53 000 km2, la plus grande colonie de tortues luth (une espèce menacée) du monde, 20 espèces de dauphins et de baleines, une flore marine à la richesse inégalée : le plus grand parc naturel marin protégé d’Afrique vient d’être délimité par le Gabon. Composé d’un réseau de 20 réserves en bord de mer (pas forcément mitoyennes mais au régime commun), ce parc protégera désormais 26 % des eaux territoriales gabonaises de la pêche intensive et de la pollution.
Quand le Gabon montre l’exemple
En effet, le plan de protection ne se contente pas de classer le site et de l’interdire à la pêche – la zone est déjà victime d’abus commis notamment par des flottilles de pêche étrangères – mais il met en place un contrôle renforcé de l’exploitation de la zone pour une pêche plus durable. En cela, le Gabon est un exemple dans toute l’Afrique de l’Ouest.
Selon Callum Roberts, un biologiste américain spécialiste de la conservation des milieux marins, « l’Afrique de l’Ouest est une région aux océans incroyablement riches, mais elle est en train d’être ravagée par les flottes de pêche internationales (…) leur préservation est urgente si l’on souhaite le rééquilibre des ressources ».

Grâce à la volonté du président gabonais Ali Bongo Ondimba, au travail d’organismes non-gouvernementaux comme la Wildlife Conservation Society, la Fondation Waitt, et le projet Pristine Seas de National Geographic, en collaboration avec les institutions du pays (notamment l’Agence gabonaise des Parcs Nationaux), le Gabon est parvenu depuis 2014 à atteindre, puis doubler, l’objectif idéalement fixé par l’ONU en matière de protection des habitats marins, soit 10 % des océans sous statut protégé.
« C’est une grande avancée et un exemple pour les autres pays » affirme Enric Sala, explorateur du National Geographic, « si le Gabon peut le faire, tous les pays européens devraient pouvoir le faire aussi ».
Le reste du monde, en effet, traîne encore loin derrière le pionnier qu’est le Gabon. Selon le Marine Conservation Institute, les quelques 11 000 aires protégées de la planète ne représentent qu’à peine 3% de la surface des océans ; un chiffre qui descend à 1,63% si l’on ne considère que les zones où l’exploitation humaine (pêche, exploitation minière, production d’énergie) est bannie. L’objectif de l’ONU, cité plus haut, de protéger 10% des océans d’ici 2020, est loin d’être atteint : il demande la création de 500 nouvelles aires, un processus très lent car il demande une étude préalable et la négociation avec les populations autochtones (négociations actuellement au point mort autour de l’île de Pâques, où des îles Cook de la Nouvelle-Zélande).
Triple intérêt écologique
Pourtant, le travail de scientifiques comme Callum Roberts a montré la pertinence de telles zones : en plus de protéger purement et simplement des espèces en voie de disparition de la pêche intensive, elles ont un rôle majeur dans la résilience de la biosphère au réchauffement climatique.


En effet, ces zones protégées résistent mieux aux conséquences du réchauffement climatique : ce que le biologiste appelle le « cocktail meurtrier » et qui désigne l’acidification des océans, les tempêtes intenses, la montée du niveau de la mer, les modifications de la distribution des espèces et la diminution du taux d’oxygène dans les profondeurs.
S’il on peut considérer le réchauffement climatique comme un fléau inévitable (dont nous ne pouvons que ralentir la progression), il est aisé pour l’homme de limiter la pêche, le dragage et la pollution, qui sont des facteurs aggravants pour la dégradation des zones naturelles. Les zones ainsi protégées se régénèrent mieux : plus de 90 % du récif corallien de l’archipel des Chagos (océan Indien) avait disparu lors d’un phénomène de blanchissement en 1998 ; grâce au classement de la zone, le récif est retourné à la normale en 2010.

Les aires protégées servent également de refuge aux espèces en voie de disparition, qui viennent parfois s’y installer lors de leurs migrations saisonnières. Une fois en sécurité dans ces « zones d’amerrissage », elles peuvent se reproduire avant de reprendre leur chemin :
« Comme des fontaines, leurs petits coulent à flot (…) dans l’eau, qui est ensuite transportée par les courants océaniques et répand les semences dans d’autres zones. C’est une manière positive de lutter contre le changement climatique », s’émerveille Callum Roberts.
Pour que nos océans gardent leur richesse et continuent à subvenir à nos besoins durablement, le directeur du Pew Charitable Trusts Bertarelli Ocean Legacy, Matt Rand, plaide pour une réalisation rapide de l’objectif des 10 % protégés :
« il nous faut des décideurs audacieux qui encouragent à poursuivre l’objectif fixé par les scientifiques. Ce sera la prochaine génération qui bénéficiera des retombées de nos efforts, ou paiera les conséquences de leur absence ».