La Nouvelle-Calédonie a décidé de créer plus de 100 000 km2 de nouvelles réserves marines pour une meilleure protection du parc naturel de la mer de Corail. Ces zones de protection stricte très efficaces, excluant la pêche, protègeront des écosystèmes exceptionnels. Avec ces réserves, la Nouvelle-Calédonie hisse son taux de protection stricte à 10%, alors que ce chiffre est proche de 0% en France Métropolitaine. Un décryptage de Raphaël Seguin, biologiste marin et co-auteur de notre livre-journal "Océans".
La protection du parc de la mer de Corail
Le parc naturel de la mer de Corail est la seconde plus grande aire marine protégée en France. Créée en 2014, il couvre l’entièreté des eaux de Nouvelle-Calédonie avec ses 1,3 millions de km2. Environ 2,4% du parc était sous protection stricte – le plus haut niveau de protection des aires marines protégées, qui exclue tout type d’activité extractive, en particulier la pêche.
Ce 19 octobre 2023, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a annoncé la création de six nouvelles réserves marines – soit plus de 100 000km2 de zones de protection stricte supplémentaire.
Ces réserves sont les aires marines protégées les plus efficaces pour restaurer l’Océan. Elles ont une triple utilité : écologique, sociale, et climatique. En épargnant des écosystèmes de toute activité extractive, le vivant peut se rétablir. La biomasse au sein de ces réserves peut être jusqu’à 6 fois plus élevées qu’à l’extérieur.
En protégeant baleines, grands poissons et les habitats puits de carbone – tels que les herbiers ou les mangroves – elles permettent à l’océan de séquestrer davantage de carbone. De plus, elles bénéficient aux pêcheurs grâce à la reconstitution des populations de poissons au sein des réserves. Elles sont indispensables pour un Océan foisonnant de vie, en bonne santé, et donc pour l’avenir de l’espèce humaine.
En Nouvelle-Calédonie, des écosystèmes marins exceptionnels
En Nouvelle-Calédonie, les enjeux de biodiversité sont énormes. Parmi les 48 espèces de requins qui sillonnent les eaux de Nouvelle-Calédonie, une dizaine sont menacées d’extinction, comme le grand requin marteau, le grand requin blanc ou encore le requin baleine.
La Nouvelle-Calédonie abrite des écosystèmes marins isolés qui comptent parmi les plus préservés sur Terre, comme les récifs coralliens de Chesterfield et Bellona.
Sur ces récifs, les requins sont systématiquement observés lors des plongées, alors que leur présence est de plus en plus rare partout dans le monde. Une trentaine d’espèces de mammifères marins sont observées dans les eaux de Nouvelle-Calédonie, tels que le grand cachalot, la baleine à bosse ou le globicéphale, qui viennent se reproduire et allaiter leur baleineau dans ces eaux.
La raie Manta, plusieurs espèces de thon et quatre des six espèces de tortues marines sur Terre sont aussi observées dans le parc.
Les eaux de Nouvelle-Calédonie sont parcourues d’un réseau de monts sous-marins – des montagnes sous-marines de plus de 1000 mètres de hauteur – qui abritent une faune unique et servent de derniers refuges sur Terre pour les prédateurs marins.
Près de trente espèces d’oiseaux marins – pétrels, frégates, sterne, cormoran, puffin… – fréquentent le parc. Durant les périodes de reproduction, certaines populations d’oiseaux se regroupent sur une surface très réduite – alors que leur aire de répartition couvre plusieurs millions de km2 hors période de reproduction.
La protection de ces zones de reproduction est indispensable, d’autant plus qu’une étude parue en 2022 fait état d’une baisse de 2 à 4% des populations d’oiseaux marins en Nouvelle-Calédonie – effondrements qui pourraient mener à des extinctions locales, dans une des zones les plus intacts sur Terre. Derrière cet effondrement, l’étude place la surpêche de thon, la pollution plastique et le dérangement des nids par le tourisme de masse comme causes principales.
