Menace pour la démocratie, étouffement de la concurrence et de l’innovation, puissance de marché écrasante, influence politique, fraude fiscale, uniformisation du monde… Les débats engendrés par la toute-puissance des GAFA sont innombrables, au point qu’une question se pose : faut-il les démanteler ? La réponse se trouve dans ce qui constitue le cœur de ces géants du numérique, leur business model.
Tout d’abord, et contrairement à ce que laisse entendre cet acronyme, les GAFA ne représentent pas un ensemble homogène. Apple se différencie des autres car son business model est basé sur la vente de ses produits (86%) et de ses services (14%). En revanche, 98,5% des revenus de Facebook et 85% de ceux de Google proviennent de la publicité, selon les chiffres de 2018.
Ainsi, la quasi-totalité de leur richesse provient de la commercialisation de données à des fins publicitaires.
Or, « un business model fondé sur un large système de surveillance des données et qui se fait payer par ses clients pour cibler de manière opaque ses utilisateurs, en se basant sur ce type de profilage en particulier, ne peut qu’être mal utilisé », avertit Zeynep Tufekci dans le New York Times.
Dans ce cas, il suffirait peut-être que ces entreprises changent de business model ?
« Chaque business possède son ADN propre à partir de laquelle elle a été créée. Les véritables changements de structure des entreprises sont rares, surtout lorsque le dirigeant reste en place » constate Tim Wu dans son article « Don’t Fix Facebook. Replace It ».

Mais au fond, pourquoi un tel business model pose-t-il problème ?
D’abord, parce que la vente des données personnelles à des fins publicitaires viole les libertés individuelles. Mais surtout, parce qu’un autre facteur entre en jeu : la valeur des données.
Celles-ci se trouvent à la base du développement de l’Intelligence Artificielle. Les GAFA ont donc pris une avance considérable dans ce domaine, dont beaucoup d’experts s’accordent à dire que sa maîtrise sera déterminante dans les relations de pouvoir.
Yuval Noah Harari explique clairement l’enjeu de la possession des données. Au Moyen-Âge, rappelle-t-il, l’actif le plus important était la terre, et le pouvoir était déterminé par le contrôle de cet actif. Aujourd’hui, les données sont l’actif le plus important. Or, pour l’instant, les données du monde entier sont accumulées par un tout petit nombre d’entités privées.
« La vaste majorité des gens n’a strictement aucun contrôle sur leurs propres données » dénonce-t-il. « Ils livrent leurs données les plus personnelles en échange de service de mail ou de vidéos de chat, sans se rendre compte qu’ils abandonnent l’actif le plus important au monde. Si nous ne réglementons pas la propriété des données, nous nous retrouverons dans une société médiévale où il n’y aura qu’une toute petite aristocratie qui possédera non pas la terre, mais les données, et aura un contrôle immense. »
Si les mots d’Harari peuvent faire débat, ce pouvoir est néanmoins déjà réel.
« Des milliards de dollars sont générés au détriment des biens publics et de notre système politique, et des décisions cruciales sont prises de manière unilatérale, sans possibilité de recours et sans impliquer de responsabilité, » pointe Tufekci dans son article.

Ainsi, le démantèlement des GAFA semble être la solution. Au début du XXe siècle, aux États-Unis, les autorités anti-trust n’ont pas hésité à démanteler des entreprises dans le secteur de l’énergie et du cinéma. Le démantèlement de la Standard Oil Company en 1911 et celui des grands studios hollywoodiens durant l’après-guerre font figure d’exemples.
Ces ensembles étaient devenus si grands qu’il était devenu impossible de contourner cette puissance. Précisément ce qui se passe actuellement avec les GAFA.
Pourtant, les services fournis par les GAFA apparaissent aujourd’hui indispensables, particulièrement dans des périodes de crise et d’éloignements. Mais démanteler les GAFA ne signifie pas supprimer les avantages qu’ils apportent, au contraire.
D’abord, le démantèlement signifierait le morcellement des empires, non la disparition des services qu’ils offrent. Cela reviendrait à annuler des fusions qui n’auraient pas dû avoir lieu, comme le rachat d’Instagram et WhatsApp par Facebook ou de Whole Foods par Amazon, qui ont conduit à leur taille excessive.
Ensuite, une réduction de leur puissance permettrait à d’autres acteurs d’émerger pour proposer des services alternatifs.
« Ce dont nous avons le plus besoin est une nouvelle génération de réseaux sociaux, dont la motivation et la détermination à protéger les données des utilisateurs seraient fondamentalement différentes. » note Tim Wu.
L’avantage serait donc immense pour les consommateurs, qui disposeraient d’une plus grande liberté de choix.
En résumé, les GAFA sont à l’origine de problèmes multiples. Leur explication se trouve dans leur business model, basé sur la publicité. Un tel business model entraîne une accumulation de données. Or les données constituent l’or noir du XXIe siècle. Leur concentration entre les mains d’un tout petit nombre de personnes prenant leurs décisions de manière autonome engendre une domination de leur part. Une pluralité d’acteurs est donc essentielle. Cependant, les GAFA sont tellement puissants qu’ils empêchent d’autres entreprises d’émerger. La solution est de les démanteler.