Alors que l’Union européenne, sous l’impulsion du président français, se prépare à une rentrée sur le thème de la relance, la Grèce peine toujours à sortir de la crise, victime d’un programme de privatisations aux allures de fiasco, autant pour le gouvernement et pour le peuple.
Macron à l’Acropole
En déplacement la semaine dernière à Athènes, Emmanuel Macron a discouru dans un cadre antique spectaculaire sur l’avenir de l’Europe. L’Acropole derrière lui, le président français a plaidé pour une « refondation » de l’Europe sur ses principes et valeurs originelles, en condamnant fermement les « politiques [européennes] qui, mues par la défiance, ont créé des injustices et des incompréhensions ». La refondation qu’il propose évoque les premiers instants de l’Union, quand celle-ci esquissait avec brio un projet en apparence impossible de convergence économique, politique et sociale dans le respect des souverainetés nationales.
Ce « discours de la méthode », qui marque le coup d’envoi d’une série de mesures communautaires (convergence sociale et fiscale dans l’Union, politique migratoire et de défense, une nouvelle gouvernance pour la zone euro) est prononcé dans un contexte mitigé pour la Grèce, qui peine à se rétablir après la crise économique de 2008, dont les conséquences l’avaient presque contrainte à sortir de l’Union européenne.
Timide embellie
Alors certes, certains indicateurs, et non des moindres, sont cette année pour la première fois au vert : le pays a connu au deuxième trimestre 2017 une croissance de 0,5%, et vise les 1,5% à la fin de l’année. Pour autant, il faut donner raison à M. Macron sur le bilan des mesures passées : faites en hâte et dans la confusion, elles n’ont pas eu l’effet escompté ; c’est notamment le cas du vaste programme de privatisations engagé en 2015 par le gouvernement grec.
« Avec unité et détermination, nous allons vers une croissance juste et vers une guérison des blessures de la crise », avait twitté le premier ministre grec, Alexis Tsipras, au lendemain de l’Eurogroupe (une réunion des ministres des finances de la zone euro) qui a décidé le lancement de la troisième partie du plan de relance de l’économie grecque par ses créanciers – la « troïka » formée par Fonds monétaire international (FMI), Banque centrale européenne (BCE) et Mécanisme européen de stabilité (MES) – à hauteur de 86 milliards d’euros. Dans un contexte d’embellie économique, le pays naufragé est une fois de plus sauvé par l’Union, qui lui permet par ce nouveau prêt de rembourser ses dettes les plus urgentes (notamment contractées auprès du secteur privé).

Alexis Tsipras et Jean-Claude Juncker
Echec des privatisations
La situation en demi-teinte de la Grèce pourrait être bien meilleure si le programme de privatisations n’avait pas été un échec aussi retentissant. Initié en 2015, juste avant l’arrivée au pouvoir de Tsipras, celui-ci devait en théorie rapporter 50 milliards au gouvernement, moyennant la cession de nombreuses activités (électricité, gaz, aéroports, gares et ports, loterie) à des investisseurs étrangers. Plus de deux ans après, ce programme n’a effectivement rapporté que 4,4 milliards d’euros.
Alors que s’est-il passé ? Si l’idée n’est pas foncièrement mauvaise (vendre une partie de ses capitaux pour rembourser une dette urgente), elle a été entreprise dans un contexte défavorable, menée avec hésitation (Tsipras, élu sur la promesse de mettre fin à l’austérité, a ralenti le processus sans pouvoir l’arrêter) et victimes d’irrégularités de la part des évaluateurs et des repreneurs des actifs de l’Etat grec.
Position de faiblesse
« C’était le pire moment possible pour initier un programme de privatisations. Normalement on ne devrait pas privatiser au beau milieu d’une crise », déplore, dans les lignes du journal allemand Tagesspiegel un ancien dirigeant de Taiped (l’agence grecque en charge des privatisations). La logique derrière cette remarque est des plus simples : sous la pression de ses créanciers européens, le gouvernement grec n’était pas en position de force dans les négociations avec les investisseurs étrangers, et a dû fermer les yeux sur des sous-évaluations flagrantes, tout en acceptant des conditions très avantageuses pour les acteurs privés.
« C’était le pire moment possible pour initier un programme de privatisations. Normalement on ne devrait pas privatiser au beau milieu d’une crise »
Par exemple, dans la vente de 67% du port du Pirée au groupe chinois China Ocean Shipping Company (Cosco), ce dernier a certes versé 368,5 millions d’euros. Cependant, l’entreprise chinoise payant avant l’opération une concession à l’Etat grec pour l’exploitation du port, elle a réalisé par le rachat une économie de près de 700 millions (en loyers cumulés jusqu’à la fin de la concession) qui auraient logiquement dû être comptés dans la transaction. Autre exemple de sous-évaluation flagrante : la vente du site de l’ancien aéroport d’Athènes, Hellenikon, à une association de fonds chinois et du Golfe pour 900 millions d’euros, alors « le bien avait été évalué à plus de 3 milliards d’euros ».

