Le week-end dernier, le Premier Ministre français Edouard Philippe était en visite aux Emirats arabes unis. Son voyage était diplomatique, avec notamment la visite du Louvre Abou Dhabi, ce musée qu’Emmanuel Macron avait inauguré début novembre et désigné comme le premier musée universel du monde arabe. Cependant, outre cet aspect diplomatique, ce séjour au Moyen Orient avait aussi de réels objectifs économiques, en particulier la recherche d’investissements émiratis pour le territoire français.
« Nous avons essayé de répondre à leurs questions, de leur montrer ce que nous faisons, de leur indiquer pourquoi nous pensions qu’il se passait des choses intéressantes en France et qu’ils pouvaient y prendre leur part ».
C’est ainsi que Edouard Philippe a relaté à la presse sa rencontre avec les dirigeants des deux grands fonds souverains émiratis et avec le ministre de la défense d’Abou Dhabi et héritier du trône, Mohammed ben Zayed Al Nahyane. Le Premier Ministre français veut poursuivre ce qu’Emmanuel Macron avait entamé lors de sa précédente visite en obtenant un milliard d’euros de fonds d’investissement. Par diverses entreprises de séduction, Edouard Philippe cherche à attirer de juteux investisseurs pour les firmes françaises, investisseurs qui permettraient selon l’exécutif de donner un coup de boost à l’économie nationale et à l’attractivité économique du pays.
On peut cependant s’interroger sur cette ligne politique. Elle cherche en effet à favoriser l’offre, c’est-à-dire les producteurs, les entreprises, avec des recherches de fonds, des baisses d’impôt sur les profits, des avantages économiques donnés par l’Etat (avec le CICE par exemple). La justification de ces politiques économiques est constamment la même. C’est en relançant l’activité que les entreprises vont s’enrichir et cet enrichissement, par un processus de redistribution et d’augmentation des salaires, aboutira à une hausse globale du niveau de vie.

A gauche, le Louvre Abu Dhabi étincelant ; à droite, une zone de guerre dévastée au Yémen. Crédits : GIUSEPPE CACACE / AFP (gauche) // MOHAMMED HUWAIS / AFP (droite)
Force est de constater que cette sorte de théorie du ruissellement, théorie dont Adam Smith parlait déjà au XVIIIème siècle, ne fonctionne pas. Le récent rapport du WID Lab pointe ainsi du doigt une inquiétante hausse des inégalités mondiales avec un écart entre les plus riches (les 10% voire les 1% les plus aisées) et les plus pauvres (les 50% les plus démunis) qui se creuse particulièrement depuis les années 1980, malgré une hausse de la richesse mondiale.
Outre la dimension économique qui est critiquable, un autre aspect de cette entreprise de séduction questionne et dérange beaucoup : celui de placer l’économie au cœur de la diplomatie. Doit on mettre de côté certains droits de l’homme (et en particulier ici les droits des femmes), fermer les yeux sur des guerres illégitimes, inefficaces et dévastatrices pour réaliser des bénéfices économiques ? C’est un peu la question que l’on aimerait poser au Premier ministre. Et de fait, les femmes n’ont jamais eu le droit de vote aux Emirats arabes unis, et ne possèdent que très peu de libertés. De plus, la liberté d’expression, dans un pays où être un opposant au régime politique en vigueur revient à être un ennemi national, n’existe pas.
Pour couronner le tout, Abou Dhabi est engagé au côté de l’Arabie Saoudite dans la guerre au Yémen, guerre particulièrement violente (l’ONU compte plus de 10 000 morts, un chiffre très surement sous-estimé), et sans résultat. La situation n’a en effet que très peu évolué depuis le début de l’intervention saoudienne en 2015 et est particulièrement inquiétante. L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont mis en place des blocus et embargos qui mettent 70% des 30 millions d’habitants sous la menace d’une famine. En plus de cela, le gouvernement saoudien fourni en armement des milices locales, milices dont les liens avec Al-Quaida et l’Etat Islamique sont très probables.
Tant de choses que la France se devrait de condamner mais tant de choses sur lesquelles le gouvernement français ferme les yeux pour s’assurer de juteux partenariats économiques. Une nouvelle fois le profit passe avant l’humain. Une routine désormais dans la politique d’Emmanuel Macron.
Crédits photo de couverture : KARIM SAHIB / AFP

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