Que ce soit pour nous révéler un monde que nous ne pouvons pas observer : celui des cellules ou des microorganismes, ou pour nous faire voir ce que nous ne prenons pas le temps de regarder : le coeur d’une fleur, les photographes qui s’intéressent à l’infiniment petit nous ouvrent à la beauté du monde, celle qui est à notre portée. Prenons le temps en cette fin d’année de répondre à cette invitation.
Une fleur aussi ordinaire qu’un pissenlit devient une peinture surréaliste, une moisissure sur une tomate devient belle au point qu’on voudrait la toucher. Ce qui annonce la mort est beau : une cellule cancéreuse.


L’histoire de la microphotographie est intimement liée à celle de la science. Elle naît au milieu du XIXème siècle avec le professeur Richard Hill Norris qui photographie en 1850 le sang des grenouilles. Il invente une assiette photographique qui sera par la suite améliorée et commercialisée. Parallèlement en France, René Dagron invente le microfilm, c’est à dire l’art de fixer sur un très petit support des images – paysages ou portraits. C’est ainsi que la photographie devient portative, pouvant se fixer dans les médaillons, et intéressant beaucoup les milieux des renseignements.
Avec le développement des microscopes et la numérisation, cette pratique disparaît et la microphotographie devient l’art de photographier ce que l’oeil nu ne perçoit pas et de le grossir sur papier ou sur écran. Les objectifs sont couplés avec un microscope.
Le photographe fait face à de nombreuses difficultés : faire une coupe de ce qu’il souhaite photographier quand ce sont des éléments qu’il peut manipuler et veiller à ne pas les abîmer. Il doit sans cesse faire preuve d’imagination pour isoler l’élément de manière à le rendre visible sous le microscope, ou directement sous l’objectif. Rendre la profondeur de champ est périlleux quand on ne possède pas de système 3D, et le bricolage est l’un des talents de tous les photographes de l’infiniment petit.
Dans cette discipline les scientifiques passeurs de savoir deviennent passeurs de beauté, artistes. Ce que Einstein considérait comme le point de départ de la recherche scientifique : le sentiment cosmique face à la beauté du monde, et l’imagination de l’artiste qu’il était. Mais ce sont aussi des artistes qui, s’intéressant à la beauté du monde, passent du côté scientifique pour comprendre ce qu’ils photographient.

C’est le cas de Gary Greenberg qui a obtenu un doctorat scientifique alors qu’il était photographe cinéaste et a mis au point des microscopes tridimensionnels de haute définition grâce auquel il a révélé la beauté des grains de sable et comment ils reflètent les particularités géologiques de la région. Les grains de sable grossis et pris en 3D redeviennent des coquillages ou des mini montagnes à eux tous seuls. L’infiniment petit contient l’infiniment grand. On ne s’étonnera pas que ce microscope ait été utilisé par la Nasa pour photographier le sol de la lune. La photographie devient alors un outil de compréhension pour les scientifiques, et la boucle est bouclée.
Ceux qui s’attardent à nous montrer ce qui se cache sous nos pieds, tout autour de nous, dans ce que nous mangeons et ce que nous foulons, font bien plus qu’un travail artistique ou scientifique : ils nous invitent à une véritable remise en question philosophique de notre manière d’habiter le monde, de le fouler ou de passer devant en regardant nos pieds. Voir comment est faite une toile d’araignée, une tumeur ou une moisissure, ce que nous considérons comme sale ou bon à détruire, nous remet en question sur nos critères esthétiques.
Le vivant est précieux dans chaque millimètre carré. L’ordinaire devient extraordinaire, la mort devient belle, l’inconnu devient compréhensible. Une invitation à nous émerveiller de ce qui est à côté de nous, tout autour de nous, à prendre conscience du précieux du vivant et à le protéger.