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La crise climatique s’accélère et s’intensifie à un rythme sans précédent, alerte le GIEC

« Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. » Antoine de Saint Exupéry, Citadelle, 1948

Les fuites du rapport prévoyaient des retombées cataclysmiques et nous y sommes déjà : une partie du monde se consume sous les flammes tandis qu’une autre fait face à des inondations diluviennes. C’est dans ce contexte anxiogène que vient de sortir officiellement le dernier rapport du GIEC. Pour la première fois, les scientifiques y sont unanimes : les activités humaines sont indubitablement responsables de la crise climatique et écologique en cours. Les experts sur le climat alertent avec force sur l’augmentation de la fréquence et l’intensité des événements extrêmes dans toutes les régions du monde. Ce que nous avons vécu dernièrement n’est donc qu’un avant-goût de ce qu’il pourrait advenir. Une fois encore, le compte à rebours est lancé : il reste à peine vingt ans pour limiter les dégâts, et ce à la seule condition d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Un changement sans précédent

Le Giec vient de publier le premier volet de son nouveau rapport, accompagné de son résumé aux décideurs, sur le changement climatique et ses impacts sur la planète. La nouveauté pour les scientifiques : le rythme « sans précédent » auquel les températures augmentent, ainsi que la multiplication de l’intensité et la fréquence des événements extrêmes partout dans le monde.

Finalisé et approuvé par 234 auteurs et 195 gouvernements, le rapport du Groupe de travail I (AR6 WGI) est la plus grande mise à jour de l’état des connaissances scientifiques sur le climat depuis la publication du rapport AR5 du GIEC en 2014, et son Rapport spécial 1.5°C en 2018 (SR1.5). Il est le résultat d’un gigantesque travail collectif.

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La version préliminaire initiale du rapport WGI a reçu 23 462 commentaires de 750 évaluateurs experts, le deuxième jet 51 387 commentaires de révision des gouvernements et de 1 279 experts. La version intergouvernementale finale du Résumé à l’intention des décideurs a reçu plus de 3 000 commentaires de 47 gouvernements. Plus de 14 000 articles scientifiques sont référencés dans le rapport.

« Si je devais le résumer en quelques lignes, je dirais que (ce rapport) montre que le changement climatique c’est maintenant, c’est partout sur la planète. Il empire et nous le percevons sous diverses formes. J’ajouterais que c’est un voyage sans retour, nous décidons aujourd’hui de notre futur chemin. Il est écrit noir sur blanc dans le rapport que le rythme du réchauffement climatique que nous vivons est sans précédent depuis au moins 2000 ans, et que la décennie 2010-2019 est probablement la plus chaude depuis au moins 100 000 ans. Il est établi, de manière sans équivoque, que l’activité humaine est la cause du changement climatique observé depuis les 150 dernières années. » décrypte Christophe Cassou, directeur de recherche CNRS et co-auteur du rapport

Résultat : la température à la surface du globe s’est élevée d’environ 1,1 °C comparativement à 1850-1900.

Il faut remonter 125 000 ans en arrière pour avoir une température globale comparable. En 2019, le volume de CO2 dans l’air était à un niveau jamais atteint depuis au moins deux millions d’années tandis que les concentrations de méthane et de protoxyde d’azote, deux autres puissants gaz à effet de serre, n’avaient pas été aussi élevées depuis au moins 800 000 ans.

Lire aussi : La concentration de CO2 dans l’atmosphère a atteint le niveau le plus élevé jamais enregistré

Désormais, les experts sur le climat estiment que le seuil de 1,5 °C de réchauffement sera atteint ou dépassé avant 2040 – bien plus tôt qu’ils ne l’avaient prévu en 2018. Les scientifiques le réaffirment avec force : chaque dixième de degré compte pour limiter le pire de la crise dont nous ressentons déjà durement les effets !

Selon les scenarii détaillés dans le rapport, tant que le monde n’aura pas atteint zéro gaz à effet de serre, la planète continuera donc de se réchauffer, avec des impacts dangereux et irréversibles pendant des millénaires dont certains déjà enclenchés, notamment au niveau des océans, des calottes glaciaires et du niveau des mers.

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Ce que nous avons déjà perdu

Les activités humaines n’ont pas seulement réchauffé la température mondiale à un rythme sans précédent, mais entraînent également des « changements rapides dans l’atmosphère, les océans, la cryosphère et la biosphère ».

Les activités humaines ont modifié le fonctionnement même de la planète et sa stabilité.

Au cours de la dernière décennie, le volume de glace de l’océan Arctique est descendu à son plus bas niveau depuis 1850. La fréquence des vagues de chaleur marines a doublé depuis les années 1980. L’influence humaine a très probablement contribué à la plupart d’entre elles depuis au moins 2006.