Dans un contexte de destruction du vivant à l’échelle mondiale, la Nouvelle-Calédonie est un abri pour de nombreuses espèces, une des rares zones dans laquelle une plongée s’apparente à un voyage dans le temps : une chance de pouvoir observer l’Océan tel qu’il était avant les ravages de la pêche industrielle, il y a quelques décennies seulement.
La Nouvelle-Calédonie et la politique du chiffre
En revanche, comme le révèle un récent rapport de l’association BLOOM, qui œuvre pour la protection de l’océan, ces réserves ont été placées dans des zones où la pression de la pêche industrielle est quasiment nulle.
Leur tracé évite soigneusement toutes les zones de pression de la pêche, et vient combler les trous qui ne sont pas encore occupés par la flotte de palangrier – une méthode de pêche qui consiste à poser une ligne équipée de plusieurs hameçons – qui pêchent dans le parc. De ce point de vue-là, la Nouvelle-Calédonie pratique la même politique du chiffre que le gouvernement français.
En effet, l’objectif ici semble d’atteindre le plus rapidement possible les objectifs de protection affichés à l’internationale – 30% de protection marine d’ici 2030 dont au moins 10% de protection stricte – sans se soucier du placement, de l’efficacité ou de la représentativité écologique de ces zones. Une victoire politique facile pour les gouvernements.
Ces réserves ont donc comme but premier la protection de certaines zones de destructions futures, à but préventif, mais n’auront pas d’impact sur l’effort de pêche existant. Un placement regrettable car il se fait au détriment de zones écologiques sensibles (zones de reproduction pour les baleines et les oiseaux, écosystèmes sensibles…) qui ne sont pas recouvertes pas ces réserves mais touchées par la pêche industrielle.
De plus, bien que la Nouvelle-Calédonie ait mis en place des mesures pour limiter la pêche industrielle dans le parc en interdisant certains engins de pêche – comme le chalutage de fond – le parc n’exerce aucune influence sur la pêche en dehors des réserves.
L’effort de pêche au sein du parc est en augmentation depuis sa création, et des premiers signes de surpêche sont observés depuis quelques années, avec des impacts sur les populations de thons mais aussi des oiseaux marins. De plus, le développement du tourisme vient déranger des zones isolées et intactes, et perturber d’importants sites de nidifications pour les oiseaux marins.
Reste qu’après la création de ces nouvelles réserves, la Nouvelle-Calédonie dispose à présent de 10% de ses eaux sous protection stricte. Une situation très contrastée avec la France métropolitaine, où ce chiffre est proche de 0%. En cause : la majorité des aires marines protégées sont des coquilles vides qui autorisent la pêche industrielle
A partir de septembre 2024 sera décrété « l’Année de la Mer » voulue par le Président Macron, en amont de la Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC) que la France accueillera à Nice en juin 2025. En vue de ces évènements majeurs, les ONGs réclament que la France prenne la responsabilité de faire évoluer sa réglementation sur les aires marines protégées en s’alignant avec les recommandations des scientifiques, et de montrer la voie au niveau mondial, alors qu’elle possède le deuxième territoire marin le plus étendu, derrière celui des États-Unis.
Sources : « 105 000 km² de nouvelles réserves marines dans le Parc naturel de la mer de Corail », Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, 19/10/2023 / « No-take marine reserves are the most effective protected areas in the ocean », ICES Journal of Marine Science, Volume 75, Issue 3, May-June 2018, Pages 1166–1168, 31/08/2017 / « Plan de gestion du parc », Parc Naturel de Mer de Corail en Nouvelle-Calédonie / « Oiseaux marins des atolls d’Entrecasteaux (parc naturel de la mer de Corail) », Bulletin de la Société Zoologique de France 2021, volume 146 (4), pages 175 à 188 ISSN : 0037-962X, 20/12/2021 / « Residual marine protected areas five years on: Are we still favouring ease of establishment over need for protection? », Aquatic Conservation Marine and Freshwater Ecosystems, Volume30, Issue9, 18/09/2020