C’est un verdict historique. Vendredi 6 mars, à Marseille, quatre braconniers ont été condamnés à payer une amende de 385 000 euros, au titre de « préjudice écologique », pour avoir pêché en toute illégalité des tonnes de poissons dans les eaux protégées du Parc national des Calanques.
Le Parc national des Calanques, ce sont plus de 50 000 hectares d’espaces naturels conservés, des massifs littoraux, des canyons sous-marins riches en biodiversité ; ce sont 140 espèces terrestres animales ou végétales et 60 espèces marines désormais protégées par la loi, des îles, des archipels, de somptueux paysages…
C’est est aussi le premier en Europe à couvrir des zones à la fois terrestres et maritimes, tout en étant à proximité d’une métropole. Dans son cœur marin, la pêche est strictement interdite et le braconnage énergiquement traqué.
La création du parc, en 2012, a mis fin à des décennies, voire des siècles d’habitudes de pêche : désormais, cette réserve est sanctuarisée et des inspecteurs de l’environnement sur le qui-vive se démènent à faire respecter les nouvelles règlementations, comme le prouve cette affaire toute récente et unique en son genre.
Depuis plus de quatre ans, quatre camarades passionnés d’apnée et de plongée sous-marine avaient mis en place une petite affaire très rentable de braconnage. Mérous, corbs, oursins, poulpes, loups et dorades, ces quatre hommes se glissaient de nuit dans les eaux des Calanques, munis de harpons, pour y piller des espèces halieutiques protégées de longue date par un moratoire, qui plus est dans une zone interdite.

Aux premières lueurs de l’aurore, les comparses déchargeaient les poissons des cachettes de leur bateau et les débitaient discrètement à des poissonniers, des écaillers et des restaurateurs de Marseille. En seulement quatre mois et demi, estiment les gendarmes, les pillards auraient ponctionné à eux seuls 2 900 douzaines d’oursins, 750 kilos de poissons et 75 kilos de poulpe des réserves maritimes, pour un bénéfice de plusieurs dizaines de milliers d’euros par an.
En juin 2017, après une enquête de longue haleine, les gendarmes maritimes avaient interpellé en flagrant délit les quatre braconniers des mers qui lors de leur procès au tribunal correctionnel un an plus tard, en juillet 2018, avaient écopé d’une peine de 15 à 18 mois de prison avec sursis.
Mais l’affaire ne pouvait s’arrêter en si bonne route. Direction le tribunal civil, où un nouveau procès était censé déterminer le montant d’indemnisation que recevrait le Parc national des Calanques. Et le vendredi 6 mars, après un an et demi d’attente, le verdict est tombé : les quatre chasseurs sont condamnés solidairement à verser 385 000 euros de dommages et intérêts au parc, soit à peu près le double des gains estimés.
Cette amende sera peut-être réduite en appel. Mais là n’est pas l’essentiel. Ce verdict constitue en fait un précédent dans la protection des espaces naturels de notre pays. Car en plus de pénaliser « le préjudice écologique indéniable causé à l’écosystème », le tribunal de Marseille « a validé la méthode spécialement créée pour estimer le préjudice porté à un environnement protégé », selon Me Sébastien Mabile, l’avocat du Parc national des Calanques. « Cette condamnation est un signal très fort, avec une vocation pédagogique pour tous les acteurs à Marseille. »
Une décision historique, qui devrait guider les prochains jugements, la justice considérant que les préjudices envers l’environnement sont légitimes, qu’ils peuvent dorénavant être condamnés. Depuis la loi pour la reconquête de la biodiversité adoptée en août 2016, c’est un record.

« cela ne peut faire que boule de neige », a confié au Parisien Franck Lagier, premier vice-procureur de la République de Marseille.« La justice est en adéquation avec l’évolution de la sensibilité des citoyens sur les questions écologiques. »
« Nous nous réjouissons de cette décision qui reconnaît que la valeur intrinsèque de la biodiversité est supérieure à sa valeur marchande », a pour sa part déclaré Didier Réault, le président du conseil d’administration du parc. « Les dommages et intérêts seront consacrés à tenter de réparer les dégâts causés aux espaces naturels et à la biodiversité. Aujourd’hui, ceux qui détruisent la nature doivent comprendre que cela à un prix. »
La nature a désormais une valeur juridique explicite, déterminée, les prochains juges pouvant s’appuyer sur les décisions de leurs prédécesseurs. Les contrevenants qui s’en prennent aux espaces protégés, quant à eux, peuvent s’attendre à une addition très salée et à des peines à la mesure de leurs dégradations.
La justice envoie du même coup un message fort de soutien à tous les agents de l’État, aux gestionnaires des parcs, aux inspecteurs et gendarmes, ainsi qu’aux membres de la société civile qui participent de près ou de loin à la défense de la biodiversité.
350 000 euros en réparation du « préjudice écologique » ; 20 000 euros pour « préjudice d’atteinte à la mission » du parc ; 15 000 euros pour atteinte à son image et à sa réputation… Auxquels s’ajoutent les peines de prison avec sursis, condamnation pénale pour une fois bien distincte du préjudice environnemental. Chapeau bas aux gendarmes, procureurs et juges qui ont mené l’affaire à terme.
Crédit photo couverture : djedj