Face à la désertification et à la dégradation des sols, 11 États de la région sahélienne ont décidé en 2007 de s’associer dans un projet panafricain : la Grande Muraille Verte. Il s’agit de reboiser une bande de territoire de 7 600 km de long et d’environ 15 km de large, de Dakar à Djibouti. Ce projet fou a pour ambition, non seulement de restaurer la biodiversité végétale de la région et la qualité de ses sols, mais aussi de redonner à cette zone transfrontalière africaine principalement agro-sylvo-pastorale son dynamisme économique.
Pour en finir avec « l’avancée du désert »
Les États membres de l’Agence Panafricaine de la Grande Muraille Verte (APGMV), l’organisation intergouvernementale créée afin de gérer le projet, sont les suivants : Burkina Faso, Djibouti, Erythrée, Ethiopie, Mali, Mauritanie, Niger, Nigéria, Sénégal, Soudan, Tchad. Tous ces États ont pour point commun d’être confrontés à des situations de désertification plus ou moins sévères et à des sécheresses chroniques, que dénonce régulièrement l’ONG SOS Sahel, notamment à travers une campagne de sensibilisation depuis le site internet du Groupe Travail Désertification (GTD) dont elle fait partie. Selon les statistiques disponibles, 40% des terres dans le monde seraient touchées par la désertification, entrainant des déplacements massifs de populations, qui atteindraient d’ici 2020 60 millions de personnes en ce qui concerne l’Afrique subsaharienne.

« Le Sahel africain est actuellement l’une des régions les plus vulnérables au monde. Si la diversité éco-géographique et sociale de ses territoires est grande, la région entière est pourtant affectée par une vulnérabilité écologique et sociale croissante, soulignant l’urgence d’une action concertée », déclare Gilles Boëtsch, directeur de recherche au CNRS.
« Il faut parfois 500 ans pour que 2 centimètres et demi de sol se forment mais seulement quelques années suffisent pour les détruire. On appelle ça la désertification. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la désertification n’est pas l’avancée naturelle du désert ni le déplacement de dunes de sable. C’est l’épuisement des terres cultivables sous l’effet de l’activité humaine et des changements climatiques », nous dit la voix off dans la superbe vidéo du photographe Yann Arthus Bertrand et de Good Planet.
Crédits : GoodPlanet
La dégradation des sols n’est pas seulement due à des sécheresses et autres facteurs naturels, mais procède aussi de facteurs anthropiques : la monoculture, l’élevage, la déforestation, le surpâturage, l’agriculture intensive et son usage d’intrants chimiques.
Restaurer la biodiversité d’un écosystème et dynamiser l’économie locale
Lors d’une réunion de la FAO à Rome le 24 septembre 2012 afin de dresser un premier bilan du projet panafricain, Nora Berrahmouni, chargée du dossier, cherche à justifier les maigres résultats d’alors en soulignant la complexité du projet : « Il ne s’agit pas simplement de replanter des arbres. La Muraille Verte est un projet global de développement ». C’est en effet toute la biodiversité d’un écosystème qui est à reconstruire dans des sols très dégradés.
« Les sols sont ici déstructurés à l’extrême et, pour que le reboisement soit viable, il faut qu’il se recompose et héberge davantage de bactéries. C’est une des contraintes importantes du projet. Nous devrons attendre sept ou huit ans avant de savoir si cela s’est produit » explique dans un article du Monde René Bally, directeur de recherches au CNRS.

Un rapport de l’International Union for Conservation of Nature (IUCN) déclare que « la conservation de la biodiversité à travers la gestion durable des terres dans la Grande Muraille Verte contribue au développement économique, à la création d’emplois, et à la réduction de la pauvreté ». Ce rapport salue l’utilité indubitable du projet de la Grande Muraille Verte.
Le reboisement permet en effet de fixer les sols et d’empêcher ainsi la couche arable (la partie supérieure et cultivable) d’être attaquée par l’érosion. L’ombre que procurent les arbres permet à d’autres végétaux de se développer, favorisant ainsi la biodiversité végétale, tout comme le retour d’une faune diverse. Dans le cas de la Grande Muraille, les espèces plantées sont choisies en fonction de leurs capacités de résistance à un climat aride, et de leur utilité pour la population. Chaque pays dispose de son propre plan d’action national, dont l’évolution est consultable en ligne, et reste contrastée, notamment en raison de l’instabilité de certains États.
En ce qui concerne le Sénégal par exemple, sept espèces ont été sélectionnées par des spécialistes, parmi lesquels l’acacia sénégal pour la gomme arabique, le balanite et le zizyphus pour leurs fruits. Cela permet de restaurer la biodiversité de la zone, tout en relançant l’économie rurale mise à mal par la désertification. C’est à ce jour plus de 40 000 hectares de terre qui ont été reboisés ! Malgré cette avancée notoire, on reste loin des 817 500 prévus au total pour le tracé sénégalais… L’envoyée spéciale du Monde nous livre la réalité de cette Grande Muraille sur le terrain : il s’agit davantage de parcelles boisées d’environ 600 hectares chacune, espacées pour laisser passer les transhumances du bétail, fréquentes dans la région. En revanche, dans les parcelles reboisées, pas de coupe ni d’ouverture au bétail !
Évidemment, le reboisement ne peut se faire sans l’appui constant d’experts et le projet de la Grande Muraille est soutenu par des organismes de recherche comme l’Observatoire Hommes-Milieux International (OHMI), créé en 2009 et basé à Téssékéré au Sénégal. Ce centre est né sur une initiative conjointe de l’Institut Écologie et Environnement du CNRS et de l’Université Cheikh Anta Diop (Dakar) et réunit des botanistes, des agronomes, des anthropologues, des biologistes, des géographes. On fait appel à la pointe des connaissances sur le fonctionnement des écosystèmes et des végétaux afin de reboiser de la manière la plus efficace possible.

De très nombreuses organisations soutiennent également le projet, parmi lesquelles la FAO, la banque mondiale, ou encore le Programme des Nations Unies pour le développement.
La mise en place de cette ceinture verte, bien sûre encore parcellaire et clairsemée, entraine également la modification des conditions de vie locales et la création de jardins collaboratifs, ce qui permet un approvisionnement local, et la création d’emplois dans cette nouvelle filière agricole.
Le projet mise beaucoup sur l’implication des populations, et on ne peut que saluer cette volonté. Il reste que l’instabilité politique qui touche certains des États membres, comme la paix malienne fragile, ou encore le conflit dans lequel s’enlise le Soudan, est un frein au développement de la Grande Muraille Verte, dont on espère qu’elle continuera tout de même à croître puisque l’objectif que s’est fixée l’Union africaine pour 2020 est d’inverser la tendance de la désertification, et de rendre aux sols leur capacité d’auto-régénération.
Crédits photos : greatgreenwall.org / wikipediacommons

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