Les glaciers des montagnes et des pôles sont condamnés à fondre pour encore des décennies voire des siècles alors que la libération par dégel du carbone contenu dans le pergélisol, considérée sur une période de plus de 1000 ans, est irréversible.

Le niveau des océans va donc continuer à augmenter pendant des centaines voire des milliers d’années même dans le plus optimiste des scénarios.

Le niveau des océans pourrait ainsi s’élever de 0,3 à 1 mètre d’ici à 2100 en comparaison avec 1995-2014, et jusqu’à 1,9 mètre d’ici à 2150 selon les pires estimations, entraînant davantage d’inondations côtières. Les océans vont également continuer à se réchauffer, s’acidifier, et perdre de l’oxygène pendant des siècles.

« L’évolution du niveau de la mer jusqu’en 2050 est déjà programmée : quelle que soit la rapidité avec laquelle nous réduisons nos émissions, le monde connaîtra une élévation moyenne du niveau de la mer d’environ 15 à 30 centimètres (de + par rapport à aujourd’hui). » précise Jean-Baptiste Sallée, océanographe et co-auteur du rapport

Pour la première fois, le GIEC traite des points de bascule, ces seuils de rupture entraînant un emballement du système Terre, tels qu’une forte accélération de la fonte de la calotte glaciaire de l’Antarctique et le dépérissement des forêts.

Dorénavant, ces réactions brutales et ces points de bascule du système climatique ne peuvent être exclus des scenarii. Ils pourraient advenir à l’échelle mondiale comme à l’échelle régionale. Passés +1.5°C de réchauffement, la probabilité d’atteindre ces points de bascule dits « tipping points » augmente fortement.

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« Chaque fraction de réchauffement additionnel se traduit par des événements climatiques extrêmes plus fréquents et plus sévères, comme des vagues de chaleur, des sécheresses, des pluies diluviennes… Ces événements pourront aussi se produire dans des zones où ils étaient jusqu’alors inconnus. Le changement climatique n’est pas homogène, avec des signatures plus ou moins fortes selon les régions. L’Europe méditerranéenne est particulièrement touchée. De même, le réchauffement est deux à trois fois plus rapide aux latitudes polaires de l’hémisphère Nord, avec une fonte rapide du Groenland et de la banquise de l’Océan Arctique, mais aussi des canicules induisant des mégafeux de forêt en Sibérie ou en Amérique du Nord. À nos latitudes tempérées, des canicules et sécheresses inédites peuvent survenir comme c’est le cas au Canada, où des records de température ont été pulvérisés de plusieurs degrés le mois dernier. Normalement, ces records ne sont battus que de quelques dixièmes de degrés. C’est sans précédent de les voir être dépassés aussi brutalement, mais cela correspond bien à ce à quoi on s’attend lorsque le climat se réchauffe vite. » énumère Christophe Cassou, directeur de recherche CNRS et co-auteur du rapport

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Le réchauffement climatique perturbe ainsi tout le cycle de l’eau. Chaque degré de réchauffement supplémentaire augmente de 7 % l’intensité des précipitations diluviennes, ainsi que ce que nous avons pu récemment observer en Allemagne, aux Pays-Bas et en Asie.

Lire aussi : Les scientifiques lancent l’alerte depuis 1990 sur l’augmentation des précipitations extrêmes et des sécheresses à cause du réchauffement climatique

Pour plus de clarté, le GIEC a lancé un nouvel atlas interactif permettant aux internautes d’avoir une vision comparative des conséquences à l’échelle régionale de l’augmentation, de 1.5°C à 4°C, de la température moyenne globale.

Pour rappel, il y a 20.000 ans, au maximum glaciaire, lorsque la température moyenne était de 5°c de moins qu’aujourd’hui, le niveau de la mer était plus bas de 100 mètres environ (on passait à pied sec de France en Angleterre) et l’Europe du Nord était recouverte d’un énorme glacier.

Atteindre la neutralité carbone

Face aux enjeux, les émissions de carbone et de méthane doivent être rapidement réduites cette décennie et réduites à zéro net d’ici 2050, afin de « nous donner nos meilleures chances » de limiter les températures à 1,5°C d’ici la fin du siècle. Mais la fenêtre de tir qu’il nous reste se ferme incroyablement vite sur notre opportunité d’y parvenir.

« Ce rapport est une confrontation avec la réalité », a déclaré Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du Groupe de travail I du GIEC. « Nous avons maintenant une meilleure image de la façon dont le climat fonctionne, comment il a changé dans le passé, comment il change actuellement et comment il va changer dans le futur. Ce qui est essentiel pour comprendre où nous allons, ce qui peut être fait et comment nous pouvons nous préparer. »

Tout aussi préoccupant : les puits de carbone naturels que sont la Terre, les forêts et les océans ne sont pas infinis et pourront être saturés par les émissions produites par l’humanité.

