Victoire pour les défenseurs des droits des animaux ! Le Guatemala vient de passer une loi interdisant l’usage des animaux sauvages dans les cirques. Cette décision, que la nation d’Amérique latine partage avec un nombre croissant de villes et de pays, repose la question du bien-être de l’animal en captivité, et plus largement celle du droit des animaux par rapport à l’homme.
Bas les pattes
Dans l’obscurité moite d’un chapiteau bariolé, le public rugit d’effroi alors qu’un couple de tigres franchit d’un bond paresseux une succession de cerceaux enflammés, guidé en apparence par les bruits de gorge d’un dresseur en costume… La scène est familière ; pourtant, elle est en passe d’entrer dans le domaine de la fiction.
Le 11 avril dernier est entrée en effet au Guatemala une loi interdisant l’usage d’animaux sauvages (éléphants, félins, ou encore primates) dans les cirques sur l’ensemble du territoire. Cette décision fait suite à une initiative similaire limitée à la capitale du pays, prise en 2015 par le maire lvaro Arzú : « [Les animaux du cirque] sont victimes de traitements brutaux, et nous ne souhaitons pas encourager de tels actes », avait-il alors déclaré. Les cirques employant des animaux sauvages se sont vus sommés de les relâcher ou de les placer dans des sanctuaires de réinsertion à la vie sauvage dans un délai d’un an. A l’instar de PETA (Pour une Ethique dans le Traitement des Animaux), la principale association de défense des droits des animaux, de nombreux militants ont relayé la nouvelle sur les réseaux sociaux, se réjouissant d’une décision « qui a fait ce qu’il fallait pour les animaux ».

La législation en la matière dans le monde… et en France
Avec ce texte, le Guatemala rejoint le club très fermé des pays ayant interdit, entièrement ou partiellement (c’est-à-dire pour certaines espèces), l’emploi d’animaux sauvages pour le cirque. A ce jour, 24 pays peuvent se targuer d’être sur cette liste. Parmi eux, on compte par exemple l’Autriche, l’Inde ou encore la Grèce, qui est allée encore plus loin en interdisant en 2012 toute présence animale dans ses cirques. De nombreux pays, comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas réfléchissent à la mise en place d’une législation similaire. Mais qu’en est-il de la France, pays fort d’une grande tradition circassienne ? Chez nous, si la législation est stricte et précise (cage de 7 m2 minimum pour les tigres, chaînes matelassées pour les éléphants, temps quotidien obligatoire à l’extérieur pour tous les animaux), elle ne suffit pas aux militants pour les droits des animaux : « les animaux sauvages n’ont pas assez d’espace : ils ne peuvent pas développer des comportements normaux car leurs besoins physiologiques ne sont pas respectés », dénonce Véronique Papon, de l’ONG Code animal, en ajoutant que les maltraitances et autres abus sont difficiles à prouver. Pour Gilbert Edelstein, propriétaire des mythiques cirques Pinder, tout va au contraire bien dans le meilleur des mondes : « nos artistes à quatre pattes sont heureux. On les considère comme notre famille. Il n’y a plus d’abus en France depuis une décennie (…) ».
Mon chien est-il mon prochain ?
Derrière la vindicte des militants pour les droits de animaux se cache une réelle prise de conscience récente sur le bien-être des animaux. Au-delà des éventuelles maltraitances et de l’évidence des besoins physiologiques des animaux (un tigre, né pour vivre sur des kilomètres carrés de plaine aride, ne peut pas vivre normalement dans une cage exiguë sous un climat tempéré), les scientifiques s’interrogent sur les méthodes de dressage. Doit-on préférer la carotte ou le bâton ? « Avec le temps, la sensibilité accrue à la condition animale tend à favoriser plutôt la méthode plus douce », note la philosophe Vinciane Despret, en reconnaissant que souvent, une relation de complicité et d’amour s’installe entre l’animal et le dresseur – mais que ce dernier se doit de respecter la nature et le bien-être de son compagnon.

Comment respecter entièrement un être qui ne communique que de façon rudimentaire ? La question est épineuse, et sous-tend toutes les recherches sur les droits des animaux, aujourd’hui enjeu de société majeur. La science prouvant aujourd’hui que les animaux sont des êtres sensibles, comme l’homme, nombreux sont ceux qui avancent que nous devons les considérer comme des êtres doués de conscience : « les animaux ne se contentent pas de souffrir ou d’éprouver du plaisir (…) ils ont des mondes (…). La question n’est donc pas celle de leur intelligence (…) : c’est celle de leur subjectivité. Une fois qu’on a pris acte de cela, on ne peut plus les traiter comme des instruments ou comme des choses », écrit Elisabeth de Fontenay, philosophe spécialiste de la question animale. Optimiste, elle ne préconise pas l’abolissement de toute relation homme-animal, mais désire une relation plus éthique – le dresseur de cirque pourrait-il considérer le tigre comme son collègue, plutôt que son outil ?
En termes légaux, tout reste à faire : si le code rural français reconnait (depuis 1976 !), l’animal comme un « être sensible », le code civil ne les distingue pas des autres « biens meubles », aux côtés des chaises, casseroles ou autres téléphones portables.
Comment s’y retrouver si l’on aime la viande rouge, son chat et Bambi, mais que l’on rejette l’assujettissement des animaux du cirque ? Le philosophe canadien Will Kymlicka propose un système moral séduisant : considérer les animaux domestiques comme « citoyens » (ils ont le droit de résider sur un territoire, et leurs intérêts sont de l’ordre du bien public) ; les animaux sauvages, comme « nations souveraines » (ils forment leurs propres communautés autonomes, que nous respectons) ; les animaux proches, enfin (ceux qui vivent librement dans nos villes et nos villages), comme des « résidents permanents » : ils ont le droit d’asile, mais nous ne sommes pas tenus de les protéger.

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