Du 16 au 21 juillet, le Village de l’eau, à Melle (Deux-Sèvres), a accueilli plusieurs milliers de militants opposés aux mégabassines. Des militants venus des quatre coins du monde, du Brésil à l’Inde, jusqu’à l’Allemagne et au Liban, pour témoigner de leur lutte commune contre l’accaparement des ressources en eau.
Une guerre de l’eau internationale
Anglais, allemand, portugais, français, espagnol, arabe… Au sein du Village de l’eau, qui a accueilli plusieurs milliers de militants anti-bassines du 16 au 21 juillet dernier à Melle (Deux-Sèvres), les langues parlées étaient particulièrement nombreuses. De fait : parmi les 30 000 personnes présentes sur place, selon les organisateurs, plusieurs centaines ont fait le déplacement depuis le Mexique, le Brésil, l’Espagne, la Belgique, l’Inde, le Maroc ou encore la Colombie, le Tibet, l’Allemagne, le Portugal et le Chili pour parler des enjeux de l’eau dans le monde et tenter de tisser de nouvelles alliances.
« On tenait vraiment à cette perspective internationale pour voir quels sont les points communs entre les luttes, entame Glauber Sezerino, un des responsables de la programmation et de l’accueil des invités internationaux du Village de l’eau pour La Relève et La Peste. L’idée, c’était aussi de pouvoir créer des connexions pérennes entre des personnes et collectifs qui partagent les mêmes combats », continue celui qui est aussi responsable du pôle mobilisation et analyse du Collectif d’organisations de solidarité internationale et de mobilisation citoyenne (Crid).
De la France au Tibet, lutter contre les barrages hydroélectriques
Entre le Brésil, le Tibet et la France, par exemple, la lutte contre les barrages hydroélectriques destructeurs fait partie des combats communs particulièrement rassembleurs.
« On pourrait se demander quel rapport il y a entre le fleuve de la Loire, en France, et le Brésil, s’amuse Vincent Metten, directeur des Affaires européennes pour l’ONG International campaign for Tibet (ICT), lors d’une table-ronde dédiée aux barrages hydroélectriques. Mais en fait, on voit rapidement que les impacts de ces infrastructures sont souvent similaires ».
Au Tibet, « la capacité de production d’énergie est forte et la demande faible, détaille Vincent Metten, alors qu’en Chine, c’est l’inverse. Il y a peu de ressources énergétiques, mais une très forte demande ».
Conséquence directe : le gouvernement chinois multiplie les projets de barrages au Tibet, comme sur la rivière Drichu, qui compte actuellement treize barrages. Des barrages qui impactent la biodiversité, mais aussi les populations locales, contraintes de quitter les lieux, ce qui ne va pas sans susciter de vives contestations. En février, plus d’un millier de Tibétains ont ainsi été arrêtés pour avoir manifesté contre un nouveau projet de barrage hydroélectrique sur la rivière Drichu, alors qu’au moins deux villages et six monastères devraient céder la place à ce nouveau barrage.
Des oppositions aux barrages que l’on retrouve côté français où, dès les années 80, des voix se sont élevées contre « la volonté de l’Etat de mettre le fleuve au service de l’homme, au détriment de la biodiversité, explique de son côté Romain Pezet, juriste de l’association SOS Loire vivante. Le barrage de Poutès, par exemple, menaçait d’extinction le saumon atlantique.. On a réussi à faire baisser la hauteur du barrage à 7 mètres au lieu de 17, mais ça demande de ne rien lâcher. »
Des mouvements sociaux criminalisés à travers le globe
« Ne rien lâcher ». C’est là un autre point de convergence entre les activistes internationaux, également confrontés à la criminalisation des mouvements sociaux.
« Dans un État [La France] qui se présente comme une démocratie mûre, les personnes qui exercent légitimement leur droit à la manifestation pour stopper les mégabassines sont persécutées et criminalisées par l’action violente de l’appareil policier français, détaillent-ils dans un récent communiqué. Nous constatons que la répression des mobilisations populaires pour la défense de nos biens communs n’est pas exclusive à la France, mais qu’elle se produit de manière similaire dans diverses parties du monde ».