Sur les soixante dernières années, ces puits de carbone ont ôté de l’atmosphère 56 % du CO2 émis par les activités humaines, mais risquent de devenir « moins efficaces » à l’avenir, plus les émissions continueront d’augmenter. Les experts sur le climat rappellent dans leur rapport que les technologies actuellement étudiées pour séquestrer le carbone sont loin d’être efficaces pour pallier à ce problème.

Le rapport constate que la quantité de CO2 qui peut encore être libérée est d’environ 400 Gt de CO2, si l’on veut avoir 67% de chances de rester en dessous de 1,5°C.

L’humanité émet environ 40 milliards de tonnes de CO2 par an. Depuis la publication du 1er rapport du GIEC en 1990, un trillion (milliard de milliard !) de tonnes de CO2 a été émise. C’est presque la moitié de nos émissions depuis le début de toute l’ère industrielle.

Les activités humaines les plus émettrices sont évidemment la combustion d’énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) pour les transports, mais aussi la production d’électricité, l’agriculture conventionnelle ou l’industrie. Les scientifiques recommandent également de diminuer drastiquement les émissions de méthane pour atteindre nos objectifs climatiques.

Les changements à réaliser pour rester en-dessous de 2°C sont donc radicaux. C’est tout le fonctionnement de nos modes de production et de consommation qui est à revoir, et notamment celui des pays riches qui ont une part de responsabilité immense dans le désastre en cours.

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« Nous ne reviendrons pas sur les émissions passées. Il faut nous habituer à un nouveau monde, et choisir à quel niveau de risque nous souhaitons le limiter. Plus nous attendons, plus cette limite sera haute. » avertit Jean-Baptiste Sallée, océanographe et co-auteur du rapport

Dans les tribunaux, les batailles juridiques se multiplient pour mettre les dirigeants politiques face à leurs responsabilités. Pour les ONG et de nombreux citoyens engagés dans une telle démarche, ce rapport sera donc précieux dans leurs plaidoyers.

« La récente victoire judiciaire contre Shell aux Pays-Bas démontre à quel point la science du GIEC peut être puissante. » rappelle Greenpeace dans un communiqué

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Seulement la moitié des signataires de l’accord de Paris sur le climat ont révisé à la hausse leurs engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui sont pour l’instant insuffisants pour tenir les objectifs du traité international. La 26conférence climat de l’ONU (COP26) se tiendra bientôt à Glasgow (Ecosse). Les auteurs du rapport espèrent qu’elle sera l’occasion pour les décideurs de réviser leur copie.

« Depuis 30 ans, l’humanité, de COP en COP, de rapport du GIEC en rapport du GIEC se montre incapable de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, et suit la courbe du pire scénario climatique. C’est littéralement suicidaire. Nous devons refuser le destin qui nous est promis. Nous devons nous lever et agir, enfin, concrètement, pour réduire drastiquement nos émissions de carbone. Oui ce sera très difficile. Oui, il faudra changer radicalement nos modes de vie. Mais plus on attend, et plus ce sera difficile. Et le changement radical de nos modes de vie est inéluctable face au dérèglement climatique. La question n’est pas : doit-on changer nos modes de vie, mais bien souhaite-t-on piloter ce changement de la manière la plus socialement juste possible, ou attend-on de le subir dans toute sa violence ? Faisons preuve d’ambition, de vision, de courage et aussi de créativité pour construire ce monde vivable. Pour nous. Pour nos enfants. C’est un impératif pour nos politiques et pour chaque citoyen et citoyenne. Ecoutons les scientifiques et agissons. » exhorte Arnaud Schwartz, président de France Nature Environnement

En jeu : la sécurité des populations, humaines et non-humaines, qui semblent de plus en plus livrées à elles-mêmes face à des gouvernements restant sourds aux alertes continuelles des scientifiques, mais aussi des événements extrêmes que nous vivrons désormais plus souvent. Plus que jamais, l’avenir que nous aurons ne dépend que des choix que nous faisons aujourd’hui.

Crédit photo couv : Les pompiers travaillent sur les lieux alors qu’une maison est engloutie par les flammes lors de l’incendie de Dixie à Greenville, en Californie, le 4 août 2021. L’incendie de Dixie a brûlé entièrement cette ville américaine.  – JOSH EDELSON / AFP

Notes :
Le rapport général du GIEC est composé de trois volets. Le premier, publié ce mois-ci, traite de la compréhension physique du système climatique et du changement climatique. Le second portera sur les impacts, l’adaptation et la vulnérabilité des sociétés humaines et des écosystèmes au changement climatique et paraîtra en février 2022. Le dernier abordera les solutions globales à mettre en œuvre pour atténuer le changement climatique et ses effets et sera publié en mars 2022.

Laurie Debove

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