Les 150 citoyens mobilisés par la Convention Citoyenne pour le Climat se réunissent depuis le 26 Février 2021 pour évaluer le projet de loi « Climat et résilience ». Ce texte donne suite aux 149 propositions que ces derniers ont adressé au gouvernement en Juin dernier pour élever l’action politique et économique française à la hauteur des défis écologiques internationaux, et ce « dans un esprit de justice sociale ».
Pourtant, le projet de loi aujourd’hui discuté est un véritable désossement des 149 propositions initiales. Des avocats, des élus et des lobbyistes se sont hâtés de garantir la sécurité des intérêts privés mis en cause. Constat tragique, puisque ce démantèlement discret concerne directement l’avenir de cinq dimensions de la vie quotidienne : se déplacer, se loger, se nourrir, produire/travailler et consommer.
En chacune de ces dimensions, une lutte entre multinationales et citoyens, capitaux privés et sociétés vivantes, se cristallise. La dimension du logement n’a pas échappé à la règle. C’est ce que rend visible les mesures prises par cette loi pour agir contre les « passoires thermiques ». En quoi cette situation qui pose aujourd’hui des problèmes écologiques, économiques et existentiels à environ 1 ménage sur 5 en France en est-elle venue être négligée ? Deuxième volet d’une enquête en deux parties.
Insuffisance de la loi sur les logements indécents
C’est ici que la justice sociale pâtit durement de ces nouvelles lois et de leur usage du DPE. Car une des mesures proposées – décréter un logement « indécent » et obliger le propriétaire à le rénover avant de le mettre en location – s’appuie sur ce nouveau DPE. Souvenez-vous de l’engagement pris par le gouvernement fin 2019 :
« À partir de 2023, pour les nouveaux contrats de location, le critère de décence des logements extrêmement consommateurs d’énergie sera précisé avec un seuil maximal de consommation d’énergie finale par mètre carré et par an : cette mesure permettra aux locataires d’obtenir des travaux de rénovation de la part des propriétaires. »
Sur le papier, cette proposition se retrouve « radicalisée » dans le nouveau projet de loi, puisqu’il s’agit carrément d’interdire à la location les logements classés G au DPE. Pourtant, le diable est dans les détails.
Le seuil qui permettra de qualifier un logement d’indécent à bien été précisé, mais il n’est pas du tout capable de qualifier une situation concrète d’extrême précarité thermique.
C’est ce qu’ont découvert des journalistes de France Info en voulant mesurer l’efficacité réelle des mesures proposées. Prenant le cas d’une habitation d’HLM dans lequel « des gouttes d’eau perlent et témoignent d’une humidité permanente » et dont la résidente « vit dans le froid toute la journée » malgré des dépenses en énergie surélevée. Ils découvrent que son logement, pourtant classé en G sur le DPE, ne pourra être jugé indécent. Ils relatent ainsi dans leur micro-reportage :
« Le décret du gouvernement est exprimé en énergie finale alors que le diagnostic du logement parle lui en énergie primaire. Il faut donc convertir le chiffre de la consommation énergétique en énergie finale. Une conversion mathématique qui ne s’applique qu’aux logements chauffés à l’électricité et qui réduit d’un seul coup la consommation. […] Quelques minutes après notre interview, le site service-public.fr a été rectifié. On ne parle plus de tous les logements classés G qui nécessitent des travaux d’isolation, mais seulement d’une petite partie d’entre eux. »
Nous sommes donc face à une supercherie légale, qui sous des apparences de radicalité, n’a aucun effet réel sur le marché immobilier. Selon les mots du représentant du Cler sollicité par le reportage « On casse le thermomètre pour ne plus voir le problème. ».
D’ailleurs, la ministre du logement ne cache pas son souci de cajoler le marché de la location : « Mon objectif, ce n’est pas de sortir des logements du marché locatif, c’est que les propriétaires fassent des travaux. »
La mesure est révélée n’être qu’un épouvantail à destination des propriétaires – aucune sanction sérieuse n’est envisagée.

En Marche, le bras de la main invisible du marché
Cette stratégie de l’épouvantail impuissant est d’ailleurs assumée. Lors des débats de 2019 précédant la loi énergie-climat, des députés LREM enthousiastes avaient proposé de consigner 5 % du prix d’un bien immobilier pour que l’acheteur consacre cette somme à la réalisation de travaux d’isolation – mais cette idée avait été rejeté lors des débats parlementaires précédant la loi.
« Nous pensons qu’il faut qu’il y ait une obligation d’éradication progressive des passoires mais le groupe (parlementaire) ne veut pas non plus qu’on désorganise le marché de l’immobilier ou qu’on fixe des obligations socialement insupportables sans discernement » rapporte ce journaliste pour Novethic, citant le député LREM Gilles Le Gendre.
