Cette fois-ci, le ministère de l’Agriculture a franchi la ligne rouge. Mardi 25 février, un échange de mails révélé par l’association L214 prouve que tous les pouvoirs publics, ministère, préfecture, vétérinaires, ont sciemment dissimulé les non-conformités à la règlementation sur la souffrance animale dans l’abattoir de veaux Sobeval en Dordogne. L’association L214 demande la démission du Ministre Didier Guillaume.
Les infractions de l’abattoir Sobeval
Tout a commencé dans les petits couloirs du ministère. Mercredi 19 février, l’association L214 s’apprête à diffuser une série de vidéos choc tournées dans l’abattoir Sobeval de Boulazac, en Dordogne. Appartenant au groupe néerlandais VanDrie, le plus important du monde dans sa filière, cet établissement gigantesque peut abattre jusqu’à 3 400 veaux par semaine, dont 30 % sont égorgés dans le respect des pratiques rituelles casher et halal. La cadence atteint souvent 90 veaux à l’heure.
Ce jour-là, L214 a fourni les vidéos à quelques journalistes, mais celles-ci ont fuité et circulent en avant-première au ministère de l’Agriculture. Toute la journée, le cabinet du ministre et les hauts fonctionnaires sont en alerte : on se presse à qui mieux mieux pour apporter des réponses appropriées en toute anticipation. Il s’agit de rassurer la population.
Jeudi 20 février, L214 publie les vidéos tournées en novembre et décembre 2019, accompagnées d’une enquête détaillée qui fait état de très nombreuses infractions, aussi bien dans les procédures d’abattage standard que d’abattage rituel. En somme, que ce soit pour l’une ou l’autre méthode, les veaux ne sont pas étourdis ou immobilisés correctement avant d’être égorgés.
Sur une première vidéo, on voit clairement que le pistolet d’étourdissement de type « pneumatique » utilisé par les employés ne fonctionne pas, car les animaux ne sont pas immobilisés. Blessés, les veaux reprennent conscience à l’instant de leur saignée et meurent dans d’atroces convulsions en se traînant dans le sang de leurs congénères, après avoir passé leur vie sans voir un instant la lumière du jour, dans des élevages intensifs où ils n’ont pour seul espace qu’une cage individuelle de 80 cm de large par 150 cm de long les huit premières semaines de leur vie.
Au terme d’une existence cloîtrée, industrielle, bourrés d’antibiotiques parfois périmés, les animaux n’échappent pas même à une mort d’une violence inouïe, alors que la loi stipule formellement que les bêtes doivent être « mises à mort uniquement après étourdissement ». Voilà pour l’abattage standard.
En ce qui concerne l’abattage rituel, c’est-à-dire sans procédure d’étourdissement, une seconde vidéo montre que les veaux ne sont pas immobilisés et n’ont pas perdu conscience au moment de leur saignée, contrairement aux obligations légales une fois encore. Pour couronner le tout, les employés égorgent les bêtes debout, en réalisant un mouvement de scie avec la lame, ce qui a pour conséquence d’aggraver la souffrance de l’animal, qui aperçoit notamment ses congénères se vider de leur sang devant lui.
L’abattage casher ou halal est pourtant contraint de procéder à un contrôle systématique de la perte de conscience ; dans ce cas, Sobeval prouve qu’elle enfreint des dizaines de fois par jour la législation. Enfin, sur une troisième vidéo, un veau agonisant est traîné par terre par les pattes dans l’indifférence générale.
Que ce soit au niveau des instances européennes, des recommandations des fédérations de vétérinaires, de la loi française ou de l’opinion publique, qui est à 85 % opposée à l’abattage sans étourdissement selon un sondage Ifop, l’abattoir Sobeval de Boulazac a été plusieurs fois confondu. Pour violation systématique de la loi, L214 demande donc sa fermeture administrative d’urgence et porte plainte pour « sévices graves envers des animaux ».
