Si la guerre en Syrie est largement documentée et relayée dans les médias français – parfois tributaires d’une certaine vision « atlantiste » de l’information – il est de certaines guerres dont on ne parle pas. C’est le cas de la guerre civile au Yémen, où les affrontements entre les Houthis (un groupe religieux situé au Nord du Yémen) et le gouvernement yéménite, soutenu par l’Arabie saoudite, s’intensifient depuis plusieurs années. Au total, on compte plus de 3 millions de personnes déplacées et environ 10 000 morts depuis le début du conflit, qui a également entrainé la destruction de nombreux sites archéologiques et d’une grande partie du Yémen.
Comme le rappelait Eric Denécé directeur du CF2R (le Centre Français de Recherche sur le Renseignement) sur LCI « on ne parle pas du massacre humanitaire que conduisent les Saoudiens au Yémen, où systématiquement les hôpitaux sont ciblés (…) au Yémen il n’y a pas un kilomètre carré qui ne soit pas bombardé par les saoudiens, dans lequel les combats n’aient pas lieu : mais on ne parle pas de cela ».
Mais pourquoi un tel silence des médias français ? Selon des informations inédites de l’observatoire des armements livrées à la revue Orient XXI, la France serait en train d’accélérer ses livraisons d’armes à la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite contre les Houthistes, en détournant un contrat d’armement originairement destiné au Liban.

Crédits : MSF
La guerre au Yémen : un marché juteux pour le gouvernement français
Si les livraisons d’armes des Etats-Unis et du Royaume-Unis à l’Arabie saoudite leur ont souvent valu les reproches de la communauté internationale, la France est jusqu’à présent restée à l’abri, bien qu’ayant « une longue tradition de partenariat avec le royaume saoudien et plusieurs de ses alliés ». Depuis les années 2000, les livraisons d’armement aux pays du Golfe se sont considérablement intensifiées : aujourd’hui, 50% des prises de commandes enregistrées par la France concernaient des pays du Proche-Orient et particulièrement l’Arabie saoudite, qui a dépensé près de 9 milliards d’euros dans l’achat d’armements français.
Les pays occidentaux ont su exploiter cette « économie de guerre florissante », qu’importe les dégâts humains et le détournement des armes livrées, qui arrivent parfois aux mains des terroristes islamiques. Si la France est partie au TCA (Traité sur le commerce des Armes) et se voit donc interdite d’exporter des armes servant à des violations du droit international humanitaire, le gouvernement n’a fait qu’intensifier ses livraisons aux membres de la coalition arabe contre le Yémen (Rafale pour le Qatar, frégate Fremm pour l’Egypte, blindés légers Sherpa light pour le Koweït…). Aucune commission d’enquête parlementaire n’a été mise en place à ce jour pour contrôler les exportations d’armes : au total, ce sont donc plus de 16 milliards d’euros de licences d’exportation d’armes qui ont été attribuées, et ce rien que pour l’Arabie saoudite.
Les liens franco-saoudiens mis en cause
L’adaptation des sociétés d’armement françaises aux demandes saoudiennes et aux besoins des guerres menées au Proche-Orient en dit long sur la politique française d’armement. Des blindés légers Renault Sherpa light pour circuler dans les rues étroites des villes arabes, des avions Airbus 330-200 MRTT déployés au Yémen pour assurer le ravitaillement des F-15 saoudiens… Autant de technologies françaises qui servent directement aux massacres commis par l’Arabie saoudite et la coalition arabe.

Certains armements ont même été récupérés par l’Arabie saoudite alors qu’ils étaient originairement destins au Liban ! En effet l’accord « Donas » conclu fin 2014 entre Paris et Ryad, prévoyait la livraison d’armes aux Forces armées libanaises (FAL) pour lutter contre le terrorisme islamique et subvenir aux besoins de la guerre en Syrie. Mais les véritables motifs de cet accord sont remis en cause : 6 mois après sa signature, l’Arabie saoudite entre en guerre contre le Yémen et récupère une grande partie des armements destinés au Liban. Cet accord « Donas » n’aurait alors été qu’un « écran » pour camoufler l’objectif réel de la transaction : équiper l’Arabie Saoudite en prévision de la guerre au houdhites yemenites.
Les industriels eux aussi s’interrogent « dès 2015, nous avons engagé les tests de matériel prévus pour Donas. Or à notre surprise, il fallait adapter le matériel aux conditions qui ne correspondent pas à celles du Liban. Dès lors, nous avons compris. Nous travaillions sur du matériel ayant vocation à servir au Yémen » confie un industriel anonyme à Orient XXI. D’après lui : « 80 % du parc destiné à Beyrouth aurait fait l’objet d’une commande ferme de l’Arabie saoudite à destination de ses propres forces et 95 % était déjà déployé sur le terrain, en test ou définitivement ».
Aujourd’hui, le soutien direct et conscient de la France aux militaires saoudiens apparait comme une hypothèse de plus en plus probable alors que sa responsabilité dans les crimes de guerre commis au Yémen n’est pas toujours mise en cause… Faute de cesser ses livraisons d’armes aux dictatures du Golfe, l’Etat français décore leurs responsables politiques de la légion d’honneur (en mars 2016 François Hollande a décoré de la légion d’honneur le Prince héritier d’Arabie Saoudite Mohammed Ben Nayef). Il semblerait que comme toujours « ce sont les bons comptes qui font les amis ».
Crédits photos : Shutterstock.com

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