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La pollution de 2000 tonnes de pétrole brut dans l’Amazone met en danger les peuples autochtones

Outre la détérioration des points d’eau et de nourriture, la jeune militante nous rapporte également que chez de très nombreuses personnes, notamment les enfants, des maladies de peau dues au contact avec l’eau contaminée étaient apparues et que la catastrophe avait aussi un impact culturel sur les communautés, ayant compromis leurs pratiques spirituelles liées à la rivière et plus généralement leur relation avec leur terre ancestrale.

En Equateur, les peuples autochtones se battent pour réparer les dégâts d’un des plus importants déversements de pétrole de l’histoire du pays arrivé début avril dans deux importants fleuves de l’Amazonie, en pleine pandémie. Malheureusement, une cour de justice équatorienne a rejeté il y a quelques semaines une plainte déposée par les populations indigènes lourdement affectées, discréditant ainsi la Constitution du pays, l’une des plus progressistes au monde. Une enquête rédigée par notre correspondante locale Amal Benotman.

Une marée noire dans les rivières amazoniennes

Le 7 avril dernier, une catastrophe écologique s’est produite en Amazonie équatorienne, dans le nord du pays, non loin de sa frontière avec le Pérou. Deux des oléoducs les plus importants de l’Équateur, l’un appartenant au groupe pétrolier publique Petroecuador et le second à une compagnie privée nommée OCP, se sont rompus, laissant couler des tonnes de litres de pétrole dans la rivière Coca puis dans la rivière Napo, un affluent du fleuve Amazone. La rupture a été causée par un phénomène d’érosion régressive sur la rivière Coca.

Scientifiques et experts avaient pourtant prévenu les autorités et les entreprises de pétrole des risques posés par cette érosion qui avait quelques mois auparavant conduit à l’effondrement de la cascade la plus haute du pays, située à quelques kilomètres de la zone du déversement. Mais ces avertissements n’ont pas été pris en compte et rien n’a été fait pour empêcher le désastre.

15 800 barils de pétrole, soit plus de 2000 tonnes de brut et autres produits toxiques se sont ainsi échappés dans les deux rivières, se mélangeant très rapidement à l’eau et aux sédiments pour contaminer le bien le plus précieux des communautés riveraines et les priver de leur principale ressource de nourriture en pleine pandémie de Coronavirus.

Il s’agit de la catastrophe environnementale la plus grave de ces 15 dernières années dans ce petit pays d’Amérique du Sud.

Une vue sur les oléoducs rompus au pied des Andes équatoriennes, El Reventador, Sucumbios, Amazonie équatorienne, 2020. Photo Ivan Castaneira

Les conséquences mortifères pour les peuples autochtones

L’activiste Kichwa Veronica Grefa, porte-parole de la communauté de Toyuca, dénonce la continuelle dégradation du territoire ancestral de son peuple par l’industrie des combustibles fossiles. Les nations Kichwa vivant le long de ces rivières subsistent de la pêche depuis toujours, mais Veronica Grefa nous informe que depuis quelques mois :

« il n’y a plus de quoi s’alimenter, il n’y a plus de poissons, et nous avons abandonné nos “atarrayas » (filets de pêche artisanaux).

Elle ajoute que beaucoup ont dû se tourner vers la chasse tandis que d’autres sont obligés de voyager plus fréquemment vers les villes les plus proches pour pouvoir se ravitailler. Certains, grâce à leur connaissance de la nature et de la région, tentent de trouver les endroits les moins pollués des ruisseaux affluents des rivières.

Outre la détérioration des points d’eau et de nourriture, la jeune militante nous rapporte également que chez de très nombreuses personnes, notamment les enfants, des maladies de peau dues au contact avec l’eau contaminée étaient apparues et que la catastrophe avait aussi un impact culturel sur les communautés, ayant compromis leurs pratiques spirituelles liées à la rivière et plus généralement leur relation avec leur terre ancestrale.

« Les firmes responsables du déversement ont prématurément arrêté début septembre leurs opérations de nettoyage déclarant leur mission terminée alors que les preuves que les rivières sont toujours polluées sautent aux yeux. » nous dit Veronica Grefa.

Veronica Grefa, une dirigeante de Kichwa de l’une des communautés touchées par la marée noire massive, appelle à la justice et à des réparations avant l’annonce du verdict pour le procès de son peuple contre le gouvernement équatorien et les compagnies pétrolières responsables de la marée noire massive, Coca City, Orellana , Amazonie équatorienne, 31 août 2020. Photo Ivan Castaneira

Des rapports du Ministère de l’Environnement équatorien ainsi que les témoignages des riverains indiquent par ailleurs qu’à de très nombreux endroits, l’on peut voir des tâches de pétrole à moins d’un mètre de profondeur.

Les entreprises ont eu recours à des méthodes d’intimidation sur les populations afin de les faire taire, et ont poussé le cynisme jusqu’à leur dire que non seulement toute la zone était propre, mais que le déversement leur avait en plus été bénéfique puisqu’il a permis de créer de l’emploi en pleine crise sanitaire et économique, et de leur fournir de la nourriture.

