Céline Basset, autodidacte, a voyagé à différents endroits du globe, des Etats-Unis au Vietnam, pour apprendre et expérimenter, dans le but de comprendre le fonctionnement ainsi que les nécessités du sol, et agir à grande échelle pour la résilience de nos territoires. Depuis 2019, elle a commencé la ferme Blue Soil dans la Drôme dans ce but. Elle s’est entretenue auprès de La Relève & La Peste afin de nous parler de ses expériences et perspectives pour régénérer les sols face à la sécheresse.
Aux Etats-Unis, Céline Basset apprend qu’elle souffre d’une infection de l’intestin, une candidose. Elle réalise que le modèle occidental et ce qu’elle mange sont à l’origine de sa maladie et ont affecté son système immunitaire.
A Brooklyn, elle commence à mettre les mains à la terre et se penche sur l’origine directe de notre alimentation, mais son idée se concrétise surtout en Asie, où elle découvre comment améliorer les sols dévitalisés à la suite de nombreux questionnements et de recherches sur la culture intensive et le labour via des revues scientifiques, dont nombreuses sont libres d’accès en ligne.
Au Vietnam, elle teste des cultures en eau et en terre. C’est ce qui lui a fait comprendre que le sol, comme l’intestin, a un microbiote, et que moduler les apports pour l’équilibrer est primordial. Elle décrit le lien entre le micro-organisme et le microbiote auprès de LR&LP :
« Le microbiote, c’est le restaurant, le menu des micro-organismes. »
C’est ce lien qui l’a lancée dans des cours auprès d’Elaine Ingham, une microbiologiste américaine dont l’approche se focalise sur la fonctionnalité des micro-organismes depuis 1996, à l’inverse de l’aspect très taxonomique de la microbiologie habituelle. D’après Céline Basset, cette approche très pratique permet de démocratiser les savoir-faire.
Depuis 2019, elle est revenue s’installer dans la Drôme, pour créer la ferme Blue Soil. Son voyage lui a permis de faire le pont entre les technologies ancestrales en Asie, qui sont cultivées sur place depuis 2000 ans, avec des connaissances scientifiques. Mais le tissu social n’étant pas aussi maillé en France qu’au Vietnam, pays communiste, où chaque ferme possède entre 3 et 8 personnes, elle a également dû faire face à plus de solitude.
D’après ses expériences, les français sont coincés dans un système très chronophage qui leur laisse très peu de temps pour se focaliser sur ce qu’ils mangent et comment leur nourriture est produite :
« En Europe, on a pas pris en compte les délais de cicatrisation des processus systémiques, et notamment le microbiote du sol. »
Céline Basset a discuté avec Emma Haziza, hydrologue, sur la régénération des sols. Pour ces dernières, rétablir le microbiote de nos terres est essentiel, c’est le socle de la civilisation, de l’agriculture et de l’aménagement d’un territoire. Sans cela, on ne peut pas régénérer le cycle de l’eau.
Ainsi que l’explique Céline Basset : « Si le sol est imperméable, la pluie ruisselle, elle ramasse la soupe chimique et la déverse dans les rivières. Si le sol est pénétrable, l’eau peut s’infiltrer, rengorger les nappes phréatiques, les cours d’eau, les rivières, les fleuves, et conserver la qualité de l’eau. »
D’après elle, pour réactiver cette microbiologie, il faut qu’un ensemble d’experts se penchent sur un lieu et une temporalité spécifique. Selon sa méthode, il s’agit d’abord de passer par une étape diagnostique de la terre, puis de réinstaurer les 5 groupes de micro-organismes qui constituent la chaîne alimentaire du sol.
Ces 5 groupes possèdent également des sous-groupes : les décomposeurs (bactéries et champignons), qui décollent le nutriment de la roche mère, et les prédateurs (les protozoaires, les nématodes et les micro-arthropodes – les plus petits, invisibles), qui mangent les décomposeurs, rendant disponibles les nutriments.
Le ver de terre possède dans son microbiote la présence des micro-organismes de ces cinq groupes. Il faut donc élever les vers de terre locaux d’un système donné. La biodiversité en dessous du sol doit être riche, mais avec une règle de territorialité qui s’applique ; la notion d’endémisme est ici très importante.
Le microbiote du sol, lorsqu’il est composé de ces 5 groupes, est en bonne santé et assure notre sécurité alimentaire par : une structuration du sol (le rendant aéré et poreux comme une éponge), une libération des nutriments emmagasinés dans les sols depuis toujours (les rendant biodisponibles pour les plantes), puis finalement une infiltration de l’eau dans les sols, régénérant ainsi le cycle de l’eau.
Pour Céline Basset, les engrais ne sont pas nécessaires, puisque le sol n’est pas pauvre, mais il peut l’être en microbiologie. Les engrais parasitent l’installation microbienne et interfèrent dans cette relation symbiotique. Par exemple, dans les maraichers où il y a beaucoup d’engrais, il n’y a pas de nodules sur les plantes, étouffant ainsi la capacité de la plante à s’autoalimenter en azote par ses propres moyens.
Elle nuance cependant sur les cas où les modèles d’exploitation sont grands : la transformation est longue, plus difficile, et nécessite d’être faite par paliers. En France, les agriculteurs peuvent être assez livrés à eux-mêmes et parfois manquer de bras. Un ajustement est possible, mais une vision globale et progressive est essentielle.
Elle estime : « Il faut éviter les goulots d’étranglement financiers, et alléger la détresse des agriculteurs. »
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Céline Basset expérimente néanmoins autour des engrais, plutôt dans des systèmes hors-sol. Parfois, une étape par l’intermédiaire de ce système est essentielle. Au Vietnam, où elle a travaillé, le terrain était par exemple contaminé à l’agent orange.
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En France, après avoir utilisé l’eau de pluie, elle fait une étude sur ses propres urines, puisqu’elle se nourrit correctement, ne prend pas de pilule et ne boit pas d’alcool. Les résultats sont intéressants : dans un cycle fermé, les résultats se sont avérés supérieurs, sa bonne santé s’étant reflétée dans ses légumes.
D’après elle, il faudrait donc pour cette méthode élire des gens spécifiques, qui prennent soin de leur microbiote, pour des légumes qualitatifs. Ces méthodes alternatives avec engrais, même en sol, peuvent aider les agriculteurs à passer le cap, mais cultiver des micro-organismes lui paraît plus efficace :
« On est dans un système très artificialisé, il faut le prendre en compte. Sinon on arrivera pas à amener les agriculteurs les plus résistants au changement. On peut produire en régénérant. Il faut expérimenter. »
Depuis février, Céline Basset accompagne trois fermes dans la Drôme avec des cultures différentes (maraîchage, vignes et plantes aromatiques), son protocole expérimental est pour l’instant local, afin de conserver une donnée consistante. Mais elle accompagne également d’autres projets en Nouvelle Calédonie, est en pourparlers avec la Réunion, et la Corse.