Une criminalisation autour de laquelle ont notamment échangé des activistes originaires d’Amérique latine, à l’image de Paula Davoglio Goes, également engagée dans la lutte contre les projets hydroélectriques au Brésil, et des représentants du collectif Bassines non merci (BNM), lors d’une table-ronde dédiée à la question.
« En les écoutant échanger, je me suis rendu compte qu’il y avait également beaucoup de situations similaires entre l’Amérique latine et Madagascar, témoigne le réalisateur malgache Lova Nantenaina pour La Relève et La Peste. Concernant l’accaparement des ressources en eau par des multinationales, c’est flagrant ».
« S’approprier un bien commun »
Très inquiet de la situation à Madagascar, le réalisateur pense notamment au projet minier de la firme australienne Base Toliara, qui tente d’exploiter un gisement d’ilménite dans le sud-ouest de l’île.
« C’est une région qui souffre déjà du manque d’eau, détaille-t-il. Avec ce projet minier, sous prétexte qu’il va donner du travail à la population, ils vont encore aggraver la situation. » Une situation que le cinéaste rapproche de l’exploitation des ressources en eau par Coca-Cola dans la région du Chiapas, au Mexique.
« Partout, le problème est le même. Des grandes firmes veulent s’approprier l’eau, qui est pourtant un bien commun. »
Installé à La Réunion, Lova Nantenaina avait fait le déplacement jusqu’à Melle pour présenter son prochain film, Chez les Zébus francophones. Un documentaire dont la sortie nationale est prévue à l’automne et qui retrace l’histoire de paysans d’Antananarivo dont « les rizières sont convoitées par des spéculateurs privés qui veulent en faire des zones commerciales ou des résidences, explique-t-il, ce qui créerait de graves problèmes d’inondation. Pour l’heure, les paysans ont engagé une action en justice, mais l’adversaire est puissant… »
Et de renchérir : « La lutte est longue, mais c’est très inspirant de voir que partout, des gens luttent pour l’accès à l’eau et les droits des petits paysans. »
Face aux multinationales, « lutter ensemble contre les projets prédateurs »
Une lutte qui résonne jusqu’en Palestine, où l’accaparement des ressources en eau s’articule avec « la domination coloniale israélienne », souligne Antoine Frère, juriste et collaborateur de l’ONG Al-Haq, qui documente les violations des droits humains dans le cadre du conflit israélo-palestinien, pour La Relève et La Peste.
En Palestine, le juriste distingue ainsi plusieurs modes d’accaparement de l’eau par l’Etat israélien, à l’image de la « confiscation des puits » des Palestiniens. De fait, ces derniers sont dans la quasi impossibilité de creuser de nouveaux puits. Dans le même temps, Mekorot, compagnie des eaux appartenant à Israël, creuse des puits et « exploite abondamment les sources » palestiniennes pour approvisionner les Israéliens.
Watch: The Israeli occupation pours cement into the water springs in the Al-Hijrah area, south of Hebron, to block them and prevent Palestinians from using them in agriculture. pic.twitter.com/D1oIwbv3Xv
— Quds News Network (@QudsNen) July 26, 2023
« Ils ont créé un marché captif de Palestiniens qui n’ont plus accès à l’eau », alerte le juriste.
Autant de situations d’accaparement de l’eau qui, du Tibet à la Palestine, du Mexique à la France, se sont faites écho pendant le Village de l’eau. Une réussite, selon Glauber Sezerino, qui se réjouit de voir des alliances internationales se nouer.
« Les multinationales et les partis d’extrême droite s’organisent, conclut ce dernier. Dans un contexte où les fascismes sont au porte du pouvoir, quand ils ne le sont pas déjà, il est indispensable que les peuples victimes des politiques d’accaparement de l’eau se rencontrent et puissent, elles aussi, lutter ensemble contre les grands projets prédateurs. »