Les mains d’une fille indigène sont tachées de pétrole brut après avoir joué le long des berges près de la communauté de San Pedro de Río Coca, Sucumbios, Amazonie équatorienne, 18 avril 2020. Photo Telmo Ibarburu

Le manque de réparation des entreprises responsables

Durant les premières semaines qui ont suivi le désastre, les entreprises responsables ainsi que les autorités se sont chargées de fournir quelques litres d’eau et quelques aliments aux familles touchées.

Ces dernières ont chacune reçu des bouteilles équivalent à 24 litres d’eau pour une semaine alors que l’Organisation Mondiale de la Santé recommande 15L par jour et par personne pour la consommation et l’hygiène en temps de pandémie, soit un minimum de 525 litres d’eau par semaine pour une famille de 5 personnes.

La plupart des familles étant nombreuses, le besoin d’eau les a conduites à continuer de puiser aux rivières contaminées avec tous les risques que cela comporte pour leur santé.

« Les opérations de nettoyage se sont révélées infructueuses parce qu’il s’agit de rivières à courant très fort et que [les entreprises de nettoyage] disposaient d’équipements conçus pour des rivières qui sont petites et plutôt calmes. » nous dit Jorge Celi, biologiste et enseignant chercheur à l’Université régionale amazonienne IKIAM.

Jorge Celi ainsi que les membres des communautés affectées affirment que ces entreprises se sont contentées d’un nettoyage en surface, qu’elles ont en plus entrepris bien trop tard, ce qui a largement laissé le temps au brut de se mélanger à l’eau et aux sédiments, et de s’écouler en aval.

« Ce qui ne se peut voir à l’œil nu et qui se trouve sous l’eau n’a pas pu être nettoyé. » précise Jorge Celi qui s’inquiète pour les organismes vivant dans les lits des rivières et qui sont à la base du réseau trophique, soit de l’ensemble de la chaîne alimentaire de la rivière.

« Ces organismes sont en contact avec les sédiments et sont donc les plus touchés. » ajoute le biologiste en dénonçant la mauvaise foi des entreprises de nettoyage qui ont déclaré toute la zone nettoyée au bout de quatre mois, alors que l’assainissement d’une zone après contamination pétrolière prend des années.

Le déversement d’environ 15 800 barils de brut provenant de deux principaux pipelines s’est accompagné d’inondations soudaines, étendant la portée de la contamination et affectant les cultures locales plantées le long des berges. Amarunmesa, Orellana, Amazonie équatorienne, 2020. Photo Telmo Ibarburu

Une contamination au cadmium dans une réserve naturelle

Des documents du Ministère de l’Environnement datant de quelques semaines après le désastre ont par ailleurs confirmé que le liquide huileux avait atteint la réserve naturelle du Yasuni dans le Nord-Est du pays.

A partir de la ville de Coca, porte d’entrée dans l’Amazonie, jusqu’à l’embouchure du fleuve Amazone, la rivière Napo possède de vastes plaines inondables comportant des centaines de lagunes dont la taille varie et qui sont reliées à la rivière principale par des ruisseaux. Ces lagunes, comme celle d’Añangu située dans le Yasuni, abritent des espèces de poissons gravement menacées.

Des analyses chimiques effectuées en ces zones rendent compte de la forte présence de métaux lourds extrêmement polluants, émis par les opérations d’extraction de pétrole.

L’un de ces métaux lourds, le cadmium, a été trouvé en grande quantité. Lorsqu’il se concentre dans la chaine alimentaire aquatique, ce métal peut avoir des conséquences graves sur les poissons et sur la santé de ceux qui les consomment.

Le luxuriant parc du Yasuni est l’une des réserves les plus biodiverses au monde et ses lagunes connectées à la rivière Napo sont des lieux de haute sensibilité écologique; abritant des espèces très vulnérables. On y trouve ainsi des centaines de variétés de poissons, des tortues d’eau douce, des lamantins, des caïmans noirs, des dauphins roses, des loutres géantes, de nombreuses espèces d’oiseaux aquatiques sans parler de tous les micro-organismes qui participent de la biodiversité du lieu.

Ces écosystèmes sont également cruciaux pour la reproduction de centaines d’espèces. Leur contamination est d’autant plus alarmante que le dernier rapport «Planète vivante» du Fonds mondial de la nature (WWF) estime que les espèces d’eau douce ont décliné de 94% en Amérique Centrale et du Sud, rappelant que les écosystèmes d’eau douce sont les plus menacés de la planète.

Une vue aérienne de l’Amazonie équatorienne. Photo Amazon Frontlines

L’action en justice des communautés Kichwa

Soutenues par des organisations de défense des droits humains et de défense de la nature, plus de 100 communautés Kichwa, regroupant environ 27000 personnes affectées, avaient immédiatement porté plainte après le déversement.

Elles ont demandé des réparations, le nettoyage de toute la zone, et surtout la fin de l’impunité accordée à l’industrie des combustibles fossiles.

