Une étude publiée le 12 août montre que l’hydrogène « bleu », considéré comme une source d’énergie propre par les gouvernements à l’écoute de l’industrie, pourrait en réalité induire des émissions de gaz à effet de serre supérieures à celles du charbon ou du gaz naturel.
Une énergie aux différentes sources
Nouvel eldorado des industriels qui y voient la promesse de maintenir leur commerce, l’hydrogène « propre » en est encore à ses débuts. Et pourtant, l’aspect écologique de cette source d’énergie est déjà remise en question de toutes parts, autant par les associations environnementales que par certains scientifiques.
Gris, jaune, vert ou bleu, il existe une grande variété d’hydrogènes. D’un point de vue scientifique, il s’agit toujours de la même énergie, mais au regard du climat, celle-ci aura un impact différent selon la méthode de fabrication, car l’hydrogène n’est pas présent à l’état naturel. D’où ces appellations colorées.
Selon le site spécialisé Révolution énergétique, plus de 95 % de l’hydrogène actuellement consommé dans le monde est produit à partir de combustibles fossiles : du gaz naturel, la plupart du temps, est exposé à de la vapeur d’eau très chaude, libérant ainsi de l’hydrogène.
On qualifie celui-ci de « gris » parce que la méthode employée, le « vaporeformage », nécessite de rejeter de grandes quantités de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère — environ 10 tonnes pour chaque tonne d’hydrogène produite. Il n’y a donc là rien d’écologique.
L’hydrogène est ensuite dit « jaune » lorsqu’il est obtenu grâce à de l’électricité d’origine nucléaire (qui exige de l’uranium et produit des déchets radioactifs) et « vert » lorsque, suivant la même technique, on le fabrique avec de l’énergie solaire, hydroélectrique ou éolienne (voir l’enquête de Reporterre sur la version « verte » de l’hydrogène).
Le rêve d’un hydrogène « gris » décarboné
Aujourd’hui, l’hydrogène gris est principalement employé dans le raffinage et la désulfuration du pétrole, ou la fabrication d’ammoniac. Il se restreint donc à un usage industriel.
Mais pour faire face au changement climatique sans modifier les fondements de leur industrie, les promoteurs des combustibles fossiles cherchent depuis longtemps à le « verdir ». Leur solution : l’hydrogène « bleu », présenté comme une source d’énergie durable et propre auprès des gouvernements ou des institutions européennes.
Fabriquer de l’hydrogène bleu consiste à produire de l’hydrogène gris, mais en captant le CO2 émis lors du vaporeformage. On peut alors transformer ce CO2 en matière première ou bien, ce qui est le plus courant, le stocker sous terre, dans des poches de gaz ou de pétrole vides.
Les opérations de stockage souterrain sont extrêmement coûteuses, si bien qu’il n’y a pas encore de marché, à proprement parler, d’hydrogène bleu. Pour l’instant, seules deux usines en fabriquent à grande échelle : Shell en Alberta (Canada) et AirProducts au Texas (États-Unis). Mais ce n’est pas la volonté qui manque, et de nombreux financements devraient être octroyés d’ici les prochaines années.
Un remède pire que le mal
Or, affirment Robert Howarth et Mark Jacobson, deux universitaires américains à l’origine d’une étude publiée par la revue Energy Science & Engineering le 12 août, s’agissant d’hydrogène bleu, le remède pourrait être pire que le mal. À contre-courant des idées industrielles, les chercheurs ont calculé le coût environnemental réel et « complet » de cette nouvelle méthode de fabrication. Leurs conclusions sont sans appel.
« Aussi étonnant que cela puisse paraître, écrivent les auteurs, l’empreinte de l’hydrogène bleu en termes de gaz à effet de serre est plus de 20 % supérieure à celle de la combustion de gaz naturel ou de charbon […] et 60 % supérieure à celle de la combustion de diesel. »
Les techniques de captage et de stockage du carbone ne sont pas totalement efficaces. L’usine canadienne de Shell, citée comme référence, ne capture en moyenne que 78,8 % du carbone généré par la réaction chimique du vaporeformage, avec des taux quotidiens oscillant entre 53 et 90 %.
Les 21,2 % restants s’échappent ainsi dans l’atmosphère, tout comme les émissions qu’entraîneront les grandes quantités de gaz naturel brûlées pour atteindre, d’une part, la chaleur adéquate à la réaction chimique et pour produire, d’autre part, l’électricité qui permettra le captage du carbone.
Lire aussi : « Guyane : une centrale à hydrogène va détruire 50 ha de forêt amazonienne avec la complicité de l’État français »
Les chercheurs américains ajoutent à leur calcul ce qui pourrait être qualifié de « point aveugle » de l’industrie gazière : les fuites potentielles, mais inévitables de gaz à toutes les étapes de son extraction et de son acheminement.
Que ce soit sur les sites de forage, le long des pipelines ou à travers des infrastructures de stockage, un petit pourcentage de tout volume de gaz naturel extrait est l’objet d’émissions « fugitives », hautement toxiques pour la planète.
Et pour cause : le gaz naturel est majoritairement constitué de méthane, un gaz dont l’impact sur le climat est 84 fois plus puissant que celui du CO2 sur une durée de vingt ans, selon les estimations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
Brûler du méthane afin de produire une réaction chimique dont on captera le carbone paraît dès lors aussi absurde qu’utiliser un dangereux gaz à effet de serre dans le but de créer une énergie « verte ».
C’est pourtant ce que proposent les tenants de l’hydrogène bleu, dont les deux chercheurs évaluent que les « émissions totales » de production « ne sont que de 9 à 12 % inférieures à celles de l’hydrogène gris ».
« Nous ne voyons aucun avantage à utiliser de l’hydrogène bleu alimenté au gaz naturel par rapport à la simple utilisation directe du gaz naturel pour le chauffage », concluent les universitaires, qui n’envisagent « aucun rôle » pour cette énergie dans « un avenir sans carbone », hormis celui d’une « diversion ».
Depuis quelques années, indique le journal Euractiv, l’Union européenne s’intéresse de plus près à l’hydrogène bleu. Aux États-Unis, le pas est franchi : huit milliards du budget de la nouvelle loi sur les infrastructures seront affectés à la création de quatre « centres régionaux d’hydrogène propre ». On ne sait pas encore s’il sera « vert » ou « bleu ».