préserver la biodiversité et notre santé… Je suis convaincu qu’on ne pourra réussir une transition agricole qu’en remettant au cœur l’agriculture familiale. »
Son prochain combat : la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC).
« Il faut arrêter de subventionner la production pour davantage valoriser les contributions des agriculteurs aux services des territoires, payer le travail agricole à une plus juste valeur, pour limiter l’asphyxie et l’endettement. Je ne vous cache pas que c’est dur… Les lobbies sont forts. Mais cela me parait si important que je n’envisage pas de ne pas y aller. »
En attendant de réviser cette étude-là, Serge Morand s’est déjà lancé dans la prochaine : il s’intéresse à la déforestation, notamment liée à la culture du palmier à huile. Il est par ailleurs conseiller de Marie-Monique Robin pour le prochain film qu’elle prépare, La Fabrique des Pandémies, auquel vous pouvez souscrire par ici. Il sort aussi un livre chez Fayard le 9 septembre : L’homme, la faune sauvage et la peste. Nul doute qu’on vous donnera vite des nouvelles de ce chercheur aux convictions affirmées.