Alors que le monde entier s’aperçoit des effets du changement climatique, l’Antarctique argentine a connu jeudi dernier, le 7 février, un nouveau record de chaleur : 18,3 °C, la plus haute température mesurée depuis le début des relevés météorologiques en 1961. C’est l’occasion pour nous de revenir sur les politiques de protection et l’avenir incertain de ce continent de glace, entouré de l’océan Austral, l’un des plus riches en biodiversité du monde.
L’Antarctique, une réserve qui aiguise les appétits
L’Antarctique est ce continent blanc qui se situe autour du pôle sud de la Terre : formé à 98 % de couches glaciaires, c’est le plus grand désert du monde. Plusieurs États s’en disputent la souveraineté, l’Argentine, le Chili, l’Australie, la France et d’autres, mais voilà des dizaines d’années que les activités militaires et l’exploitation des ressources minérales y sont interdites. L’Antarctique, c’est aussi une immense réserve naturelle, abritant une biodiversité exceptionnelle et protégée par de nombreux traités internationaux.
L’océan qui ceint ce continent, que l’on appelle Austral, fait 20 millions de km2, 15% de la surface océanique planétaire, et contient un écosystème unique et surtout essentiel à la vie sur terre. C’est pourquoi, à l’heure de la crise climatique qui s’annonce, la préservation de cet océan est au cœur de tous les enjeux.
Depuis 1991 et la signature du Protocole de Madrid, le continent Antarctique est considéré comme « une réserve naturelle consacrée à la paix et à la science », mais à cause de ses ressources cachées de minerais et d’hydrocarbures, ce traité international ambitieux est toujours sous la menace d’une révision forcée. L’océan Austral, quant à lui, est encore très peu protégé.
En 2016, après des années de négociation, la mer de Ross, au nord-est du continent, est devenue le plus grand sanctuaire marin du monde, d’une superficie de 1,55 millions de km2, deux fois et demie celle de la France. Mais une telle initiative, qui paraît tout droit sortie d’un futur utopique, ne couvre en fait que 5 % de cet océan et ne permettra pas d’empêcher la catastrophe écologique que nombre de scientifiques redoutent et qu’on sait aujourd’hui provoquée par la surexploitation des océans, comme l’indique un rapport édifiant du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié en 2019.
Si rien n’est fait pour protéger cet océan du bout du monde, les autres ne suivront pas.

Un projet de sanctuaire en échec depuis 2010
Récemment, en novembre 2019, un projet international visant à sanctuariser un million de km2 en trois parties étalées à l’ouest de l’océan Austral a été bloqué par la Chine et la Russie pour la huitième année consécutive.
Proposée par la France, l’Australie et l’Union européenne depuis 2010 à travers la Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR, prononcez « kammelar »), une organisation qui se réunie tous les ans sur le modèle de l’ONU, la création de ce nouveau sanctuaire semble aujourd’hui au point mort, à cause d’un véto systématique de la Russie et de la Chine, qui s’inquiètent en apparence de la situation de la pêche dans la région mais tablent en réalité sur une exploitation future des terres que la fonte des glaces rendra bientôt accessibles, si rien n’est fait.
La région comporte une importance géopolitique majeure, des ressources naturelles intactes, des intérêts économiques inégalables, ce qui n’échappe à personne, comme le notent plusieurs experts dans un article de France Culture.
La création de cette aire marine protégée équivaudrait donc à un renoncement pur et simple de toute souveraineté future sur la région, pour des États qui sont décidés à occuper le devant de la scène géopolitique dans les prochaines décennies, quitte à attendre le désastre écologique pour se servir.

L’Océan Austral, essentiel à la Vie
Pourtant, l’écosystème de l’océan Austral, qui devrait faire partie du patrimoine inviolable de l’humanité, est aujourd’hui plus que menacé par les bouleversements que nous connaissons, même s’il reste encore, outre la surpêche, relativement épargné par les activités humaines.
Manchots, otaries et éléphants de mer, baleines, albatros et pétrels, légines australes et coraux, cette zone marine est d’une richesse à laquelle ne peut plus prétendre aucun autre océan du monde.
Cet océan renferme également des quantités astronomiques de krill, une sorte de petite crevette qui constitue un maillon essentiel de la chaîné alimentaire marine et plus généralement une pièce maîtresse de l’écosystème planétaire. Certains bancs de krill peuvent avoir une taille de plusieurs centaines de kilomètres carrés et être visibles depuis l’espace.
Capturées par des navires de pêche de plus en plus nombreux, réduites par la hausse des températures près des péninsules, la fonte des glaces et la raréfaction des algues auxquelles elles s’accrochent, les populations de krill sont à présent menacées ; leur disparition entraînerait un effondrement de tout l’écosystème austral, décimant les autres espèces en les privant notamment de nourriture dans leur période critique de reproduction.

De plus, l’océan Austral, par sa position et le courant qui le traverse (le plus intense du monde), capte la chaleur et les gaz anthropiques en les enfermant dans ses profondeurs. Nous avons donc tout intérêt à le préserver.
Selon le rapport du GIEC mentionné plus haut, l’océan est au cœur du système climatique planétaire. Absorbant 25 % des émissions carboniques humaines et distribuant 50 % de l’oxygène que nous respirons, l’océan global rafraîchit également la planète et envoie de l’air frais sur les continents. Mais à présent, il s’acidifie, il perd de l’oxygène, il se dépeuple et monte inexorablement, au point que les scientifiques estiment que :
Chaque conséquence de l’activité humaine constatée sur l’océan est et restera irréversible.
L’ONG Greenpeace, ainsi que de nombreux acteurs de la société civile et du monde scientifique, recommandent de protéger au 30 % des océans d’ici 2030, une mesure radicale qui permettrait de réduire drastiquement l’impact des activités humaines. Les réserves marines protégées, selon l’étude de Greenpeace, doivent être cartographiées et interconnectées en fonction de notre connaissance de la biodiversité et des mouvements des populations marines.
C’est une question urgente de courage politique. Par la suite, il suffira de laisser faire la nature, qui porte en elle ses propres moyens de résilience.