La comédienne parisienne Camille Lockhart, jusqu’ici inconnue du grand public, a fédéré quelques 200 000 soutiens. En effet, il y a quelques jours, cette dernière a poussé un coup de gueule sur les réseaux sociaux à propos de la censure de son affiche de spectacle sous prétexte d’une histoire de fesses : pas n’importe lesquelles puisque ce sont celles de Simone de Beauvoir.
« Je sors de répétition avec un goût un peu amer sur le bout de la langue. »
Lundi, Camille Lockhart postait avec rage un post sur Facebook dénonçant la « censure violente de JC Decaux » de ses affiches où apparaissait la photographie de Simone de Beauvoir de dos, prise par Art Shay, en 1952. Son spectacle « Les correspondances amoureuses de Simone de Beauvoir » est axé sur les liaisons de l’une des pionnières du féminisme français et doit se jouer à Paris en septembre. C’est ainsi que, pour gérer la communication de son spectacle, la compagnie dans laquelle évolue Camille Lockhart a choisi la photo prise par l’ex-photographe de Life Magazine à l’époque où elle fréquentait l’écrivain américain Nelson Algren.
Cette photo est une simple scène de vie, elle sort du bain, elle est nue, de dos, et se recoiffe, perchée sur ses petites chaussures à talons. Son corps est celui d’une femme (extra)ordinaire, bien loin de celui que l’on peut croiser dans les magazines ou sur les affiches 4×3 dans le métro parisien. Camille Lockhart s’insurge que JC Decaux semble refuser cette réclame affichant une « belle paire de fesses charnues » alors que des « images publicitaires vulgaires » inondent l’espace public. Elle explique également que cette photo n’a pas été volée par Art Shay, qu’elle est celle d’une femme qui se laisse prendre en photo telle qu’elle est, c’est-à-dire « une des figures les plus brillantes de son temps, qui s’est battue pour faire entendre la parole des femmes, de toutes les femmes, qui s’est battue pour qu’on ait le droit de sortir de nos cuisines, réfléchir, voter, travailler, avoir un compte en banque, choisir ou non d’avoir des enfants, pour qu’on cesse d’être des « bonne-femmes » et qu’on soit d’abord et avant tout des êtres humains. »
JC Decaux dément et dénonce un vif emballement
En effet, Le Parisien ayant contacté JC Decaux pour lire les deux côtés de la cassette, a publié dans la foulée un démenti du numéro un des supports publicitaires :
« Il n’y a aucune volonté de censure de la part de JC Decaux. La comédienne s’est un peu emballée. Aucune décision n’a encore été prise sur l’affiche de son spectacle, pour deux raisons. L’une juridique, on réalise une étude sur les droits de la photo d’Art Shay. L’autre, est que la nature dénudée de la photo nous a obligé à demander l’avis de l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) sur la diffusion de cette image. Nous pensons d’ailleurs qu’il sera positif. Ce sont les raisons qui font que la décision sur la diffusion de l’affiche du spectacle de Camille Lockart est en attente. »
Difficile d’extirper donc la vérité sur cette affaire. Cependant, Camille Lockhart a également pris la parole auprès du Parisien afin d’expliquer que sa compagnie et elle attendaient donc les réponses définitives de la régie. Décision qui sera possiblement revue étant donné le nombre de soutiens apportés à la jeune fille.
Qu’en dit Art Shay ?
Suite à cette polémique, Art Shay a été contacté pour l’Obs afin de livrer sa version de l’histoire concernant la photographie de Simone de Beauvoir ; il réfute la version de Camille Lockhart concernant le fait que la photo n’a pas été volée. En effet, ami de Nelson Algren qui à cette époque était l’amant de Simone de Beauvoir, il lui avait été demandé de trouver une salle de bain car l’appartement de Nelson Algren « loué à 10 dollars par mois n’avait ni baignoire ni douche ». C’est alors qu’Art Shay a emprunté les clés d’une de ses amies pour que Simone de Beauvoir puisse utiliser sa salle de bain, Nelson Algren aurait alors plaisanté en expliquant avec malice qu’une « frenchy fermait rarement la porte de la salle de bain ».
Art Shay, son Leica greffé à la main, a donc discrètement photoshooté ce qu’il ne soupçonnait pas être un des futurs symboles du féminisme ; Simone de Beauvoir aurait alors entendu le déclic, se serait retournée et aurait lancé un « Vous êtes un vilain garçon ». Fin de l’histoire de la photo et simple épisode dans l’amitié qui a liée Nelson Algren, Simone de Beauvoir et Art Shay. Ce dernier a par ailleurs exprimé ses regrets quant à sa distraction de l’époque lors de l’ascension de l’auteure du Deuxième Sexe, de ne plus avoir pensé à cette série et de l’avoir publié.
Ce sera à Camille Lockhart de conclure sur ces paroles, témoins de l’agacement général en ce qui concerne la perception de la femme dans notre société :
« Chers censeurs moyen-âgeux qui posez vos grosses couilles sur la table, il s’agit du derrière potelé de la femme dont nous portons la voix. (…) Chers censeurs, vous me faites bien du chagrin et me mettez très en colère, mais vous me confirmez que cette parole a désespérément encore besoin d’être entendue, aujourd’hui, en 2017, en France, à Paris, et vous me rendez encore plus heureuse de l’y porter sur un plateau. Je ne vous serre pas la main, vous ne vous les êtes surement pas lavées en sortant des chiottes. »
Si les tenants et les aboutissants de cette polémique née sur les réseaux sociaux font mauvaise pub à JC Decaux, peut-être à tort (selon le dénouement de l’affaire), il est certain qu’elle démontre un engagement plus fort que jamais pour l’image des femmes dans la publicité : la revendication et l’aspiration de liberté pour des corps au naturel face à une inondation de silhouettes vulgaires, photoshopées et culpabilisatrices. L’opinion publique est sur les starting blocks en ce qui concerne le sexisme et c’est une belle nouvelle ! Attention cependant à la rapidité de l’information et à son juste traitement.

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