Un autre député, Jean-Charles Colas-Roy, estimera pour sa part que « Plutôt que d’afficher une interdiction qui peut effrayer, qui va dans l’écologie punitive, dont les Français ne veulent plus, on affiche une mesure par étapes avec potentiellement du contraignant, si on n’est pas à la maille. »
L’actuelle stratégie du gouvernement est ainsi un plan en trois phases, au bout duquel est placé l’épouvantail de la sanction, faite avec l’idée d’éviter toute perturbation du marché locatif privé (« libre »).
D’abord, exiger dès aujourd’hui que les propriétaires établissent un bilan énergétique de leurs biens et des rénovations qui doivent y être faites, avec une prime à la clé pour ceux qui franchissent le pas – puis, à partir de 2023, interdire toute augmentation de loyer de la part des propriétaires bailleurs de passoires thermiques – enfin, après 2028, (écrire et) mettre en place des sanctions.
L’aide financière mise en place début 2020, « MaPrimeRenov’ », est ainsi censée soutenir les propriétaires dans la rénovation de leurs biens. Cette aide marque le soutien de l’état auprès des particuliers, étape nécessaire pour rénover le parc immobilier dans son ensemble.
Pour s’en convaincre, il suffira de regarder les chiffres : le parc immobilier social comprend 7% de passoires thermiques (étiquette F ou G), contre 18,7% dans le parc privé selon ce rapport du ministère de la transition écologique.
Or, avec seulement 5 millions des 37 millions de logements en France, le parc social est bien plus petit que le parc privé ; la plus grosse part des rénovations énergétiques sera du ressort des propriétaires particuliers.
Pourtant, cette aide financière à vocation « incitative » (selon les mots de la majorité) ne peut que décevoir dans la mesure où elle faillit à soumettre les propriétaires immobiliers à un plan de rénovation globale.
Plan de rénovation globale qui apparaît d’autant plus nécessaire que « Le dernier rapport de l’Ademe est clair : la rénovation par gestes, quand elle n’est pas concertée, ne fonctionne pas » selon la députée LREM de l’Isère Marjolaine Meynier-Millefert
Ainsi le CSEE (Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique) déplore :
«… l’absence de débat sur le principe et les conditions/modalités « éventuelles de l’obligation de rénovation globale [et] pointe en outre « l’absence de moyens supplémentaires pour organiser la capacité des acteurs à augmenter le rythme et la performance des rénovations au niveau nécessaire, notamment sur le financement, la formation et l’accompagnement pour les ménages et les artisans », d’après Actu-Environnement.
Cette mesure peut même choquer dans la mesure où la prime est offerte au propriétaire sans contrepartie qui les obligerait à atteindre un niveau de performance énergétique décent par leurs travaux. C’est ce que le Haut Conseil pour le Climat a fait savoir fin Novembre 2020, par son rapport « Rénover mieux : leçons d’Europe ».
Il y est constaté que le dispositif des « incitations » à la rénovation ne permet pas du tout d’atteindre un rythme de travaux permettant d’atteindre les objectifs fixés. Dès lors, le HCC insiste qu’il faut, pour les atteindre : « Contraindre les propriétaires occupants et bailleurs à rénover d’une manière globale, afin d’atteindre un niveau de performance énergétique A ou B », conformément à la proposition initiale émise lors de la Convention Citoyenne pour le Climat.
La moindre des choses, estime le conseil, est alors de n’offrir des primes de rénovation que sous garantie d’un gain en niveau de performance énergétique. Il est alors proposé de « supprimer d’ici trois ans les aides aux gestes individuels pour MaPrimeRénov et les CEE [certificats d’économie d’énergie], et [de] n’offrir que des aides conditionnées à l’atteinte d’un niveau de performance ».
Mais c’est alors le grand tabou du libéralisme économique que le HCC et le CSEE proposent de dépasser : l’idée qu’il faut à tout prix ménager la « main invisible du marché ». Ils proposent en fait d’arrêter de placer la « liberté » du marché immobilier au-dessus de l’intérêt public de décarbonisation de l’atmosphère et du droit à de dignes conditions de vie pour tous ; d’affirmer que la « main invisible du marché » n’est pas détachée d’un « corps invisible de la société » (pour filer la métaphore).
Dès lors, il devient clair que les bailleurs qui cultivent une rente sur des habitations très mal isolées doivent être sanctionnés – pour des raisons écologiques et sociales. C’est pourtant précisément ce que peinent à accepter les députés d’En Marche, qui servent comme toujours les intérêts de l’économie privée.
Dans leur vision, le marché et ses propriétaires doivent être cajolés, protégés de toute sanction politique, même lorsque celle-ci est une question de justice sociale, de santé publique et d’urgence climatique.
En ce moment, la loi « Climat et résilience » tente tant bien que mal de défendre sur de nouvelles bases cette vision. Force est de constater que la voie est libre depuis que la crise sanitaire liée au COVID a endommagé le mouvement des contestations sociales massives de 2019. Nous voici alors enfermés aujourd’hui au niveau des débats identitaires de la droite xénophobe et paranoïaque. Peut-être faudrait-il penser à remettre ces questions sur la table pour inverser la tendance.