Mais le 1er septembre 2020, après des mois d’ajournement et de reports injustifiés, la cour de justice de la province d’Orellana (Nord-Est) devant laquelle l’affaire avait été portée, a rejeté les demandes des plaignants arguant – alors qu’elle traite des affaires de violation des droits constitutionnels – qu’elle n’était pas l’instance indiquée pour ce type de procès.

Le juge en charge a affirmé que d’autres instances civiles et administratives seraient plus à même de recevoir les demandes de réparation des plaignants, niant ainsi la violation de leurs droits constitutionnels ainsi que ceux de la nature.

Pour les organisations de défense des droits humains et les organisations environnementales, ce verdict donne le feu vert aux activités extractivistes et soulève des questions quant à l’impartialité du système judiciaire.

Il confirme ce que les plaignants appréhendent depuis le début du procès, soit l’acquisition de la justice aux intérêts économiques du pays, plutôt qu’à leurs droits constitutionnels.

Les peuples autochtones de différentes nations amazoniennes se mobilisent pour exiger que justice soit rendue dans le verdict du procès du peuple Kichwa contre le gouvernement équatorien et les compagnies pétrolières responsables de la marée noire massive, Coca, Orellana, Amazonie équatorienne, 31 août 2020. Photo Ivan Castaneira

La Constitution équatorienne reconnaît la nature comme sujet

Le jugement va en effet à l’encontre de ce qui est déclaré par l’avant-gardiste Constitution équatorienne, résultat d’un processus participatif massif et la première au monde à considérer la nature comme un sujet de droit au même titre que les êtres humains.

Cette Constitution relativement nouvelle (elle date de 2008) voulait incarner les croyances et traditions des populations indigènes qui ne font pas de distinction entres les droits humains et ceux de la nature. Elle stipule que :

« la nature ou Pacha Mama a le droit d’exister, de persister, de maintenir et de régénérer ses cycles, structures, fonctions et processus vitaux ».

Mais beaucoup en Équateur craignent que les groupes de pouvoir et l’État prennent le dessus sur la Constitution.

Malgré les preuves irréfutables de la négligence des autorités et des firmes exploitantes, malgré les témoignages d’experts scientifiques et de membres des communautés indigènes directement affectés, leurs avocats ont nié toute responsabilité des entreprises pétrolières dans les dégâts causés à la nature et aux populations; allant jusqu’à affirmer que le déversement était un « fait naturel inévitable, » et que la rivière « finirait bien par se nettoyer d’elle-même ».

Les communautés Kichwa ont vécu ce procès et son résultat comme une injustice profonde et comme une négation absolue de leurs droits à un environnement sain; à l’eau potable; à l’autonomie alimentaire et à la santé. Elles ne s’avouent cependant pas vaincues et comptent bien faire appel de cette décision.

« Nous pensions qu’elles (les autorités) reconnaitraient leur responsabilité et nous donneraient raison. Comme il n’en est rien, toutes les communautés indigènes de la région nous sommes réunies en une assemblée gigantesque pour décider de la marche à suivre. » nous dit Veronica Grefa, qui précise que pour accompagner la procédure d’appel, il y aura de nombreuses manifestations pour sensibiliser le reste de la population et faire pression sur les autorités.

Les peuples autochtones de différentes nations amazoniennes s’unissent pour exiger que justice soit rendue dans le verdict du procès du peuple Kichwa contre le gouvernement équatorien et les compagnies pétrolières responsables de la marée noire massive, Coca, Orellana, Amazonie équatorienne, 31 août 2020. Photo Ivan Castaneira

En Amazonie, les activités liées à l’industrie des énergies fossiles sont pour les populations autochtones et pour l’environnement, l’une des menaces majeures avec des dégâts écologiques, sanitaires, culturels et socioéconomiques.

La plus grave catastrophe de l’histoire de l’exploitation pétrolière a justement eu lieu en Équateur où le géant pétrolier étatsunien, Chevron Texaco (anciennement Texaco), a pu durant des années dégrader l’écosystème et affecter les vies de dizaines de milliers de personnes en toute impunité.

L’Amazonie équatorienne est considérée comme l’endroit de la planète où il y a la plus grande biodiversité, mais depuis le commencement des activités de production pétrolière et l’arrivée de Chevron Texaco en 1967, cette biodiversité, ainsi que la survie des populations locales sont plus que jamais en péril.

Si le dernier rapport de WWF dénonce une destruction effrayante de la vie et de l’environnement sur toute la planète, elle est néanmoins variable selon les régions, et c’est en Amérique du Sud, spécialement en Amazonie, qu’elle est incommensurable.

Cela est bien évidemment dû à la combinaison de plusieurs facteurs dont l’agriculture intensive et la déforestation qui en découle, mais l’industrie des énergies fossiles est aussi indéniablement coupable. La forêt équatoriale d’Amazonie est résiliente et toujours relativement résistante. Mais au rythme où vont les choses, ses habitants se demandent pour combien de temps encore.

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