L’enquête « Implant Files » révèle l’incroyable flou dans lequel baigne la législation des implants médicaux partout en Europe. Comment une telle situation a-t-elle pu se mettre en place et se maintenir ?Explications.
Un lobbying très puissant
Actuellement, le système de mise sur le marché des dispositifs médicaux repose sur des organismes notifiés, des sociétés commerciales que les fabricants consultent pour examiner un dossier qui est souvent assez vide, et qu’ils payent pour obtenir les certifications.
En 2008, la Commission Européenne a tenté de changer ce système. Les industriels, les organismes notifiés et une partie des États membres comme la Grande-Bretagne et l’Allemagne s’y sont vivement opposés.

Au cours des discussions, il n’y a pas eu de contre lobbying. En effet, aucune ONG ne travaillait spécifiquement sur ces dispositifs médicaux : l’industrie avait donc le champ libre pour convaincre ses interlocuteurs. Le lobbying des industriels sur cette règlementation s’est fait bien en amont, avant même que la Commission ne fasse sa proposition en 2012. C’est à ce moment-là que les orientations les plus importantes se sont décidées, mais il était trop tard : les parlementaires avaient peu de marge de manœuvre pour changer les choses. Aujourd’hui encore, toutes les informations que les élus européens ont en main proviennent des industriels.
Des contrôles minimaux sur les dispositifs médicaux
Stéphane Horel, qui a participé à l’enquête « Implant Files », explique à quel point les contrôles sont minimaux sur les dispositifs médicaux :
« Il y a un pacemaker sans fil qui s’appelle le nano steam qui a été mis sur le marché en 2013 en Europe. Il avait été testé uniquement sur 58 moutons et 33 personnes. Vous ne pourrez jamais mettre un médicament sur le marché avec aussi peu d’études cliniques. D’ailleurs on ne peut même pas appeler ça un essai clinique. Mais ces dispositifs médicaux sont implantés dans le corps des gens. »
L’enjeu d’une nouvelle base de données
En mars 2020, Eudamed, une base rassemblant les rappels de produits, mesures correctives, incidents et données cliniques doit être mise en ligne pour les pays européens. Les discussions sont en cours avec des fonctionnaires des ministères et les agences de santé.
La position de la France est que les « données de vigilance » sont un « bien public » et « devraient être totalement publiques », pour reprendre les mots de Jean-Claude Ghislain, qui représente l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) dans les réunions à Bruxelles.
Cependant, le Royaume-Uni, qui joue un rôle moteur dans ces discussions, est représenté par John Wilkinson. Celui-ci était le président de l’organisation de lobbying des industriels du secteur, Eucomed (aujourd’hui MedTech Europe), qui réclamait dans un e-mail adressé à la Commission en septembre 2015 que les « besoins de transparence » soient évalués à l’aune de « la protection des informations commercialement sensibles ».
L’enjeu est clair : la santé publique passera-t-elle encore une fois après les intérêts des industriels ?