Irrégularités
De plus, les opérations de privatisations ont été marquées par des irrégularités et des conflits d’intérêts. Destinées à faire venir des capitaux étrangers en Grèce, les privatisations ont surtout profité à des hommes d’affaires grecs, comme Dimitris Melissianidis, un des repreneurs de la loterie nationale (transaction à 652 millions d’euros), qui avait invité au lendemain de la signature le président du Taiped de l’époque à bord de son jet privé – causant un scandale allant jusqu’à la démission de ce dernier. Les conflits d’intérêt ont également dépassé les frontières : comme le pointe le Monde diplomatique, le Taiped a eu recours dans l’évaluation des aéroports grecs – en vue de la reprise, pour 1,23 milliards d’euros, par l’allemand Fraport – aux services de Lufthansa Consulting, filiale de la compagnie aérienne allemande du même nom, elle-même actionnaire de Fraport à hauteur de 8,45% !
Privatisations à reculons
Enfin, le noir bilan de cette série de privatisation est également à imputer aux atermoiements du gouvernement d’Alexis Tsipras. Après la victoire de Syriza (le parti de gauche de Tsipras) en janvier 2015, plusieurs ministres avaient annoncé le gel des privatisations, promis en campagne par Alexis Tsipras. Par conséquent, l’activité avait été suspendue dans le port du Pirée, en pleine cession au chinois Cosco. Bien contraint de mener l’opération à bien, le premier ministre grec avait dû faire plus de concessions pour regagner les bonnes grâces du repreneur, tout en faisant face à un marasme économique accru par l’inactivité du port.
Raison d’Etat, raison du peuple
Mené sous pression, balloté par la valse des agendas politiques, le vaste chantier de privatisations qui aurait dû redresser l’Etat grec a été un double fiasco : d’un point de vue économique, l’Etat a bradé des actifs qui rapportaient de l’argent, et d’un point de vue social, il a perdu la confiance d’un électorat attaché aux services publics. La mobilisation de la société civile, légitime et finalement victorieuse, pour sauver entres autres le service d’eau, n’a rien arrangé à la confusion.
Toute cette affaire illustre de manière évocatrice la complexité du problème grec : difficile de se ranger entièrement du côté des « technocrates » de l’Europe qui proposent plans de relance et privatisations (efficaces sur le papier mais mal menés en pratique), ou entièrement du côté d’une population fatiguée de la crise et attachée à la souveraineté de l’Etat, aux dépends de ses finances. Presque dix ans après le début de la crise et trois plans de relance plus tard, la Grèce n’est pas encore sortie d’affaire, et sa population perd espoir : « nos dirigeants nous promettent maintenant de la croissance, de baisser le chômage. Je reste pourtant assez pessimiste pour l’avenir », avoue Anna, quadragénaire grecque interviewée par Le Monde.
Crédits photos : Bloomberg

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