Cette phrase, difficile à comprendre pour un entendant, est prononcée par Virginie, sourde profonde de naissance, dans le documentaire inspirant « L’éloquence des sourds ». Le film nous immerge dans son quotidien et nous dévoile le combat de toute une vie : s’intégrer dans une société excluant les minorités.

Sourde et avocate

Dans ce documentaire réalisé par Laëtitia Moreau pour Arte, disponible jusqu’au 10 septembre, nous découvrons Virginie. Le film la suit dans une décision importante : doit-elle se faire poser un implant cochléaire pour récupérer quelques décibels d’audition ? Virginie est hésitante, et veut déterminer si cette opération a un sens pour elle. L’occasion de faire un bilan sur son parcours de vie. Personnalité solaire, elle nous raconte les efforts qu’elle a dû déployer pour faire mentir les médecins en devenant la première sourde profonde à obtenir un diplôme d’avocate.

Aujourd’hui cadre dans une grande société d’assurance, la douceur avec laquelle Virginie évoque sa progression n’efface en rien la stupeur et l’admiration quand on réalise tout le travail qu’elle a accompli pour en arriver là. Est-ce parce que ses parents sont entendants que Virginie réussit à naviguer aussi bien entre deux mondes ? Se décrivant elle-même comme une « handicapée modèle », elle a voulu casser l’idée reçue selon laquelle un sourd est forcément muet.

Pendant 20 ans, elle a travaillé avec un orthophoniste pour arriver à parler. Elle sait désormais lire sur les lèvres et converser avec des entendants, mais cette gymnastique mentale extrême la fatigue énormément. Elle doit aussi affronter la réaction des entendants, qui n’est pas toujours bienveillante face à son accent lorsqu’elle parle. Pourtant, Virginie reste souriante et persévère. Elle garde l’espoir qu’un jour, elle aussi pourra plaider.

L’intégration difficile des sourds dans la société française

Lors d’échanges entre Virginie et ses amis, on découvre d’autres parcours de vie tissés autour du même combat : s’intégrer et faire le métier de ses envies, comme son amie sourde et chercheuse au CNRS. Pour réussir à obtenir son diplôme d’avocate, Virginie raconte l’ingéniosité dont elle a dû faire preuve. En effet, sur ses neufs professeurs, aucun n’a bien voulu lui donner les copies de leurs cours.

« On mérite un diplôme pour tout ce que nous avons fait pour arriver au même niveau d’information que les autres. » Virginie

Virginie et ses amis sourds sont des exceptions. En France, sur les 4 millions de personnes atteintes de surdité, apprendre à parler oralement est tellement exténuant, pour finalement être confrontés à des interlocuteurs qui leur répondent en langage « bébé », que rares sont ceux qui décident de se lancer dans l’aventure. Le peuple sourd, profondément lié à la langue des signes, revendique aussi cette richesse, et aimerait que le regard des autres devienne bienveillant.

« Tous les sourds peuvent dire la même chose : l’exercice de l’oralisme, c’est vraiment une grande souffrance. Et ça ne donne pas forcément des meilleurs résultats d’intégration. Pour les sourds, c’est beaucoup d’échecs, d’oralisation impossible, d’expression limitée, d’approximations dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. » Patrick Belissen, Président de l’opération de sauvegarde des sourds

En juin 2018, une manifestation avait été menée pour le droit des sourds afin de lancer l’alerte sur la raréfaction des établissements scolaires bilingues LSF/français écrit, et de la grave atteinte à l’égalité des chances que ce phénomène implique en privant les sourds à l’accès à certains métiers.

« Malgré une recommandation de l’ONU qui préconise de sortir de l’enfermement des instituts spécialisés, tout est fait pour orienter les enfants sourds vers des structures médico-sociaux. Une politique d’école inclusive voulue par le gouvernement, ne semble pas être prise en considération pour les élèves sourds ayant choisi la LSF. L’ANPES et la FNSF s’associent pour exprimer leur colère et déplorent que des mesures concernant la scolarisation en LSF ne soient pas toujours respectées, ces droits sont constamment dénigrés et bafoués. Nous dénonçons tout particulièrement l’absence des annonces de mesures concrètes qui nous avaient été promises. » Fédération Nationale des Sourds de France

Découvrir le monde de Virginie, c’est découvrir un monde que peu d’entendants perçoivent : celui des sourds « constitué d’images et de vibrations », avec leur richesse, leur culture, leur façon de communiquer. Une vision du monde et un ressenti parfois charnel, souvent poétique, comme lorsque Virginie perçoit les milliers de toiles d’araignées qui recouvrent un champ ensoleillé.