Lors de la dix-neuvième session de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome, la Belgique s’est dite favorable à l’intégration de l’écocide comme cinquième crime pouvant être jugé par la Cour pénale internationale, preuve que la notion avance dans les pays européens.
La Cour pénale internationale (CPI) sera-t-elle un jour habilitée à juger les crimes d’écocide ? C’est ce qu’a proposé la semaine dernière le gouvernement belge, à l’occasion de la dix-neuvième session de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome, le traité fondateur de cette juridiction rattachée aux Nations unies. C’est la première fois que cette proposition est formulée par un pays européen devant les représentants de la CPI.
« Je souhaite profiter de cette intervention pour attirer l’attention des États parties sur le drame que constitue la perpétration de crimes graves à l’environnement, a ainsi déclaré Sophie Wilmès, ministre belge des Affaires étrangères. La Belgique estime qu’il serait utile d’examiner la possibilité d’introduire les crimes dits d’« écocide » dans le système du Statut de Rome, dans le cadre des travaux de nos prochaines sessions. »
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Entré en vigueur en 2002, le Statut de Rome comporte quatre types de crimes sur lesquels la CPI exerce un pouvoir juridictionnel : le génocide, le crime de guerre, le crime contre l’humanité et le crime d’agression. Ajouté en 2010, ce dernier est défini comme « l’emploi par un État de la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, (…) incompatible avec la Charte des Nations unies ».
Dans sa longue définition des crimes de guerre, ce texte inclut également « des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu ».
Cette disposition se réfère au premier écocide reconnu de l’histoire : le déversement par l’armée américaine, pendant la guerre du Vietnam, de dizaines de millions de litres d’herbicides toxiques — nommés communément « agent orange » — sur des forêts du sud du pays et des cultures vivrières, faisant des millions de victimes.
Le Statut de Rome punit en théorie de tels crimes, mais sa compétence se limite à un cadre strictement belliqueux.

Plusieurs collectifs, initiatives et associations proposent depuis une dizaine d’années d’étendre le pouvoir juridictionnel de la CPI à un cinquième crime : l’écocide, cette fois-ci commis en temps de paix. C’est le cas par exemple de l’initiative End Ecocide on Earth, de la Fondation Stop Écocide ou plus récemment, de l’Alliance Écocide, fondée cette année par la députée européenne Marie Toussaint et cherchant à rassembler des parlementaires de tous les pays.
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L’idée de ces différents mouvements serait de rédiger une définition juridique claire et pratique de l’écocide puis de l’intégrer au Statut de Rome, afin de rendre « les individus responsables de financer, permettre et causer des dommages environnementaux graves passibles de poursuites criminelles », ainsi que l’écrit la Fondation Stop Écocide.
Pour que l’amendement soit accepté, il faudrait que l’un des États parties le propose, que les deux tiers d’entre eux (actuellement 82/123) votent en sa faveur, puis que les parlements nationaux le ratifient. La route est donc encore longue avant qu’un premier crime environnemental soit puni.

Malgré tout, les projets d’intégrer le crime d’écocide aux législations nationales et internationales prennent chaque année de l’envergure. Lors de son discours du 15 novembre 2019 au XXe congrès de l’Association internationale de droit pénal, le pape François a utilisé pour la première fois le concept d’écocide, précédant de peu une proposition du Vanuatu et des Maldives énoncée en décembre de la même année devant l’Assemblée des États parties au Statut de Rome.
L’idée va bon train, il manque encore une certaine volonté politique. Selon l’argumentaire de ses défenseurs, si le crime d’écocide était adopté dans le Statut de Rome, il pousserait sur-le-champ les grandes entreprises, leurs patrons et les dirigeants étatiques à modifier leurs comportements vis-à-vis de l’environnement, car la destruction de celui-ci serait placée au même niveau que la destruction de la vie humaine.
Avant d’être un texte juridique applicable, susceptible de conduire à des condamnations, le crime d’écocide est une avancée morale. Son intégration à la CPI signerait la reconnaissance internationale du crime, et donc de la valeur de l’environnement.
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En France, après quelques propositions de loi n’ayant rencontré aucune approbation au Parlement, la Convention citoyenne pour le climat (CCC) a voté à 99 % en faveur de l’adoption d’une « loi qui pénalise le crime d’écocide dans le cadre des neuf limites planétaires [dont trois ont déjà été franchies] et qui intègre le devoir de vigilance et le délit d’imprudence, dont la mise en œuvre est garantie par la Haute autorité des limites planétaires ».
Cette proposition figurait dans le rapport remis en juillet 2020 au président de la République, qui semblait alors en partager l’ambition. Mais au moment de la « traduire » dans le droit français, le gouvernement a fait volte-face.
En lieu et place du « crime » attendu, les ministres de l’Écologie et de la Justice, Barbara Pompili et Éric Dupond-Moretti, ont annoncé la création d’un « délit d’écocide » qui n’en est même pas un, car il s’agit en réalité de deux nouveaux délits environnementaux : le « délit général de pollution » et le « délit de mise en danger de l’environnement », passibles de plus lourdes amendes et de plus larges peines de prison.
Cette annonce ne brille pourtant pas par sa nouveauté : plutôt que d’appliquer « sans filtre » la proposition de la CCC, elle se conforme à la directive de l’Union européenne sur la protection de l’environnement par le droit pénal, qui date de 2008, avec une révision prévue pour 2021. Exit le crime, et surtout la notion de « limites planétaires » qui lui était associée.