La connivence du Ministère de l’Agriculture avec les lobbies de la viande
Toutefois, au ministère de l’Agriculture comme à la préfecture de Dordogne, on ne l’entendait pas de cette oreille. Le 23 février, quelques jours seulement après la publication des vidéos, le ministre Didier Guillaume se veut rassurant sur Europe 1 :
« J’ai diligenté immédiatement des contrôles et les contrôles tels que les premiers résultats que nous avons, mais on en aura un peu plus, montrent que le respect du bien-être animal est là, montrent que les choses se font. »
Il dénonce un « montage » de vidéos tournées sur plusieurs années et extraites sans preuve de leur contexte : « Les images sont prises sur plusieurs mois ou plusieurs années, sont collées les unes par rapport aux autres. »
De leur côté, tous les autres acteurs publics se débrouillent pour discréditer l’association L214. La préfecture de Dordogne : « Au premier visionnage des vidéos de l’association, il n’y a pas de mise en évidence de non-conformité à la réglementation. »
Le directeur départemental des services vétérinaires : « (…) cet abattoir est en règle et la réglementation et l’action au quotidien de l’État permettent de le confirmer, de le conforter. » Bref, un discours bien rodé qui tourne en boucle sur toutes les radios et toutes les télévisions.
Tout serait rentré dans l’ordre si quelqu’un n’avait pas malencontreusement mis un membre de L214 dans la boucle de mails destinée au seul personnel du ministère. Dès hier midi, mardi 25 février, l’association a publié en ligne ces échanges qui démontrent noir sur blanc que tout le monde, y compris le ministre, a menti.
Un premier mail, d’une conseillère du cabinet du ministre : « Il nous faut des EDL [éléments de langage] béton pour ce soir. Et côté SAJ [service des affaires juridiques] également. Merci ! »

En clair : trouvez-nous des contre-vérités à disséminer dans la presse.
Un second email offre une liste de ces fameux éléments de langage susceptibles de décrédibiliser les vidéos : l’abattoir est régulièrement contrôlé ; la vidéo ne peut être en aucun cas datée ; il est facile de faire des photos choc dans un abattoir ; le niveau sanitaire de celui-ci est satisfaisant ; aucune non-conformité au règlement n’a été relevée. Etc.
Jusque-là, passe encore. Sauf que le 20 février au matin, un nouveau courriel d’un fonctionnaire du ministère, agrémenté de points d’exclamation, met en évidence que l’abattoir ne respecte pas la règlementation : « Hier soir, après échange avec ***. J’ai fait la liste des NC [non-conformités] indéniables, voire majeures relevées ! »

Le mail est adressé aux membres du ministère, à la préfecture de Dordogne, aux services vétérinaires : toutes les autorités compétentes étaient ainsi conscientes dès le début des enfreintes aux règlementations.
L’implication des lobbies de la viande
Autre coup de massue : certaines phrases de la correspondance font comprendre que tous les éléments de langage, voire la boucle de courriels, ont été envoyés à plusieurs lobbies de la viande, par exemple l’association interprofessionnelle de la filière bétail et viande (Interbev) ou la fédération des métiers de la viande (Fedev).
Les fonctionnaires ont donc demandé aux lobbies de la viande de valider leurs éléments de réponse à l’attention du grand public et des médias…
Ayant révélé les mensonges de tous les pouvoirs publics impliqués dans cette affaire, l’association L214 réclame la démission du ministre Didier Guillaume.
« La préfecture, les services vétérinaires, les services du ministère et le ministre lui-même ont sciemment choisi de mentir et se servent d’éléments de langage pour masquer une réalité reconnue par leurs services », a déclaré l’association, dans un communiqué de presse exposant l’affaire.
Les services de l’État sont incapables de contrôler les abattoirs et se soumettent avec complaisance aux géants industriels du secteur de la viande.
« Après une annonce bidon concernant le transport des animaux lors d’un épisode de canicule, une présence remarquée à une corrida cet été, des mesures “jamais vues” décevantes, il est grand temps de changer de ministre et de sortir la condition animale du ministère de l’Agriculture. » conclut ainsi Brigitte Gothière, cofondatrice de L214.